Une des rares Françaises à avoir fait carrière à Hollywood, la productrice Sophie Mas (H.04) vit et travaille à Paris, entre un café avec Scorsese et un tournage avec Brad Pitt. Et tout a commencé à HEC…

Sophie Mas (H.04) Hollywood
Sophie Mas (H.04)
2004 – Diplômée d’HEC2008 Création de sa société Mas Films
2012 – Rejoint Rodrigo Teixeira chez RT Features (Brésil)2015 Sortie de The Witch de Robert Eggers
2018 – Sa productionCall Me By Your Name, de Luca Guadagnino, est couronnée par l’Oscar du meilleur scénario
2019 – Sortie d’Ad Astra, de James Gray
2021 – Crée une nouvelle société de production aux États-Unis

Petite fille, si l’on m’avait demandé ce que je voulais faire quand je serais grande, j’aurais répondu « avocate » ou « femme politique » ! J’avais envie de défendre des gens et des causes… Assez logiquement, j’ai fait hypokhâgne, khâgne, puis Sciences Po. Sans vraiment savoir à quoi ça allait me mener. Puis, en 2001, j’ai fait un stage à l’ambassade de France à Madrid. J’étais au service audiovisuel, je m’occupais de la promotion du cinéma français à l’étranger. C’est à ce moment que j’ai décidé de délaisser la politique pour me tourner vers le cinéma. J’avais 21 ans. Dans ma tête, je terminais Sciences Po et c’était bon… Mais quelques semaines avant la fin de l’année, des professionnels de différents secteurs sont venus à la rencontre des étudiants. L’un d’entre eux était le producteur et directeur de France 3 Cinéma, Jean-Claude Lamy. Cette rencontre a été un véritable déclic : je savais désormais que je voulais être productrice. Il m’a expliqué que j’allais avoir besoin de bases pratiques : apprendre à gérer une société, lever des fonds, mesurer les risques… Tout un langage qui m’était inconnu. C’est lui qui m’a recommandé de faire HEC. Je terminais Sciences Po début juin, il y avait un concours d’HEC en août… C’était juste, mais je pouvais tenter ma chance. Ça a marché ! Après un été particulièrement studieux, je suis entrée en septembre en section parallèle, directement en deuxième année.

Frontières culturelles

Ce n’était pas du tout la même culture qu’à Sciences Po. J’avais l’impression d’être un poisson hors de l’eau, mais j’étais aussi très excitée de découvrir un nouveau monde. J’ai vite compris que si j’avais monté ma société de production sans faire HEC, j’aurais mis beaucoup plus de temps à assimiler certaines notions. Étudier la littérature et l’histoire m’avait donné les clefs pour analyser le storytelling, mais en parallèle du côté créatif, il y a aussi un aspect managérial dans ce métier. Il faut savoir se mettre à la place de chaque personne avec qui on travaille, depuis le banquier jusqu’à l’acteur en passant par le monteur, et faire coïncider leurs besoins, leurs envies et leurs façons de travailler. Dans le cadre de mes études, je suis partie faire un stage à Los Angeles. J’avais toujours été très attirée par le cinéma américain, surtout celui de réalisateurs comme Paul-Thomas Anderson ou Sofia Coppola.

Mon travail consistait à lire des scénarios et à faire un premier tri entre ce qui avait une chance d’aller en production et le reste. J’ai commencé comme ça, en développement. Puis après la fin de mes études à HEC, j’ai eu envie de faire du plateau, simplement pour en comprendre la logique. J’ai démarré tout en bas de l’échelle, en tant qu’assistante-régie. J’ai ensuite été assistante de production, puis deuxième assistante à la réalisation sur des courts métrages. Pendant deux ans, j’ai fait mes armes. C’est durant cette période que j’ai rencontré Hervé Temime, un avocat très cinéphile, qui a cru en moi et a proposé de m’aider en investissant dans ma société. Plus que de l’argent, il m’a surtout donné confiance en moi. Grâce à lui, j’ai fondé ma société à 28 ans. Assez rapidement, je me suis rendu compte que j’aurais dû lancer mes projets en amont, car pendant le développement, qui peut prendre un an ou deux, on n’a aucune rentrée d’argent. Je me suis retrouvée dans une situation extrêmement précaire… Au bout de deux ans, j’ai finalement décidé de produire de la publicité en parallèle de mes projets. Ça a été dur à accepter : je réalisais que je ne pouvais pas vivre de l’art. Mais la publicité permettait de financer les projets plus artistiques, c’était finalement un bon équilibre et, pour moi, une bonne leçon.

La route des étoiles

Cela dit, je ne me sentais pas complète. Je voulais faire des films internationaux et conquérir le marché américain. C’était mon but, ma direction… Mon rêve ! Grâce à la pub, je faisais régulièrement des allers-retours à Los Angeles. Je profitais des tournages pour rester quelques jours et rencontrer des interlocuteurs. Je faisais le tour des festivals, toujours avec cette idée de renforcer mon réseau. À Cannes, en 2012, j’ai rencontré Rodrigo Teixeira, un producteur brésilien. On était extrêmement complémentaires. On a décidé de travailler ensemble, à distance : lui basé à São Paulo et moi, à Paris. Peu importe, on se verrait sur les tournages ! On a produit The Witch de Robert Eggers, énorme succès, ou encore Call Me By Your Name, pour lequel James Ivory a reçu l’Oscar du meilleur scénario… Et le premier film sur lequel on a travaillé ensemble, c’était le James Gray, Ad Astra. On a mis cinq ans à le faire, mais ça a été une expérience assez folle. Quand Brad Pitt a dit vouloir jouer le rôle, on n’y croyait pas !

“ Hollywood n’existe pas en fait, c’est un concept. On voit beaucoup plus Hollywood à Cannes qu’à Los Angeles ! ”

Sur le tournage, nous avions deux immenses entrepôts transformés en studio, dans lesquels les différents décors se côtoyaient.Vous savez, un tournage, où qu’il soit, c’est comme une fourmilière, chaque personne a sa mission, son rôle, tout le monde coexiste. À Hollywood, particulièrement sur des films à gros budget, cela peut prendre des proportions impressionnantes. Il faut savoir que, sur une journée de tournage, la moyenne de ce que l’on garde au montage final tourne autour de quatre minutes. Chaque prise demande une intense concentration. Cette période de ma vie a été magique : j’arrivais depuis la France à produire ces réalisateurs que j’admirais tant, à travailler pour Hollywood. J’étais en train de réaliser mon rêve ! Je découvrais aussi de nouveaux talents, que nous soutenions dans le cadre d’un partenariat avec Martin Scorsese.

Streaming et télétravail : le septième art à l’ère numérique

Être une Française à Hollywood, c’est un peu comme passer de Sciences Po à HEC : ce sont des codes différents, des façons de se rencontrer différentes… À Los Angeles, toute la ville est tournée vers le cinéma, c’est très particulier. Tous les jours, il y a une bonne histoire, un nouveau scénario. Il faut être compétitif, réussir à tenir sur la durée, c’est très difficile. Mais au-delà, Hollywood n’existe pas en fait, c’est un concept. On voit beaucoup plus Hollywood à Cannes qu’à Los Angeles ! Et le fait d’être française, d’être une outsider, me donnait des lunettes différentes pour filtrer les projets, repérer ceux qui plairaient à la fois aux publics américain et européen. En 2019, je suis arrivée à la fin d’un chapitre. Je voulais prendre un peu de temps pour réfléchir, et c’est à ce moment que le premier confinement est arrivé. Le bon timing pour faire une pause… L’été dernier, nous avons décidé de monter une nouvelle société de production avec Natalie Portman, basée aux États-Unis. Mais cette fois-ci, en alliant projets cinématographiques et séries pour la télévision et les plateformes.

Productrice à Hollywood : Sophie Mas (H.04)

Je continue à faire mon métier, en découvrant de nouveaux auteurs, de nouvelles façons de créer. Le confinement n’a fait que conforter l’idée que télétravailler depuis la France est tout à fait possible. Il faut juste se coucher un peu tard pour s’adapter aux horaires de New York ou Los Angeles ! La pandémie n’a pas arrêté mes activités, car, venant tout juste de monter ma société, j’en suis encore au stade de l’écriture et du développement des projets. Nos tournages ne devraient commencer qu’à partir de cet été. Espérons que les conditions sanitaires seront meilleures. La fermeture des salles de cinéma a eu un impact, bien sûr : les investisseurs sont plus frileux. Mais la bonne nouvelle, c’est l’essor de ces nouveaux acteurs que sont les plateformes, très demandeuses de contenus. J’ai déjà un « first look deal » avec l’une d’elles. En échange d’un financement de mes frais généraux, je m’engage à soumettre en premier à ladite plateforme tous les projets que je développe. Cela se fait beaucoup en ce moment. Je ne m’inquiète pas pour l’avenir. Je pense que quand on fait bien son travail et qu’on y prend du plaisir, il n’y a pas de raison que ça se passe mal. Et si l’on est passionné par son métier, là, on attire carrément les opportunités.

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