Nouveau bateau, nouveau sponsor, nouveau souffle. La navigatrice Clarisse Crémer est sur le point de prendre le départ de la Transat Jacques Vabre aux côtés de son co-skipper Alan Roberts. Une course qui a bien failli ne pas avoir lieu. HEC Stories a pu l’interviewer avant qu’elle ne largue les amarres. Retour sur une année marquée par la débâcle médiatique.

Début 2023, Banque Populaire vous « laisse à quai » deux mois après la naissance de votre fille et vos espoirs de Vendée Globe 2024 s’éloignent. Un houleux débat de société s’en suit. Mais en avril, vous annoncez votre partenariat avec le groupe l’Occitane en Provence, la création d’une équipe et l’acquisition du bateau qui vous était initialement destiné avec le navigateur britannique Alex Thompson. Lequel du bateau ou du sponsor est venu en premier ?  

Clarisse Crémer : J’ai d’abord commencé par discuter avec Alex Thompson et nous nous sommes dit que l’on pouvait créer une équipe ensemble. On ne se connaissait pas personnellement mais nous avons tous les deux fait le Vendée Globe en 2020. De son côté, il avait des investisseurs pour acheter le bateau. Avoir un bateau pour faire ses courses, c’est le nerf de la guerre. On a commencé à discuter avec l’Occitane juste après. Je connaissais déjà très bien Adrien Geiger [CEO de l’Occitane en Provence, ndlr] parce qu’il avait déjà évolué dans le monde de l’IMOCA [International Monohull Open Class Association, une classe de bateau, ndlr] en tant que sponsor. Adrien était très enjoué à l’idée de participer à ce projet et le soutien qu’il a exprimé m’a fait beaucoup de bien dans une période incertaine.

La Fastnet Race de cet été marquait votre retour à la navigation après la naissance de votre fille. Comment avez-vous vécu cette reprise ? 

C. C. : C’était très bien, d’autant plus que nous avions mis le bateau à l’eau très peu de temps avant la course donc nous n’avions pas des objectifs sportifs très élevés. J’étais même un peu soulagée puisque j’avais l’appréhension de ne pas être à la hauteur ou de me dire « si ça se trouve, je n’aime même plus ça. » Mais ce fut un super moment avec mon co-skipper Alan Roberts et ça m’a fait beaucoup de bien.

Y-a-t-il des choses que l’on doit réapprendre après quasiment deux ans d’interruption ?  

C. C. : Le bateau, ça ne s’oublie pas dans la tête. En revanche, ça s’oublie dans le corps. De plus, j’apprends encore à connaître mon bateau et j’espère avoir tout découvert ou presque avant le prochain Vendée Globe. L’objectif, c’est de connaître mon bateau et d’être mieux dans mon corps d’ici un an.

Comment abordez-vous cette transat Jacques Vabre, que vous avez déjà faite en 2019 ? 

C. C. : Je suis super contente d’être là, parce que ce n’était pas gagné. Mon équipe commence à bien fonctionner. Cependant, j’ai absolument besoin de finir toutes les courses auxquelles je suis inscrite pour pouvoir être sélectionnée pour le Vendée Globe. J’ai ce stress en plus, qui va peut-être impacter la perf’ par moment. J’ai quatre transatlantiques à faire. La Jacques Vabre en double, puis je vais enchaîner directement la Martinique-Lorient en solitaire. Puis, deux transats en solitaire entre la France et les États-Unis au printemps prochain. J’ai hâte d’y aller. Je n’aime pas les jours qui précèdent un départ, c’est beaucoup d’obligations.

Avec du recul, quel regard portez-vous sur ce qu’on a appelé « l’affaire Crémer » ? 

C. C. : Cela a été une période difficile humainement puisque j’ai dû partir d’une équipe avec laquelle j’ai travaillé pendant plusieurs années. J’ai vécu une grande désillusion humaine. Paradoxalement, je pense être dans une meilleure position aujourd’hui puisque je suis avec des gens dont je partage la vision. J’ai pris la parole à l’époque car nous allions de toute façon annoncer la fin du partenariat et j’avais besoin de dire mon désaccord. On a pu me reprocher une volonté de faire du buzz, ce que je trouvais assez amusant dans la mesure où on me demandait initialement de signer un communiqué de presse commun. J’ai juste refusé de faire ça. Ce n’était pas agréable pour moi puisqu’avec un petit bout de deux mois et demi, on n’a pas forcément l’énergie de gérer un truc pareil.

J’avais annoncé deux ans avant ma volonté d’avoir un enfant. Rien ne m’obligeait à le faire. Ce n’est vraiment pas agréable de parler de son intimité de façon transparente, mais je l’ai fait dans l’espoir que ça se passe bien. Clairement, cela n’a pas été le cas. Ce que je retiens c’est que ça m’a fait beaucoup grandir.

Je trouve ça important de parler de la maternité sans tabou et de dire tout ce que cela comprend comme potentielle difficulté pour les femmes dans leur carrière professionnelle. On ne parle pas que du sport de haut niveau. Tous les témoignages que j’ai reçus concernaient notamment le monde de l’entreprise. La grossesse est parfois vue comme un manque de motivation par rapport à notre carrière. On se sent fautives face à des personnes qui jamais ne se posent la question des conséquences équivalentes pour les hommes.

Sans vouloir jeter la pierre à qui que ce soit, la grossesse n’est pas quelque chose que l’on peut mettre dans un tableau Excel. On ne peut pas prévoir exactement comment ça va se passer, à quel moment ça va arriver, et dans quel état on va être avant et après. Et ça, ça fait peur. Cette peur fait ressortir des choses compliquées chez les gens, notamment dans un univers stressant avec de la pression et des objectifs importants. Mais ce n’est jamais une bonne excuse.

Cela a-t-il changé la manière dont vous considérez vos partenariats ? 

C. C. : Désormais, ma politique est de dire les choses telles que je les envisage et de voir la réaction en face. J’adore le bateau, j’ai la chance d’avoir un métier de rêve, mais je ne veux pas tout oublier pour obtenir les financements pour faire mes projets. L’association de valeurs est essentielle à mon bien-être. L’Occitanie en Provence est une entreprise où les pères sont obligés de prendre un congé paternité de douze semaines.

Vous êtes depuis peu ambassadrice de l’association Ma Petite Planète. Comptez-vous vous engager publiquement sur la protection de l’environnement ? 

C. C. : Jusqu’à présent, j’étais assez frileuse de ces engagements là. Je ne voulais surtout pas donner l’impression de faire du greenwashing. Avec mon activité, la course au large, je ne suis pas neutre. L’impact est assez conséquent puisque nos bateaux sont 100% carbone. Il y a beaucoup de logistique autour de nos projets, de technologies sur nos bateaux. La construction d’un bateau neuf, c’est aux alentours de 600 tonnes de CO2. Tout le secteur essaye de faire des efforts, mais on fait de la compétition donc il y a un petit paradoxe. Sur l’environnement, j’ai du mal à avoir un discours clair sur ce qu’il faut faire. Je prends donc le parti de parler de mes contradictions. On en a tous, c’est le propre de l’histoire humaine.

 

Crédits photos : ©GeorgiaSchofield ©5 West_ PKC Media ©L’Occitane

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