L’entrepreneuriat avec Jean-Louis Poiroux (H.88), fondateur des spas et cosmétiques Cinq Mondes

De l’idée jusqu’à la réussite en passant par le business model, le chemin de l’entrepreneuriat est pavé d’embûches. Pour comprendre et s’inspirer de ce qu’ont vécu les autres, HEC Stories recueille les témoignages de diplômés qui ont lancé leur marque dans le monde agité de la beauté.
Après Ning Li (H.06), le fondateur de Typology, Sabrina Herlory (H.02), à la tête d’Aroma-Zone, et Fleur Phelipeau (H.09), la fondatrice de D-Lab Nutricosmetics, Paul Michaux (H.15), le fondateur de Prose installé à New York, Mauhault de Guibert, cofondatrice de La Rosée, nous avons échangé avec Jean-Louis Poiroux (H.88), fondateur de Cinq Mondes, précurseur du marché des spas en France.
Se servir des années campus et de ses premières expériences
HEC, par la variété de ses enseignements, ouvre un vaste éventail de possibilités. Immédiatement après l’école, j’ai eu la chance de démarrer avec un VSN chez L’Oréal à Londres. Ces premières années chez L’Oréal, après Jouy-en-Josas, m’ont permis de réaliser à quel point le domaine de la beauté et des cosmétiques correspondait à la fois à ma créativité et à ce que j’ai découvert comme un goût profond. J’y ai quelques années plus tard créé une marque de A à Z, Fructis. Avec le recul, je dirai que c’était ma première expérience d’intrapreneuriat. Le parcours de création a été itératif, avec de nombreux rebondissements, ce qui m’a permis de présenter l’évolution du projet de nombreuses fois à Lindsay Owen Jones, le CEO de L’Oréal, et à Nicolas Hiéronimus, ce qui pour un jeune marketeur est la meilleure école qu’on puisse imaginer ! La marque a fait un carton à l’international, avec des parts de marché dépassant 13% dans de nombreux pays.
Construire son idée
L’expérience du développement très autonome de Fructis chez L’Oréal a fait germer l’idée de passer de l’intrapreneuriat à l’entrepreneuriat.
C’est à ce moment précis que j’ai été approché par Philippe Champion (H.84) le co-fondateur de Tag Heuer, devenue l’une des premières marques d’horlogerie mondiales en une quinzaine d’années. Philippe cherchait un successeur, alors que la marque était toujours indépendante et toujours très entrepreneuriale. J’ai adoré cette expérience. Deux ans plus tard, la marque se faisait racheter par LVMH. J’avais parlé à Philippe Champion d’un projet entrepreneurial que j’avais en tête depuis quelque temps et que j’avais baptisé Cinq Mondes. Philippe Champion m’a encouragé dans cette voie et a été mon premier investisseur. L’idée de Cinq Mondes est née lors de mes différents voyages aux États-Unis et en Asie pour Tag Heuer : j’étais impressionné par la montée du phénomène des spas dans ces deux régions, alors qu’il était peu développé en Europe à la fin des années 1990. J’ai alors voulu combiner mon attrait pour les médecines traditionnelles, dont les cours d’ayurvéda et de shiatsu que je suivais, avec un background cosmétique très fort. En alliant les deux, je pouvais faire un modèle de spa intégrant la cosmétologie française, mais avec une forte ouverture sur le monde.
Construire son business modèle
J’avais rédigé une dizaine de pages depuis Paris, où je décrivais dans les grandes lignes les inspirations pour la création de Cinq Mondes. Mais bien sûr, s’agissant de traditions ancestrales, il fallait que j’aille sur le terrain. Nous sommes donc partis avec ma femme pour faire le tour du monde pendant un an afin d’enrichir mes connaissances et affiner mon concept. Je prenais des idées de recettes de beauté, de produits ou de massage en Indonésie, au Japon, en Chine, au Maghreb, en Polynésie… J’avais un petit carnet avec moi que j’ai où je consignais quotidiennement toutes mes idées et j’en ai fait la synthèse pour imaginer ce à quoi ressembleraient le premier Spa Cinq Mondes et sa première gamme de produits cosmétiques. Nous sommes revenus de voyage en mars 2001. Puis c’est allée très vite avec l’ouverture du premier Spa Cinq Mondes près de l’opéra Garnier.
Le concept était tellement nouveau que le public nous appelait parfois au téléphone pour nous parler de l’adoption d’un chat ou d’un chien nous confondant avec la S.P.A. (Société protectrice des animaux) !
J’ai mis une année à concrétiser le projet : le développement des produits, le site internet, le Spa lui-même… C’était la première fois que je construisais quelque chose de 500 m², c’était tout à fait nouveau pour moi. Malgré cette nouveauté, en trois mois, notre Spa affichait complet et j’ouvrais en juillet 2002 notre première franchise de Spa Cinq Mondes au sein d’un hôtel Relais & Château sur l’île Maurice, le Paradise Cove…

S’associer… ou pas
Je n’ai pas fait les choses tout à fait seul. Ma femme a fait ce voyage autour du monde avec moi et avec son double cursus en psychologie et son expertise en médecines traditionnelles, elle m’a beaucoup soutenu et aidé dans le projet. Elle a d’ailleurs dirigé la formation au sein des spas des Cinq Mondes pour les praticiennes à travers le monde, jusqu’à la revente de l’entreprise en 2021.
Savoir repérer les opportunités sur le marché
Je n’ai jamais vraiment réfléchi de cette façon. De la même manière que pour Fructis, j’ai surtout été porté par mes intuitions et le plaisir de créer des environnements dans lesquels je me sentais bien. Pour Cinq Mondes, toutes mes passions (les médecines traditionnelles, ma propre formation en massages, l’architecture, les cosmétiques ou la création de fragrances) étaient réunies en un seul projet !
Le rôle de la presse
Cinq Mondes s’est vraiment développé grâce à la presse. La première année, nous avons eu 500 articles de presse, plus d’un par jour. La semaine d’ouverture, nous avions une pleine page dans Vogue, Elle et Marie-Claire. La presse nous a vraiment portés. Aujourd’hui, ce serait très différent, la notoriété se construit beaucoup avec les réseaux sociaux et les influenceurs mais à cette époque-là, la presse pouvait faire de vous une entreprise connue et reconnue.
La clef pour réussir
J’ai l’habitude de dire que la réputation, c’est la répétition. Parce que la répétition de notre identité que nous offrait la presse façonnait finalement notre identité par touches successives dans l’esprit de la communauté Cinq Mondes. J’ai eu aussi la volonté de « renommer » un secteur d’activité. Lorsque j’ai commencé à faire des spas, il y avait essentiellement des « instituts de beauté » qui faisaient pratiquer des « modelages » par des esthéticiennes dans des « cabines ». J’ai remplacé l’institut par le Spa, les modelages par des rituels de massage (et le mot rituel est, de nos jours, présent partout), j’ai renommé les esthéticiennes des spa-thérapeutes et les « cabines » des « suites de soin ». Je trouve que nommer, c’est également créer. Redéfinir la sémantique d’un secteur quand on invente un univers nouveau, c’est une démarche importante.
L’importance de la phase de test
Les échecs font partie intégrante de la trajectoire entrepreneuriale. J’ai, par exemple, sorti une collection d’aromacologie avec des huiles essentielles et des bougies, mais ça n’intéressait pas forcément nos clients, qui nous attendaient davantage sur des innovations de skincare et de soins. On a fait des flops, comme chaque entreprise, mais c’est le jeu de se réinventer continuellement lorsqu’on est entrepreneur.
Il y a eu des échecs, mais aussi de grandes réussites, telle que ma rencontre avec Henri Giscard d’Estaing du Club Med qui m’a dit en 2004 qu’il voulait monter en gamme le Club Med. J’étais un peu dubitatif au début parce que j’avais le cliché des Bronzés en tête. Puis je suis allé voir le Club Med de la Palmeraie à Marrakech et j’ai vu les 30 hectares, le chantier monumental avec un spa de plus de mille mètres carrés et j’ai compris la vision d’Henri Giscard d’Estaing… Cette rencontre a été décisive pour l’avenir de Cinq Mondes, puisque nous sommes, par la suite, devenus partenaire d’une douzaine de Club Med. À une période, il devait y avoir 30% des clients qui découvraient l’expérience Cinq Mondes dans les Club Med et les hôtels de luxe comme le Beau Rivage Place en Suisse, le Raffles à Dubaï, le Monte Carlo Bay. Ça a été un accélérateur phénoménal, notamment à l’international !
Bonus : Conseils pour les jeunes entrepreneurs
Le meilleur conseil que je pourrais donner à un jeune qui souhaite devenir entrepreneur est d’expérimenter le mentorat. HEC Society & Organisation le propose. J’ai moi-même été mentor deux fois, notamment pour deux jeunes d’HEC : Graffi Rathamohan (H.11) et Rudy Guenaire (H.11), les fondateurs de PNY, la chaîne de burgers gourmets. J’ai adoré passer du temps à les épauler dans leur projet et j’aurais aimé, il y a vingt ans, avoir une personne pour me mentorer. Que ce soit un HEC ou un entrepreneur confirmé, c’est un échange naturel où le mentor ne vous donne pas forcément toutes les solutions mais vous amène à vous poser des questions essentielles et à anticiper les choses. Il y a une grande richesse dans les rapports de mentors à mentorés, et cela fonctionne dans les deux sens.
Published by Loane Gilbert