Nadia Fettah Alaoui (H.94) : « Le jour où je suis devenue ministre »
En octobre 2019, Nadia Fettah Alaoui (H.94) a été nommée ministre du Tourisme, de l’Artisanat, du Transport aérien et de l’Économie sociale du Maroc ; elle est aujourd’hui à la tête du ministère de l’Économie et des Finances. Rencontre.
J’ai grandi entourée d’un père ingénieur et d’une mère brillante et très cultivée, mais qui n’avait pas eu les moyens de poursuivre des études secondaires, car elle avait dû commencer à travailler dès ses 17 ans. Il me fallait saisir l’opportunité qu’elle n’avait jamais eue ! Je suis, pour ma part, un pur produit de l’école publique marocaine que j’ai suivie jusqu’à ma dernière année de lycée. J’ai ensuite intégré la mission française, puis je me suis dirigée vers les classes préparatoires et HEC. Je n’avais pas de projet professionnel clair, si tant est qu’on puisse en avoir un à 17 ou 18 ans, mais une école de commerce me semblait offrir de nombreuses opportunités. J’ai donc passé mes classes préparatoires en France. Je trouvais que les jeunes Français ne mesuraient pas leur chance d’être nourris tous les jours par autant de savoirs dispensés par des professeurs passionnés et passionnants ! Lorsque j’ai intégré l’École, j’ai apprécié la vie associative très riche, la grande autonomie qui est laissée aux élèves, la possibilité de choisir, de découvrir, de changer d’avis aussi.
Du conseil à l’assurance
Mon diplôme en poche, je suis rentrée au Maroc, au grand dam de mes parents. Plutôt que de vivre une première expérience professionnelle en France, j’ai préféré m’investir dans mon pays d’origine. C’était important pour moi. Une fois sur place, j’ai scanné le marché et j’ai fait le choix de la sécurité : je suis allée dans un cabinet d’audit. C’était un bon observatoire de l’offre professionnelle pour de jeunes diplômés au Maroc, car j’ai vu de tout : de la petite industrie au service, en passant par l’hôtellerie…
Après trois ans, j’ai choisi de rejoindre une compagnie d’assurance dirigée par un ancien camarade de l’École. J’y ai relevé de nombreux défis en termes de leadership et de gestion de projets, notamment la reprise en main intégrale d’un département. Au bout de quelques années, la compagnie a fusionné avec une filiale d’Axa. J’ai vu arriver de véritables mercenaires rodés à ce type de fusions. Ils étaient pétris de certitudes et je ne me voyais vraiment pas travailler avec eux… C’est à ce moment-là que j’ai été contactée par des jeunes Tunisiens qui avaient monté un fonds d’investissement, AfricInvest. D’une façon un peu désespérée, ils m’ont offert un entretien, « parce qu’ils ne trouvaient pas de garçon ». Ça commençait bien ! Le dirigeant de la société était une sorte de patriarche, il considérait que le boulot était trop dur pour une femme. Je lui ai prouvé le contraire ! De manière générale, j’ai été témoin de comportements ou de propos sexistes, mais ça ne m’a jamais vraiment affectée. On ne peut pas dire que j’en ai souffert dans ma sphère professionnelle. Dans la sphère privée, en revanche, les gens ont parfois des réactions très dures : on est vite considérée comme une épouse ou une mère indigne lorsque l’on accorde trop de temps ou d’importance à son métier.
Au bout de cinq ans, j’ai décidé de quitter l’entreprise, et, de très bonne foi, je pensais entamer une année sabbatique. C’était en janvier 2005… À peine trois semaines plus tard, je reçois un appel pour me proposer de rejoindre le groupe Saham Assurance, dans lequel j’allais passer quinze ans et m’épanouir encore davantage. Pas idéale, comme année sabbatique, mais impossible que je ne fasse pas partie de l’aventure ! J’ai commencé en free-lance, puis j’ai pris la direction financière et, au bout de deux ou trois ans, on m’a cédé la direction générale.
Un maroquin inattendu
Lorsqu’en octobre 2019, j’ai été nommée ministre, c’était une surprise ! Je vivais loin de ces sphères, mais il y a eu un remaniement ministériel à mi-chemin du mandat et Sa Majesté avait demandé aux partis d’injecter des personnalités un peu différentes dans le paysage politique. Il voulait de la nouveauté, de l’expertise, de la jeunesse… Or, je venais d’être élue CEO de l’année au Africa CEO Forum, ce qui m’a offert une certaine visibilité. Et puis, il y a aussi un autre réseau : le club des femmes administrateurs, que j’ai cofondé en 2012. Cette association aide les femmes à accéder aux CA et à des postes décisionnaires, et fait aussi de la sensibilisation. On parle toujours de femmes rigoureuses, disciplinées, qui font de bons bras droits… C’est réducteur : on ne va jamais nous appeler parce qu’on est visionnaires, stratèges ou leaders. J’ai compris que cela ne changerait pas tout seul et je suis devenue très active sur ce champ de bataille. C’est peut-être aussi par ce biais que mon nom est parvenu jusqu’au gouvernement.
En arrivant au ministère, j’ai choisi de ne pas avoir de cabinet pendant deux mois et demi. Je voulais apprendre seule, et je tenais à aller moi-même à la rencontre des gens. Le secteur du tourisme se portait plutôt bien avant la crise, mais ses relations avec les pouvoirs publics et les banques s’étaient détériorées. J’ai consacré, et je consacre encore, mon énergie à rétablir une coopération apaisée. Évidemment, le tourisme et le transport aérien ont durement été touchés par la crise sanitaire. Personne ne pouvait imaginer l’ampleur que cela prendrait. Quand ça a explosé, la seule chose qu’on pouvait faire, c’est occuper tout le monde tous les matins, et essayer de ne pas se laisser submerger. Cela a été une bonne occasion de resserrer les liens entre les équipes, car il y avait une fracture entre les opérateurs de tourisme et le ministère. Et là, on n’avait pas d’autres choix que de travailler ensemble, les anciennes querelles ont été mises au congélateur.
Aujourd’hui, on est à la veille de signer un contrat-programme entre l’État et les acteurs du tourisme, qui fixe un accompagnement financier et une série d’obligations pour le secteur… Les frontières sont restées fermées jusqu’en septembre, mais je pense qu’on a eu raison de tenir bon cet été. D’autres pays ont fait un choix différent, mais les touristes ne sont presque pas venus et la saison a été assez chaotique. Les Marocains ont fait assez de sacrifices, on ne pouvait pas leur imposer une réouverture des frontières sans être sûr de pouvoir gérer une éventuelle récidive. Alors on s’est concentré sur le tourisme interne, qui permet une résilience. On pourrait passer la journée à imaginer des scénarios sur l’évolution du virus, mais personne n’est vraiment en mesure de prédire ce qui va se passer. Nous devons nous adapter, tous ensemble, à une situation inédite. Ce sont des moments compliqués, mais travailler dans l’adversité et le stress est pour moi très stimulant.
Propos recueillis par Clémentine Baron
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