Peu d’auteurs choisissent l’entreprise industrielle comme cadre romanesque. Cet univers souvent méconnu ou décrié est pourtant l’un des principaux créateurs de richesses du pays, le théâtre privilégié de prises de responsabilités propices à l’épanouissement des hommes et l’espace le plus engagé en faveur de l’ascension sociale. C’est pourquoi, après avoir écrit un roman initiatique, Matthieu et la flûte traversière (collection Écritures de L’Harmattan), et un roman intimiste sur fond de guerre d’Algérie, L’Inconnu du marque-page (collection Littératures d’Orizons), l’idée m’est venue de mettre en scène ce milieu inexploré. Je me suis efforcé d’offrir une image équilibrée d’une scène où se jouent des conflits entre les partenaires sociaux, des rivalités entre les tempéraments bien trempés en charge des différentes directions, des tiraillements entre les sièges et les usines. « Je n’ai jamais fait autre chose que de tirer parti de ce que j’avais vécu », avait répondu Goethe à un ami qui l’interrogeait sur la teneur autobiographique de son ouvrage Les Affinités électives. Cette réplique découverte par hasard m’a en quelque sorte encouragé à me lancer dans une fiction où les situations seraient inspirées de celles auxquelles j’ai été confronté durant ma vie professionnelle.

Dans ce récit, le narrateur suit la trajectoire d’un centralien à partir du premier entretien chez le chasseur de têtes chargé de recruter le directeur général qui conduira le redressement d’une société en quasi-faillite jusqu’à la sortie victorieuse, deux ans plus tard, d’une grève dure qui aura failli détruire huit cents emplois.Les épisodes qui semblent les plus invraisemblables sont également inspirés de la réalité. Tel celui du commando monté par un ingénieur, ancien combattant volontaire en Indochine, pour délivrer son directeur d’usine séquestré en mai 1968 ; mais aussi celui du leader syndical qui, sous l’impulsion du DRH, monte sa propre entreprise et devient partenaire du site-même où, des années durant, il avait fomenté moult arrêts de travail. Quant à l’aspect romanesque, il réside essentiellement dans la réminiscence des liens tissés entre notre centralien et l’ancien capitaine de vaisseau, reconverti dans l’industrie, chargé de parrainer ses débuts dans l’industrie. Les enseignements de l’aîné auront, en effet, marqué le filleul au point que, devenu directeur général, celui-ci s’y référera sans cesse.

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