Le 15 avril dernier, les images terrifiantes de la cathédrale Notre-Dame de Paris en flammes ont fait le tour du monde. Il aura fallu plus de quinze heures pour éteindre l’incendie qui s’était déclaré au niveau de la charpente. Beaucoup de Français et d’amoureux du patrimoine des quatre coins du monde ont manifesté une émotion sans précédent. Les montants des dons effectués pour la reconstruction de l’édifice ont même surpris une partie de l’opinion. Mais depuis quelques années déjà, le patrimoine connaît un regain de popularité. Guillaume Poitrinal (H.89), président de la Fondation du patrimoine, apporte une contribution majeure à la conservation, à la restauration et à la valorisation des petits et grands monuments de l’Hexagone. Et il y a du travail.

Le lycée Henri-IV, dans le 5e arrondissement de Paris, est installé dans l’ancienne abbaye royale de Sainte- Geneviève-du-Mont. Après avoir longtemps servi de dortoir, la bibliothèque de l’abbaye a récemment retrouvé sa fonction originelle. La coupole menace de s’effondrer et fait l’objet d’une souscription lancée par la Fondation du patrimoine.

Comment êtes-vous arrivé à la Fondation du patrimoine ?

Guillaume Poitrinal : J’ai grandi à Châtellerault jusqu’à l’âge de 16 ans et la Fondation du patrimoine a sauvé le petit théâtre à l’italienne de la ville, qui datait de 1850. Je m’étais un peu impliqué pour lever des fonds. Ça a été mon premier contact avec la Fondation. Et traditionnellement, la Fondation est dirigée par un ancien patron du CAC 40, c’est aussi peut-être pourquoi on m’a appelé à assurer la présidence en 2017.

Après l’incendie qui a ravagé Notre-Dame de Paris, la mobilisation populaire pour la reconstruction de la cathédrale vous a-t-elle surpris ?

Guillaume Poitrinal : Oui ! Nous avons été les premiers à lancer une souscription, en réaction au phénomène de créations spontanées de cagnottes. Car il existe toujours un risque d’escroquerie. Il vaut mieux que les dons, surtout lorsqu’ils sont faits sous le coup de l’émotion, soit collectés par des organismes reconnus. Quand un événement aussi dramatique et médiatisé survient, chaque heure compte : les dons arrivent rapidement et ce flux est éphémère. Très vite, les gens passent à autre chose. Nous avons voulu répondre à cette émotion populaire et nous avons été débordés : nos serveurs internet ont été saturés, nous avons été obligés d’augmenter leur capacité le lendemain. Une grande partie de nos 600 bénévoles se sont mobilisés spécialement pour répondre au téléphone, parce que les gens voulaient donner, mais aussi parler.

Et nous avons reçu des dizaines de milliers de chèques, des tirelires entières de gamins de 8 ans, des ordres de virements de personnes très âgées qui vidaient leur Livret A… Des dons en nature, aussi : des centaines d’artisans qui rêveraient de travailler à la reconstruction. On veut tous être des bâtisseurs de cathédrales. Et même des dons d’arbres, des milliers d’arbres dont certains, plantés par des aïeux ou liés à des histoires familiales, avaient une forte charge symbolique. La préservation des monuments prend tout son sens dans ces moments-là, celui d’une responsabilité vis-à-vis d’un peuple et de son histoire.

“ Je suis toujours étonné, quand je visite une région, par la richesse de son patrimoine.”

Quel a été le montant des dons reçus par votre Fondation pour financer le chantier de Notre-Dame ?

Guillaume Poitrinal : Nous avons reçu les dons de 225 000 personnes pour un montant de 24 millions d’euros. À cela s’ajoutent les souscriptions de grands contributeurs (environ 30 millions d’euros) et les dons des grands mécènes entreprises (167 millions), avec lesquels nous travaillons sur la base de conventions. En tout, cela représente environ 221 millions d’euros. Devant l’importance des dons et vu le soutien magnifique de très grandes fortunes, nous avons arrêté cette collecte après un mois pour lancer la souscription « Plus jamais ça ! », consacrée à la mise en sécurité de tout le patrimoine français.

Ce n’est malheureusement pas la première tragédie qui touche le patrimoine français…

Guillaume Poitrinal : C’est vrai, à peu près tous les dix ans, un drame terrible touche le grand patrimoine. On se souvient du château de Lunéville (qui a subi plusieurs incendies, dont le dernier en 2003, ndlr), de la cathédrale de Nantes (partiellement détruite par les guerres, puis par un incendie en 1972, nldr), ou encore du Parlement de Bretagne (incendié en 1994, ndlr)… Aujourd’hui, la sécurité du patrimoine laisse encore à désirer.

C’est le défi de la France : nous avons l’un des plus beaux patrimoines du monde, et nous sommes les plus mauvais d’Europe pour l’entretenir. Je suis toujours étonné, quand je visite une région, par la richesse de son patrimoine. Même dans une petite ville en reconversion, avec 30 % de chômage et un paysage urbain désaffecté, on ouvre une porte et on se retrouve dans une magnifique chapelle du XVe siècle. Pendant très longtemps, les communes ont été chargées de l’entretenir, mais elles en ont rarement les moyens, pas plus que le département ou la région, d’ailleurs. C’est pour cela qu’on existe. “ Je suis toujours étonné, quand je visite une région, par la richesse de son patrimoine.”

La générosité des Français peut-elle compenser ce manque de moyens ?

Guillaume Poitrinal : Traditionnellement, les Français ne sont pas très enclins à donner : ils estiment qu’ils paient suffisamment d’impôts pour que l’État prenne en charge ces dépenses. Aujourd’hui, les mentalités changent et il y a un vrai « réservoir de dons ». Je crois que le réflexe de générosité s’auto-entretient : plus on donne, plus on est généreux. Et c’est heureux, car les causes sont nombreuses. Il faut donner à la Fondation du patrimoine et donner à la Fondation HEC : l’égalité des chances est aussi une cause majeure à notre époque. Personnellement, je donne aux deux fondations.

Existe-t-il un public particulièrement sensible à la question du patrimoine ?

Guillaume Poitrinal : Au début, cette cause touchait surtout les milieux de la bourgeoisie. Je pense qu’aujourd’hui, avec le loto et Stéphane Bern, et avec l’incendie de Notre-Dame, il y a eu un effet de médiatisation qui a permis de sensibiliser le grand public, et notamment les jeunes. C’est encourageant !

Décor peint, ornementation sculptée et vitraux : la coupole de la bibliothèque du lycée Henri-IV est une réalisation exceptionnelle. Le peintre Jean Restout (1692-1768) y a représenté l’Apothéose de Saint-Augustin enlevé par les anges et brûlant les livres des hérétiques.

C’est vous qui avez lancé le loto du patrimoine ?

Guillaume Poitrinal : Oui, avec Stéphane Bern, et sur une vieille idée du maire de Versailles, François de Mazières. Nous avons été voir la Française des jeux et le ministère de l’Économie et des Finances en leur proposant un jeu qui s’adresserait à un public différent. Le succès a été bénéfique à la Fondation du patrimoine; qui a doublé son budget en un an (de 25 à 50 millions d’euros). Mais aussi à la Française des jeux, qui a pu toucher un public nouveau. Et, grâce aux taxes sur les jeux, même Bercy est gagnant dans cette affaire. En Angleterre, une très grande partie des budgets du National Heritage provient de la loterie nationale. La Française des jeux avait aussi à l’origine un but philanthropique, puisqu’elle devait contribuer à venir en aide aux blessés de guerre en 1918.

Dans l’idéal, quel budget devrait-on consacrer aux monuments et bâtiments historiques ?

Guillaume Poitrinal : Avec la mission Bern, nous avons effectué un recensement des sites en péril et estimé les besoins à environ 2 milliards d’euros. Pour bien faire, il faudrait 300 millions d’euros de budget annuel (c’est d’ailleurs ce que dépensent les Anglais pour l’entretien de leurs monuments).

« L’utilisation d’infrarouges, de sondes et d’IRM permettent d’écouter en direct la souffrance d’un bâtiment »

Selon quels critères décide-t-on qu’un bâtiment est historique, qu’il fait partie du patrimoine ?

Guillaume Poitrinal : Il n’y a pas vraiment de règle. C’est le fruit d’une concertation, où plusieurs facteurs entrent en compte. On apprécie les avis des architectes des bâtiments de France, on organise des débats avec les directions régionales de l’action culturelle. Il s’agit de savoir si un objet présente un caractère de rareté; s’il répond à des critères esthétiques spécifiques à une époque, un style ou une école; si les artisans ont recouru à des techniques qui n’existent plus… Au terme de toutes ces discussions, une commission se réunit à l’échelle régionale pour délivrer son verdict.

Les technologies du numérique peuvent-elles jouer un rôle en matière de patrimoine ?

Guillaume Poitrinal : Bien entendu. Et à plusieurs égards. La modélisation en 3D, très utilisée en architecture, permet des projets de rénovation complexes. Une impressionnante reconstitution de la charpente de Notre-Dame a été réalisée avec cette technique. Cette technologie permet aussi de proposer au public des visites virtuelles de nombreux bâtiments; tels qu’ils existent ou tels qu’ils seront une fois rénovés ! Ce sont des visites qui peuvent être faites en ligne, sur internet. Internet est une vraie révolution, dans le sens où il permet un contact direct avec le public.

La Fondation est donc très présente sur internet ?

Guillaume Poitrinal : Oui, nous sommes actifs sur les réseaux sociaux : Facebook, Twitter. Notre site internet propose 2 940 projets de rénovation pour lesquels une souscription est ouverte. La grande force d’internet, c’est de créer des petites communautés d’intérêts locaux ou thématiques. Chacun peut ainsi trouver un bâtiment ou un projet de restauration auquel il sera sensible; soit parce qu’il lui rappelle son enfance, sa maison familiale; soit parce qu’il correspond à ses convictions religieuses, ses goûts artistiques, ses passions, etc.

Peut-on imaginer une seconde vie pour les monuments ?

Guillaume Poitrinal : Je ne suis pas pour que toutes les églises du XIXe siècle restent vides. Cela ne me dérange pas que certaines soient désacralisées et deviennent des restaurants, des hôtels ou des boîtes de nuit ! Cela crée des emplois. Restaurer, c’est recourir à une main-d’oeuvre locale, à des entreprises qui forment les jeunes à des métiers formidables. Entretenir un patrimoine, c’est aussi enclencher un cercle vertueux, et regarder vers l’avenir… En gardant comme objectifs la préservation et la transmission.

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