S. Chabanel et C. Avel

Depuis leur rencontre sur les bancs d’HEC, elles ne se sont plus quittées. Elles écrivent des romans chacune de leur côté, et animent ensemble des ateliers d’écriture en entreprise.

c’est l’histoire de deux jeunes filles entrées à HEC Paris en même temps, à la fin des années 1980. Christine Avel (H.90) et Sophie Chabanel (H.90) sont toutes les deux issues de familles d’enseignants et passionnées de littérature. Elles ont choisi l’école pour la renommée du diplôme plus que par intérêt pour le monde de l’entreprise. Provinciales et issues de petites prépas, elles se trouvent vite des points communs qui les rapprochent. Une forte propension à piquer des fous rires sans raison apparente achève de sceller une amitié de longue durée.

Trois décennies plus tard, les voici chez Christine, une maison coquette dans une allée fleurie du quartier du Bas-Montreuil (93); par un après-midi du mois d’août. Sophie, Nantaise d’origine, s’est installée à Lyon. Elle est venue exprès pour fêter la sortie du dernier ouvrage de son amie, prévue deux jours plus tard. Dans Ici seulement nous sommes uniques (Buchet-Chastel); Christine Avel puise dans ses souvenirs d’enfance pour peindre les vacances estivales d’une bande de jeunes sur le chantier archéologique d’une île grecque.

Dans quarante-huit heures, les proches de l’écrivaine seront conviés à trinquer au ouzo dans son jardin pour marquer le coup. Mais pour le moment, c’est en sirotant le thé que les deux amies papotent. Sophie Chabanel a, elle aussi, publié un livre, c’était au mois de mars : Le Blues du chat (Seuil), qui fait suite à La Griffe du chat (2018). Deux romans policiers où elle joue avec les clichés du genre : un tandem d’enquêteurs que tout oppose (la téméraire et rebelle commissaire et son acolyte émotif) mène l’enquête dans la région lilloise. En parallèle on suit l’histoire de Ruru, un chat rondelet inspiré de celui de l’auteure. À 50 ans, les deux amies combinent habilement leurs parcours d’écrivaines et leurs carrières, de formatrice pour l’une et de consultante pour l’autre.

La vie entre les lignes

À la sortie de l’école, Sophie Chabanel devient contrôleuse de gestion chez Motorola, puis consultante chez AT Kearney. Cette expérience, associée à sa passion des lettres, lui inspirera en 2001, un essai, Managers, relisez vos classiques !, qui confronte les principes du management aux grands textes de la littérature, pour mieux interroger la fonction de chef d’équipe.

Poussée par l’envie de trouver un job lié à ses convictions, elle bifurque rapidement vers le milieu associatif : d’abord déléguée régionale Île-de-France de l’Adie (l’Association pour le droit à l’initiative économique), elle rejoint l’Agence économique du Doubs (qui accompagne les entreprises dans leur développement), puis l’Association pour le logement des jeunes en difficulté, à Lyon. Le Principe de réalité, dans le labyrinthe de l’action sociale, qu’elle publie en 2015, dénonce l’absurdité et l’inefficacité des dispositifs d’aide sociale auquel elle a été confrontée en s’engageant dans cette association (qu’elle a quittée pour, dit-elle; « ne pas sombrer dans la dépression »).

 » Sortir les gens du langage stéréotypé de l’entreprise pour les amener vers le récit d’expériences leur permet de développer leur pensée différemment. ” Sophie Chabanel

Au-delà de ces prises de position liées à ses expériences, son goût pour l’écriture la pousse à explorer des genres variés. Son premier roman, Décompte, en 2006, décrit la douleur d’une trentenaire taraudée par le désir d’enfant. Deux ans plus tard, c’est une héroïne en décalage total avec le monde qui l’entoure qui multiplie les péripéties dans Birgit Pécuchet n’est pas une sainte. Depuis plus de dix ans, cette amoureuse des lettres propose également des formations à la communication écrite et à la prise de parole en public, ainsi que des ateliers d’écriture. Orange, Veolia, BNP-Paribas, Groupe Seb ou encore Suez figurent parmi ses nombreux clients. Pour animer ces ateliers, sa complice Christine Avel lui prête souvent main-forte.

L’imaginaire des valises

« Lors de ces stages, on essaie de sortir les gens du langage stéréotypé de l’entreprise pour les amener vers le récit d’expériences, ce qui leur permet de développer leur pensée différemment »; explique Christine Avel. Elle se remémore ainsi avec délectation ce cadre un peu inhibé, dont le français n’était pas la langue maternelle, qui a lu devant ses collègues médusés un texte acerbe et hilarant, où il les décrivait; défilant dans son bureau pour quémander une augmentation. Un exutoire bien plus intense qu’un escape game !

La Lyonnaise donne également des conférences thématiques sur l’entreprise vue par les écrivains, en s’appuyant sur des écrits de Maupassant, Balzac, Thomas Mann ou Annie Ernaux. À part ça, Christine Avel occupe le poste de consultante en développement et s’est spécialisée dans la micro-finance. Un domaine qui l’amène à souvent voyager en Afrique ou en Asie, à des milliers de kilomètres de son Auvergne natale.

« Le changement d’horizon nourrit mon imaginaire », précise-t-elle. Elle a vécu à Paris, au Cambodge, en Italie, et à Montpellier… Avant de revenir en Île-de-France. À HEC déjà, les deux amies rêvaient de parcourir le monde. « Dès la fin de la première année, on a choisi une filière qui se déroulait entièrement à l’étranger. J’ai fait mon mémoire en littérature américaine sur le théâtre d’Arthur Miller avec une prof à Barcelone ! », se souvient Christine Avel.

À cet égard; Autoportrait à la valise, dans lequel la narratrice s’interroge sur son perpétuel besoin de partir, est un roman sans doute autobiographique. Véritable militante de l’écriture; elle participe à la revue littéraire Décapage; imagine des fictions pour Radio France, et officie en tant qu’administratrice à la Société des gens de lettres. Son premier roman paraît en 2005.

Double Foyer suit l’incroyable histoire d’un homme myope dont la vie bascule après son opération au laser et sa brutale acuité. L’année suivante, elle signe L’Apocalypse sans peine, un recueil de nouvelles récompensé par le prix Jean Monnet des lycéens. Elle a depuis écrit six livres jeunesse, tous édités par L’École des loisirs.

Mots croisés

Si elles n’ont eu qu’un projet d’écriture à quatre mains; qu’elles qualifient d’« inabouti », les deux écrivaines sont partenaires d’une autre manière. Elles discutent de leurs idées, s’envoient des chapitres et des extraits par mails et donnent leurs avis. Elles parlent de « relectures croisées » comme d’un échange de bon procédé.

Christine raconte comment les phases successives d’euphorie; de doute; de remise en question et de découragement au cours du processus créatif rendent nécessaire l’échange avec une personne de confiance. « Il y a un petit côté coaching »; admet-elle. La complicité et la bienveillance viennent à bout de toutes les divergences; qu’elles soient de style, de rythme ou de méthode.

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