Après les partages de chapitres clés de  « Creativity, Inc » (Pixar), de l’« Histoire des Inégalités » (Stanford) et de plusieurs articles de « L’Histoire des Mythes Fondateurs. Voyage dans l’imaginaire de l’humanité » (dernier Hors-Série Le Monde & La Vie ), le Club Consulting & Coaching HEC Alumni en partenariat avec le Hub Management et le Club Transition poursuit son cycle FUTUR(S) avec une interview exclusive de Gary Klein (disponible sur les différentes plateformes de Podcasts et en bas de cet article).

 

Gary Klein est un psychologue et chercheur réputé, que nous avions déjà interviewé pour son expertise sur les décisions critiques ; son podcast est d’ailleurs un des plus écoutés de HEC Alumni (cliquez ici pour y accéder). Il a également créé un outil exceptionnel – le PRE-MORTEM – qui s’est fait largement connaître par son article HBR aussi bref qu’innovant, largement repris dans des ouvrages majeurs. Nous en recommandons vivement la mise en oeuvre dans vos projets sensibles, dans les réflexions sur votre évolution de carrière et/ou tout simplement pour le futur de notre planète. Jugez plutôt…

 

Greg Le Roy avec la complicité de Brigitte Dubreucq (Hub Management), Antoine Rabain & Adam Melki (Club Transition) ainsi que de Thomas Wauquiez et Pascal Masson (Club Consulting & Coaching).
Note : la mise en gras a été faite par HEC Alumni

 

Partages HEC Alumni :
> Brigitte Dubreucq a mentionné un point important en lien avec sa pratique d’accompagnement de comités lors de la relecture de cet article  : « cette approche a le mérite de donner la parole à ceux qui ont une vraie capacité à voir ce qui peut « planter », ces oiseaux de mauvaise augure qui sont pourtant bien utiles. D’ailleurs avoir dans une équipe des personnes qui vont très vite voir les succès potentiels et d’autres capables de très vite voir les échecs possibles, est fort intéressant pour la prise de décision. »
> Antoine Rabain, en préparation de ce partage, m’indiquait que « ce concept fait écho à ses ateliers « back to the future » réalisés avec des comex sur la transition » et souligne que « ce type d’approche alternative et nouvelle pourrait notamment permettre d’explorer d’autres voies possibles dans la transformation des organisations pour accélérer leur réponse à l’enjeu écologique ».

 

 

CREER UN RECUL PROSPECTIF
Dans leur livre « Decisive » (publié en français sous le titre « Comment faire les bons choix », Flammarion-Champs, 2017), Chip & Dan Heath résument dans leur chapitre « Délimitez l’avenir » la puissance du pré-mortem avec une simple question « Imaginons-nous dans un an. Notre décision est un lamentable échec. Pourquoi ? »
Ils introduisent le pre-mortem en présentant une étude menée par les chercheurs spécialistes de la décision J. Edward Russo et Paul J.H. Schoemaker s’intéressant aux personnes adoptant un style de pensée nommé « recul prospectif » (qui leur fait regarder en arrière depuis une date future) : « les chercheurs ont décrit aux participants un salarié qui venait de prendre un nouveau poste, avec une présentation rapide de l’entreprise et du secteur. La moitié des participants devaient indiquer des raisons plausibles pour lesquelles ce salarié pourrait s’en aller dans les six mois. Ils proposèrent en moyenne 3,5 raisons chacun. L’autre moitié devait suivre la démarche du recul prospectif : Imaginez que six mois se sont écoulés et que le salarié vient de s’en aller. Pourquoi est-il parti ? Dans ce groupe, les participants proposèrent 4,4 raisons chacun, soit environ 25% de plus que dans l’autre, et elles tendaient à être plus précises et plus pertinentes par rapport au scénario présenté (note HEC Alumni : dans l’article HBR, Gary Klein mentionne une autre étude avec le chiffre de 30%). Le recul prospectif semble éveiller davantage d’idées car il nous oblige à remplir les blancs entre le moment présent et un événement futur certain (par opposition au processus plus précaire consistant à spéculer sur un événement qui ne se produira peut-être pas). »
C’est à ce moment de l’ouvrage que les frères Heath introduisent le pre-mortem, qui a poursuivi selon eux le chemin pris par l’AMDE (analyse des modes de défaillance et de leurs effets) utilisé depuis des décennies dans l’armée et l’administration, avec un vocable moins technique et plus puissant selon moi car métaphorique. Jugez plutôt : « L’analyse post-mortem intervient après un décès afin d’en expliquer la cause. Une analyse pre-mortem, au contraire, imagine la « mort » future d’un projet afin d’en expliquer la raison. Un groupe qui effectue une analyse pre-mortem part de l’idée que l’avenir est sombre : Eh ! oui, douze mois se sont écoulés et notre projet a été un fiasco total. Il nous a sauté à la figure. Pourquoi a-t-il échoué ? »
Ils concluent que « l’AMDE et sa technique soeur, le pre-mortem, évitent de se focaliser sur une anticipation unique, en général optimiste, quant à la marche du monde, et obligent au contraire à faire attention aux incertitudes des conjectures. L’effort nécessaire pour explorer le spectre complet des possibilités et se préparer au pire scénario possible contribue puissamment à combattre l’excès de confiance… Notez que ces correctifs ont en commun un sorte d’effet anti-orgueil, anti-grosse tête. Un pré-mortem nous oblige à nous poser la question : Notre précieux projet a fait flop. Pourquoi ? »

 

 

LIBERER L’IMAGINATION ET EVITER LA PENSEE GREGAIRE
C’est le psychologue Daniel Kahneman qui a collaboré avec Gary Klein pendant de nombreuses années qui complète à merveille ce portrait dans son ouvrage « Thinking Fast and Slow » (publié en français sous le titre « Système1. Système 2. Les deux vitesses de la pensée », Flammarion / Champs ; 2012-2016). Le célèbre Prix Nobel assène que selon lui, « l’excès de confiance est une conséquence directe des caractéristiques du Système 1, qu’il est possible d’apprivoiser à défaut de les soumettre. Le principal obstacle tient à ce que la confiance subjective est déterminée par la cohérence de l’histoire que l’on a bâtie, non par la qualité ou la quantité de l’information qui la soutient « .
Selon lui, « les entreprises et institutions sont peut être plus aptes à dompter l’optimisme et les ego que les individus eux-mêmes. La meilleure idée en la matière a été avancée par Gary Klein, mon « collaborateur de confrontation » qui, de façon générale, défend, comme on l’a vu, la prise de décision intuitive contre l’idée de biais (note HEC Alumni : écoutez sur ce sujet notre 1er podcast de Gary Klein) et est hostile aux algorithmes. Il a surnommé sa proposition le pre-mortem ».
Daniel Kahneman partage alors ses avantages ainsi que les limites qu’il y voit « D’habitude, cette idée de Gary Klein suscite un enthousiasme immédiat. Après que je l’ai décrite dans les grandes lignes lors d’une conférence à Davos, quelqu’un derrière moi a murmuré : « Rien que pour ça, cela valait le coup de venir ! » (Je me suis aperçu par la suite qu’il s’agissait du PDG d’une grande multinationale.)
Le pre-mortem a deux grands avantages : il évite le mode de pensée grégaire qui affecte nombre d’équipes une fois qu’une décision a été prise, et il libère l’imagination de gens avertis, l’orientant sur un sujet où l’on en a besoin. Quand une équipe s’accorde sur une décision – surtout quand elle est entérinée par le patron – , les doutes quant au bien-fondé de cette action sont peu à peu éliminés, et finissent par être traités comme des signes d’un manque de loyauté vis-à-vis de l’équipe et de ses chefs. La neutralisation du doute contribue à l’excès de confiance dans un groupe où seuls les partisans de la décision ont la parole. La principale vertu du pre-mortem, c’est qu’il légitime le doute. De plus, il encourage même les partisans de la décision à identifier des menaces potentielles qu’ils n’avaient pas envisagées auparavant. »
En excellent chercheur, Daniel Kahneman conclut par un propos nuancé car le pre-mortem nécessite un contexte et tissu relationnel propices pour être pleinement utile : « Le pre-mortem n’est pas une panacée et il n’offre pas une protection absolue contre les mauvaises surprises, mais il peut nettement contribuer à limiter les dégâts de plans qui sont victimes des biais de COVERA et de l’optimisme complaisant. » (COVERA est traduit par « voir ce qu’on voit et rien d’autre » / en anglais, WYSIATI, « see what you see is all there is »).

 

 

EVITER LE POST-MORTEM
Je conclus cette introduction en redonnant la parole à Gary Klein qui allie humour, finesse et pragmatisme « A premortem is the hypothetical opposite of a postmortem. A postmortem in a medical setting allows health professionals and the family to learn what caused a patient’s death. Everyone benefits except, of course, the patient. A premortem in a business setting comes at the beginning of a project rather than the end, so that the project can be improved rather than autopsied… In the end, a premortem may be the best way to circumvent any need for a painful postmortem. » (HBR Performing a Project PreMortem publié dans le magazine en septembre 2007).

 

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