Les études neuroscientifiques ont montré que les décisions d’achat reposent pour une grande part sur des mécanismes cérébraux inconscients. Deux chercheurs d’HEC Paris, Anne-Sophie Bayle-Tourtoulou et Michel Badoc, expliquent comment les grandes entreprises analysent les émotions et le comportement inconscient des consommateurs pour déployer des stratégies de marketing plus efficaces.

Qu’apportent les neurosciences au marketing ?

Les avancées dans le domaine neuroscientifique permettent d’expliquer certains des comportements observés chez le consommateur. L’expérience Pepsi/Coca-Cola (M. McClure et Read Montague, 2004), l’une des expériences fondatrices du neuromarketing, a démontré par exemple que les consommateurs tendent à préférer Coca-Cola, non pas pour des questions de goût, mais parce que la marque suscite des émotions positives plus fortes. De façon plus générale, les techniques issues de l’imagerie cérébrale aident à prédire le comportement des consommateurs, ce qui constitue un véritable atout pour établir des stratégies valorisant l’expérience utilisateur. Nature & Découvertes, par exemple, utilise le marketing sensoriel dans ses magasins : tous vos sens sont sollicités, ce qui contribue à créer des émotions et à vous donner envie de revenir.

L’utilisation des neurosciences à des fins commerciales ne soulève-t-elle pas des questions déontologiques ?

Toute technique d’influence pose des problèmes éthiques. Les entreprises doivent être conscientes de la puissance de ces outils. Leur objectif ne doit pas être de tromper les utilisateurs, mais plutôt d’établir avec eux une relation de confiance à long terme. La protection des individus passe également par l’éducation : plus les consommateurs seront informés de la façon dont le cerveau fonctionne (et donc de la façon dont il peut être trompé), plus ils pourront être vigilants. Des dispositifs législatifs, comme les délais de rétractation, ont également été mis en place pour protéger le consommateur. Certains pays comme le Chili réfléchissent actuellement à la création de « droits du cerveau » pour empêcher que l’intégrité des individus soit bafouée par l’usage des neuro-technologies.

Vous insistez notamment sur l’influence du digital sur le cerveau. Quels sont les risques ?

Le digital, et en particulier les réseaux sociaux, est en train de changer la perception du cerveau. Là où le web 1.0 permettait la recherche d’informations, le web 2.0 donne la possibilité de partager son point de vue. Des communautés d’intérêts émergent et on observe que le cerveau individuel laisse place au cerveau communautaire pour prendre des décisions. Les conséquences négatives sont déjà visibles : fakes news, théories complotistes… Marketing ou non, il est donc essentiel de garder notre faculté de réfléchir par nous-mêmes… et notre esprit critique !

The Neuro-Consumer Adapting Marketing and Communication: Strategies for the Subconscious, Instinctive and Irrational Consumer’s. Anne-Sophie Bayle-Tourtoulou, Michel Badoc, éditions Routledge, 2020

Anne-Sophie Bayle-Tourtoulou
Anne-Sophie Bayle-Tourtoulou (H.91, D.96)
Diplômée de la Grande Ecole, titulaire d’un DEA de marketing et stratégie de l’université de Paris-Dauphine et d’un doctorat de sciences de gestion à HEC Paris, elle est professeur associé en marketinget directrice scientifique du certificat Executive Marketing & Digital d’HEC Executive Education.

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