Hier, on s’imaginait gober des « repas-gélules » en guise de déjeuner. Mais l’avenir a changé. Les préoccupations environnementales et sociales du consommateur façonnent les contours futurs du secteur alimentaire, tout autant que les attentes en matière de nutrition et de gain de temps. Si la perspective d’avaler une fricassée de criquets ou un burger sans viande marque facilement les esprits, le futur dans nos assiettes apparaît plus complexe et plus nuancé. Plus riche, peut-être. Directeur général du fonds Danone Manifesto Ventures (DMV), Laurent Marcel (H.94) scrute les innovations du secteur depuis son bureau new-yorkais. Un horizon foisonnant.

Si vous deviez imaginer un menu typique de l’année 2050…

Laurent Marcel : Ce serait un menu de produits frais, savoureux et respectueux de l’environnement. Des plats à base de protéines végétales, de légumes et de fruits, le tout ni trop sucré ni trop gras et sans emballage plastique. Avec, en dessert, pourquoi pas des fruits cultivés en ville ? La start-up française Agricool, dans laquelle notre fonds Danone Manifesto Ventures (DMV) a investi, fait déjà pousser des fraises en plein Paris, avec une grande économie d’eau [en culture dite hydroponique, c’est-à-dire hors sol, sur un substrat neutre et inerte, ndlr].

Dans la science-fiction comme dans l’inconscient collectif, gélules et « alicaments » (contraction d’« aliment » et « médicament ») composent l’archétype de la nourriture du futur. Cette vision est-elle périmée ?

Laurent Marcel : Cela reste une tendance importante, mais elle se marie désormais avec d’autres préoccupations. Aujourd’hui, pour être considéré comme sain, un aliment ne doit pas seulement être bénéfique pour la santé. Il doit aussi être issu d’un mode de production qui respecte la planète et ne fait pas souffrir des animaux. La nouvelle conception d’une alimentation saine est très liée à l’écosystème. Ses teneurs en protéines, minéraux, sucres ou gras ne sont plus l’alpha et l’oméga. Et puis, ce mythe d’une alimentation purement fonctionnelle remonte à une époque où nous n’imaginions pas être capables d’allier nutrition optimisée, gain de temps et plaisir. Nous savons désormais que c’est possible, et les consommateurs n’accepteront jamais de nourriture qui n’offre aucun plaisir gustatif ou ne permet pas une expérience sociale de partage. Même si c’est très bon pour leur corps et pour la planète.

Bio:1994 Diplômé d’HEC. 1995 Admis au Barreau de Paris, il entre au Cabinet Gide Loyrette Nouel. 2002 Rejoint le groupe Danone en tant que Directeur corporate finance, à Paris, puis Directeur financier de filiales en Russie et en Indonésie. 2011 Nommé Directeur général de Danone Inde, à Mumbai. 2016 Devient Directeur général de Danone Manifesto Ventures, à New York.
© Pascal Perich

Les start-up qui créent l’alimentation de demain doivent donc plancher sur la qualité des produits, mais pas seulement…

Laurent Marcel : Oui, la Food Tech, au sens large, travaille sur de nombreux aspects. La distribution, par exemple, est un domaine où se dessinent des innovations prometteuses. Ainsi, la société Farmer’s Fridge, a installé, dans des immeubles de bureaux et des campus de la ville de Chicago, des frigos connectés qui proposent des produits frais. Ces machines géocalisables conservent l’historique des commandes pour adapter l’offre aux habitudes des consommateurs. La start-up affiche l’ambition, un peu folle en apparence, de convertir les Américains à une alimentation saine au quotidien…

Au-delà des modes de distribution, le consommateur de 2050 sera également sensible à la responsabilité sociale des marques. La société Harmless Harvest, basée en Thaïlande, l’a bien compris. Pour produire une eau de noix de coco bio, elle propose à ses agriculteurs un programme de salaires garantis et de couvertures sociale et médicale. L’industrie agroalimentaire n’est plus perçue comme un simple producteur de biens de consommation, mais aussi comme l’expression de choix de société.

Le menu de demain sera bien sûr dans nos assiettes, mais sera-t-il aussi sur les réseaux sociaux ?

Laurent Marcel : Cela paraît évident, au regard des tendances actuelles. De plus en plus de personnes, en particulier des jeunes, prennent leurs repas en photo pour les partager sur des réseaux sociaux comme Instagram. Ce phénomène renforce la dimension communautaire, l’expérience sociale associée aux repas, en la prolongeant sur le web. D’ailleurs, cette place accordée à l’image est l’un des facteurs, parmi d’autres, qui accentuent le goût des consommateurs pour des aliments colorés et aux textures agréables à l’oeil.

Comment les start-up qui concoctent l’alimentation de demain tirent-elles parti des outils du numérique ?

Laurent Marcel : Le numérique a réduit les barrières à l’entrée. Aujourd’hui, l’achat d’un espace publicitaire sur une grande chaîne de télévision n’est plus un passage obligé. On voit émerger de nouveaux modèles de réussite, plus rapides et non conventionnels. En étant présentes sur les réseaux, les marques peuvent désormais créer des communautés autour de leurs produits, ou encore proposer des offres personnalisées. L’exemple des Français Michel et Augustin illustre parfaitement cette évolution : ils n’utilisent jamais le terme de « marketing » et n’ont quasiment pas eu recours à la publicité au sens classique. Ils ont créé une « tribu » et ont partagé la vie de leur équipe sur les réseaux sociaux. Cette idée a très bien fonctionné !

En 2050, le consommateur ne sera donc pas lassé d’adhérer à des marques ?

Laurent Marcel : Non, mais les consommateurs seront encore plus flexibles qu’aujourd’hui. Leur panier se composera d’un mélange de grandes marques (qui n’auront pas disparu et auront encore des choses à proposer) et de plus petites.

« La nouvelle conception
d’une alimentation saine est
très connectée à l’écosystème »

Dans les pays dits développés, l’alimentation humaine repose sur quelques espèces végétales et une trop grande quantité de protéines animales. Ce qui pose problème en matière de sécurité alimentaire et d’écologie. Quelles solutions se profilent pour 2050 ?

Laurent Marcel : Le vrai défi, ce n’est pas de lancer de nouveaux produits et de nouvelles marques, mais de nourrir l’humanité sans endommager la planète. Aujourd’hui, aux quatre coins du monde, des entrepreneurs cherchent de nouvelles sources de protéines ayant un faible impact écologique. Et les découvertes se multiplient dans ce domaine. Par exemple, la start-up Sustainable Bioproducts a découvert des micro-organismes riches en protéines dans les sources volcaniques du parc de Yellowstone, aux États-Unis. Mais rien n’indique pour l’instant qu’un jour, nous cesserons totalement de consommer des protéines animales.

Quelles sont les habitudes culturelles ou agricoles qui pourraient accélérer – ou ralentir – cette transition vers l’alimentation de demain ?

Laurent Marcel : Les paramètres sont innombrables. On peut citer l’exemple des États-Unis, où l’industrie agroalimentaire est allée tellement loin, tant dans l’élevage intensif que dans le recours aux fertilisants et aux plastiques, qu’en réaction, la prise de conscience de la population et des entrepreneurs a été très violente, à la mesure des excès. De plus, dans des pays comme la France, la Chine ou l’Inde, où la tradition d’acheter des produits frais sur les marchés est restée ancrée, il y a un terrain favorable pour construire une alimentation plus saine. Mais il ne faut pas oublier que cette révolution alimentaire sera aussi rythmée par le pouvoir d’achat et les prix des produits, avec des variations inter et intra-étatiques.

Laits végétaux : « En Europe et aux États-Unis, les consommateurs, soucieux de leur santé et de la planète, sont de plus en plus nombreux à diversifier leur panier de produits laitiers avec des produits à base d’amande ou noix de coco. Les marques fleurissent sur ce secteur : Alpro en Europe, So Delicious ou Silk aux USA… »
© Pascal Perich

Le menu de 2050 se composera-t-il de plats préparés à la maison ou livrés à domicile ?

Laurent Marcel : Un peu les deux. La livraison à domicile est déjà une tendance forte, avec des acteurs très innovants à l’image de Yumble, qui livre des repas pour enfants sains et délicieux, avec un business model reposant sur l’abonnement. Toujours dans l’idée de faire gagner du temps aux parents urbains et actifs, la start-up bordelaise Yooji propose une gamme de purées pour bébés biologiques et surgelées. Que ce soit par la livraison à domicile ou le e-commerce, établir un lien direct avec le consommateur apparaît aujourd’hui comme un enjeu essentiel. Mais il est encore trop tôt pour savoir quels modèles et entreprises seront pérennes, tant le secteur est dynamique.

Les magasins n’auront donc pas disparu… À quoi ressembleront-ils ?

Laurent Marcel : Il est évident que le secteur de la distribution va évoluer. On assiste aujourd’hui à une convergence entre le magasin physique et le magasin online – aux États-Unis, Whole Foods Market a été racheté par Amazon. Et les magasins eux-mêmes deviennent des lieux d’expérience, alors qu’ils étaient auparavant de simples lieux de consommation. Le géant chinois du web Alibaba a ouvert des magasins physiques à Shanghai, avec un restaurant, notamment. Partout, on veut innover sur le self check-out – le fait de réaliser soi-même son passage en caisse. Enfin, de nombreux entrepreneurs travaillent à améliorer et personnaliser l’information du consommateur en magasin, en développant diverses applications.

La Food Tech est au coeur de la révolution de l’alimentation. Quels sont les autres secteurs à surveiller si l’on s’intéresse à l’alimentation du futur ?

Laurent Marcel : Il y en a plusieurs. L’Agritech, qui met au point des robots pour remplacer le désherbage chimique par un désherbage mécanique, par exemple. Ou encore ou encore la lutte contre le gaspillage alimentaire, domaine où certains Français sont à la pointe, comme la start-up Phenix. Beaucoup de choses vont changer d’ici à 2050. Trente ans, c’est long pour le secteur !

 

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