Après une quinzaine d’années à la tête de grandes entreprises, dont notamment Best Buy qu’il a redressée, et redynamisée de 2012 à 2020, Hubert Joly est aujourd’hui professeur à Harvard et fondateur de la chaire Purposeful Leadership à HEC. Ce français installé à New York est à Paris pour un HEC Talks. L’occasion d’une rencontre pour aborder les grands chapitres de sa vie et de son livre : « L’Entreprise, une affaire de cœur».

 

« Mon livre est un appel à refonder l’entreprise autour des valeurs du sens et de l’humain et à procéder à une déclaration d’inter-dépendance entre l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise. C’est aussi un manuel pour tous ceux d’entre nous qui cheminent dans cette direction et qui savent d’expérience que tout ceci est plus facile à dire qu’à faire. »

 

HEC Stories : On vous connaît comme le grand patron qui a su sauver Best Buy d’une fin annoncée. Pourquoi avoir arrêté vos fonctions alors que vous étiez à l’apogée de votre carrière ?

 

Hubert Joly : J’ai senti que le moment était venu de passer la main notamment parce que mon équipe était prête à prendre le relais. La question de la suite s’est alors posée. J’ai décidé que je ne souhaitais plus être PDG. J’ai fait ça pendant 15 ou 20 ans. J’ai aussi considéré que 60, c’est le nouveau 40 ! Pour moi, les prochaines années doivent compter et seront peut-être les plus fertiles de toute ma vie. Je me suis posé la question du sens. Que vais-je faire de ces années ? Je souhaite apporter mon énergie et mon expérience à cette urgente refondation de l’entreprise autour du sens et de l’humain, et aider la prochaine génération de leaders à devenir la plus belle et meilleure version d’eux-mêmes.

 

HEC Stories : Vous enseignez à Harvard, vous avez créé la chaire Purposeful Leadership à HEC et aujourd’hui, vous publiez la version française de votre ouvrage aussi philosophique que didactique « L’Entreprise, une affaire de cœur ». Le travail doit-il être repensé ?

 

Hubert Joly : Le désir de savoir quel est le sens de notre vie est universel et on se questionne tous sur le sens que l’on veut lui donner. C’est l’un des fondements du livre qui découle d’un cheminement d’une trentaine d’années. Au début des années 1990, deux de mes amis moines m’ont demandé d’écrire avec eux un article de théologie et de philosophie sur la vaste question :  » pourquoi travaille-t-on  » ? Est-ce une punition parce qu’un imbécile a fauté au paradis {Adam, ndrl} ? Est-ce ce qui nous permet d’accéder ensuite aux loisirs ? Ou encore, est-ce que le travail fait partie d’un désir de réalisation ? Viktor Frankl disait que le travail est un moyen par lequel on peut s’épanouir. C’est mon opinion également.

 

HEC Stories : Tout au long des pages vous mettez à mal le modèle de réussite que l’on connaît en lançant « la finalité d’une entreprise n’est pas de faire du profit (…) il est urgent et nécessaire de placer le sens et les relations entre les personnes au centre de la refonte de notre façon d’aborder les affaires ». Ce changement est-il en marche ?

 

Hubert Joly : Oui ! Et il y a même une accélération dans cette voie. Même si je suis un éternel optimiste, il est vrai qu’il y a urgence : le monde dans lequel nous vivons ne marche pas. Nous avons une crise sanitaire, une crise économique, des tensions sociétales et raciales majeures, une bombe à retardement environnementale, des tensions géopolitiques, ça ne marche pas. Quelle est la définition de la folie d’après Einstein ? Faire la même chose et espérer un résultat différent. Nombreux sont ceux qui sont conscients qu’il y a un besoin urgent de refondre l’entreprise et son modèle économique Pour moi, cela doit se faire autour du sens et de l’humain.

 

HEC Stories : En parlant d’humain, vous racontez dans le livre le partenariat stratégique entre Best Buy et Amazon, « le fameux Goliath qui devait mettre à terre l’entreprise ». Cette alliance entre vos entreprises en a surpris plus d’un !

 

Hubert Joly : Quand Best Buy devait mourir, mon équipe et moi avons travaillé sur notre redressement. On a investi, dans l’expérience clients pour croitre, réduit les coûts pour financer nos investissements en prenant soin de traiter les réductions d’effectifs en dernier recours. Et nous nous sommes alliés avec les plus grandes entreprises du secteur de la tech, dont Samsung, Apple, Microsoft, Sony et Amazon. Amazon nous a donné l’exclusivité de sa plateforme de télévision intelligente (Fire TV) pour l’intégrer dans des téléviseurs uniquement disponibles chez Best Buy. Quand on a annoncé ce partenariat dans un de nos magasins près de Seattle, Jeff Bezos était là et a mis en avant le rôle clé que Best Buy joue dans la distribution de produits technologiques. Les journalistes présents étaient bouche bée. Le redressement de Best Buy s’est fait en appliquant les pratiques que j’explique dans mon livre. Best Buy était en chute libre quand je suis arrivé et 9 ans plus tard, le cours de bourse a été multiplié par 10 ; c’est pas mal ! Ce redressement m’a donné une légitimité pour parler des principes de leadership pour cette nouvelle ère dans laquelle nous sommes entrés. Ce livre est un appel et un manuel pour tout leader qui a envie de cheminer dans cette direction. Nous sommes tous au minimum leader de notre vie, donc ce livre s’adresse à chacun de nous. 

 

HEC Stories : En 2018, vous avez décidé de créer la chaire Purposeful leaderchip à HEC, pourquoi ?

 

Hubert Joly : Ce qui fait un bon leader aujourd’hui est sa capacité à savoir créer un environnement dans lequel les autres vont pouvoir s’épanouir. À mon époque à HEC, ces savoirs-être n’étaient guère abordés. HEC considère aujourd’hui à juste titre que ses programmes doivent nous aider à développer un leadership centré sur le sens, l’humain et l’ensemble des parties prenantes. Quand on a parlé de ce projet de chaire avec Peter Todd, la Fondation et Rodolphe Durand en 2018, on s’est tout de suite mis d’accord sur une grande ambition en la matière : que la totalité des étudiants passent par un apprentissage sur les sujets de sens et d’humanité. HEC est ainsi devenu pionnier en la matière ce qui en fait une de ses grandes forces.

 

« L’Entreprise, une affaire de coeur », éditions Plon, 20€. L’ouvrage sorti aux États-Unis en mai dernier, est paru à 60 000 exemplaires et va être adapté en 14 langues. Il est aujourd’hui disponible en française, la langue natale d’Hubert Joly.

 

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