POUR

Alberto Alemanno Diplômé en droit de Harvard et du collège d’Europe. Entrepreneur civique fondateur de The Good Lobby et spécialiste de l’engagement citoyen, il est professeur de droit à HEC. Son livre Lobbying for change: Find your voice to create a better society (Icon Books, 2017); plaide pour davantage de lobbying citoyen

Alberto Alemanno, fondateur de The Good Lobby

“ Il y a un problème
systémique dans
la façon dont les
intérêts de la société
sont représentés
auprès des décideurs. ”

Sur le papier, le Parlement européen est à l’écoute de toutes les parties prenantes mais; en pratique, les voix des entreprises sont largement sur-représentées. 75 % des rendez-vous organisés à Bruxelles entre les autorités publiques et les parties prenantes concernent les lobbies du secteur privé. ONG, citoyens, syndicats et organisations publiques se partagent les 25 % restants. Il y a aussi un net déséquilibre entre les moyens consacrés au lobbying par le secteur privé et par les autres acteurs, même si certaines ONG ont un budget important. Une évolution s’impose, car il existe un problème systémique dans la façon dont les intérêts de la société sont représentés auprès des décideurs, notamment européens.

Le poids du civisme

Selon moi, la bonne approche n’est pas d’empêcher le lobbying du secteur privé mais de faire contrepoids à son influence en encourageant le lobbying citoyen. Plus de lobbying pour un meilleur lobbying. Il faut être créatif. J’ai imaginé une assistance au lobbying : un citoyen ne doit pas être juriste ou communicant pour influencer la politique européenne. Un expert du lobbying, financé par des fonds publics, pourrait apporter des conseils stratégiques aux citoyens, un peu comme un avocat commis d’office assiste les personnes qui n’ont pas les moyens d’engager un avocat. Imaginons qu’un groupe d’habitants veuille structurer un plaidoyer dans une ville française pour réduire l’utilisation de la voiture et développer une piste cyclable : ils pourraient remplir un formulaire, recevoir des fonds et l’aide d’un expert du lobbying.

Autre idée : un transfert de ressources; par exemple, 100 euros; aux familles européennes pour qu’elles investissent (ou s’investissent directement) dans une ONG. Je plaide aussi pour développer le bénévolat de compétences; qui incite les entreprises à libérer une à deux heures par semaine à leurs employés pour qu’ils se mettent au service d’une cause qui leur tient à coeur. L’objectif est de créer un réseau civique national et européen – comme on a un réseau d’eau, d’énergie ou de transports –, car l’engagement citoyen devrait aller bien au-delà du simple fait de voter.

C’est dans cet esprit que j’ai lancé The Good Lobby; une start-up civique qui veut démocratiser le lobbying en offrant des services gratuits aux ONG en manque de ressources ou de compétences. Tous ces nouveaux outils viendraient compléter les instruments de participation citoyenne qui existent déjà au niveau européen (pétitions au Parlement; initiatives citoyennes; plaintes devant la médiatrice européenne; consultations publiques; observations que les citoyens peuvent formuler…), mais qui restent encore trop peu utilisés.

CONTRE

Florian Carmona Diplômé d’HEC (promotion 2009); administrateur à la Commission européenne, puis responsable de la mise en oeuvre du code de conduite par les parlementaires européens. Il exerce aujourd’hui à la Direction générale des politiques externes du Parlement européen; où il est en charge des relations interparlementaires avec les pays du partenariat oriental.

Florian Carmona (H.09), fonctionnaire européen

“ L’action des lobbies
est nécessaire…
Et nous avons des
garde-fous efficaces. ”

Il est facile de dénoncer l’influence exercée par les lobbies sur les députés européens, tant leur action paraît opaque et orientée. On est en droit de craindre une influence contraire à l’éthique ou à l’intérêt général, mais il faut garder à l’esprit que l’activité des groupes de pression présents à Bruxelles est encadrée par des obligations légales, qui constituent un garde-fou efficace. Le Registre de transparence, notamment, répertorie l’ensemble des organisations cherchant à exercer une influence sur la politique européenne. Il met en évidence les intérêts défendus – par qui et avec quel budget – et aide le citoyen à surveiller, via Internet, les activités des lobbyistes.

Concrètement, tous les représentants d’intérêt qui veulent avoir accès au Parlement européen doivent avoir un badge d’accès spécifique. Pour l’obtenir, il faut s’inscrire au Registre, fournir les informations requises, et les garder à jour. Depuis 2018, les députés peuvent aussi publier une déclaration publique qui liste les groupes de pression qu’ils ont rencontrés. Cela aide à identifier « l’empreinte législative », c’est-à-dire l’influence de tel ou tel lobby sur la procédure législative.

Le choix de l’expertise

Actuellement, le Parlement, la Commission et le Conseil négocient pour rendre cette déclaration obligatoire et la question devrait être tranchée lors du prochain mandat législatif; qui débute en juillet. Un autre outil vise à éviter les conflits d’intérêts. Chaque député européen est tenu de soumettre une déclaration d’intérêt financier, qui liste ses activités professionnelles. Les députés exerçant une activité en dehors de la politique ne peuvent pas faire de lobbying en lien avec le processus législatif européen, au cours de leur mandat et pendant les deux années suivant la fin de leur mandat.

Sachant que ces instruments de régulation existent et fonctionnent de façon satisfaisante, restreindre l’accès des lobbies au Parlement n’est pas justifié. En effet, ces derniers exercent une activité légitime, nécessaire et démocratique. Ils font entendre les voix d’une partie de la société et aident les députés à cerner certains enjeux. Au Parlement, les députés sont répartis en diverses commissions et délégations (emploi, environnement, transports, relations extérieures…). Ce travail législatif requiert un degré d’expertise élevé. Pour introduire un amendement sur un texte législatif très pointu, il faut avoir une connaissance précise de sujets parfois complexes. Et aucun député n’est spécialiste dans tous les domaines. Donc, en marge de ses propres recherches, l’élu rencontre les lobbies afin de comprendre les problématiques qui se jouent autour d’un sujet. Si une directive touchant aux banques se prépare, il est donc naturel que les députés entrent en contact avec des lobbyistes du secteur.

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