“La rapidité est l’essence même de la guerre.” Cette citation de Sun Tzu n’a jamais été aussi pertinente qu’aujourd’hui, que ce soit dans le contexte de la guerre en Ukraine, la guerre économique, les stratégies ou les développements technologiques. L’intelligence artificielle, par ses capacités et son accélération, représente une véritable révolution face aux enjeux de souveraineté et de défense.

 

Le 8 janvier 2025, le Club HEC Aerospace, Defense & Security a eu le plaisir d’accueillir quatre intervenants de premier plan pour discuter des enjeux et des opportunités de l’IA dans la défense. Bertrand Rondepierre, directeur de la nouvelle agence ministérielle pour l’intelligence artificielle de défense (Amiad), Stéphane Royer, directeur data et IA chez Thales, Antoine de Braquilanges, directeur général France de Helsing, et Jean-Yves Courtois (EM.14), directeur général de Safran.AI (ex-Preligens), ont croisé leurs visions et leurs expertises sur les ruptures à l’œuvre au cours d’une table ronde introduite par Philippe De Mijolla (MBA.17) et animée par Jérôme Bouquet (E.14).

 

L’essence de l’IA dans la défense

Bertrand Rondepierre a ouvert la discussion en soulignant que l’IA est une technologie de rupture, comparable à la révolution de l’atome. Selon lui, l’IA va transformer la manière de faire la guerre de façon significative. Il a insisté sur la nécessité de réinternaliser les compétences en IA au sein du ministère des Armées pour répondre aux besoins opérationnels et technologiques. “Nous devons dépasser l’époque des preuves de concept et intégrer l’IA dans nos systèmes de manière concrète et opérationnelle”, a-t-il déclaré.

 

Des applications concrètes et réelles

Jean-Yves Courtois a partagé des exemples concrets d’utilisation de l’IA, notamment dans le traitement des images satellitaires pour détecter des objets d’intérêt militaire. Il a également mentionné l’importance des drones dans le conflit ukrainien et l’utilisation de l’IA pour naviguer en environnement GPS dégradé. “L’IA est déjà utilisée sur le terrain, que ce soit en Ukraine ou par la direction du renseignement militaire en France, a-t-il précisé. Nous voyons une adoption croissante de ces technologies dans des contextes réels et critiques.”

 

Le modèle européen de Helsing

Antoine de Braquilanges a présenté Helsing, une entreprise européenne spécialisée dans l’IA de défense, qui a levé 780 millions d’euros pour développer des technologies autonomes et résilientes. “Nous avons les moyens, les capitaux et les talents pour créer un acteur de l’IA de défense de niveau mondial”, a-t-il affirmé. Il a souligné l’importance de créer un acteur européen de l’IA de défense pour garantir l’autonomie stratégique de l’Europe. “Nous devons saisir cette opportunité pour ne pas répéter les erreurs du passé et rater les virages technologiques.”

 

L’initiative CortAIx de Thales

Stéphane Royer a présenté CortAIx, une initiative de Thales qui rassemble plus de 600 ingénieurs et chercheurs du Groupe, premier déposant de brevets en IA des systèmes critiques en Europe. CortAIx vise à accélérer le développement de l’IA dans les systèmes de défense grâce à ses trois piliers : CortAIx Labs (recherche), CortAIx Factory (production industrielle d’IA) et CortAIx Sensors (développement de capteurs intelligents), capitalisant sur sa connaissance des métiers et des 5 milieux, son expertise en IA de confiance, sa maîtrise des environnements contraints et ses capacités de cybersécurité avancée. “Nous avons déjà intégré des capacités d’IA dans plus de 150 produits, a-t-il expliqué. Mais nous devons aller plus loin et plus vite pour répondre aux besoins croissants des forces armées.”

Défis et perspectives

La table ronde a mis en lumière les défis liés à l’intégration de l’IA dans la défense.

• L’accès aux données. La qualité et la quantité des données sont cruciales pour le développement de l’IA. L’obtention de données opérationnelles est difficile dans le domaine de la défense, par nature, secret. Cela nécessite des modalités d’accès particulières et balisées. “L’IA est une science de la donnée. Nous avons besoin de données réelles et de qualité pour entraîner nos algorithmes”, a insisté Jean-Yves Courtois.

• La qualification des algorithmes. Les algorithmes d’IA comportent toujours une part d’erreur, même infime. Il n’est aujourd’hui pas possible de garantir que l’IA ne fera aucune erreur. Aussi, dans des contextes critiques où la vie des hommes et l’intégrité d’infrastructures stratégiques sont en jeu, il est essentiel de développer des méthodes pour garantir à la fois une fiabilité suffisante et une performance élevée des algorithmes d’IA. “Nous travaillons sur des méthodes de qualification robustes pour nos algorithmes”, a souligné Stéphane Royer.

• La collaboration entre acteurs. Il n’est pas possible d’acheter un système d’IA sur la base d’une spécification comme sont achetés les équipements classiques. Cela doit passer par des itérations dans le temps avec les utilisateurs et un accompagnement pour formuler des attentes atteignables. En cela, le ministère des Armées, au travers de l’Amiad, doit devenir un “bon client” pour les acteurs de l’IA militaires et civils en étant plus compétent et en adoptant des relations proactives. “Nous devons être capables d’intégrer des technologies innovantes de manière agile et efficace”, a affirmé Bertrand Rondepierre.

• Les effets d’échelle et l’investissement. Le développement d’un acteur européen de l’IA de défense, à vocation mondiale, nécessite des investissements très importants, investissements difficilement supportables par un seul État, et qui doivent intégrer également des investissements privés. “Les effets d’échelle que nous pouvons atteindre grâce à ces investissements permettront de développer des technologies d’IA de défense alliant masse et autonomie, pour plus de résilience à l’échelle européenne”, a insisté Antoine de Braquilanges.

 

Un changement de paradigme

L’intelligence artificielle entraîne un changement de paradigme profond où le temps, l’accès aux données, la rigueur industrielle, les effets d’échelle et la collaboration entre divers acteurs sont des facteurs de succès essentiels.

Bien que l’intelligence artificielle suscite un engouement considérable au-delà de ses réalisations actuelles, la réalité rejoint rapidement l’imagination avec des scénarios de traitement massif de données, d’aide à la décision et d’autonomisation des capteurs et effecteurs. La table ronde a mis en lumière l’importance de l’IA dans la défense et les efforts nécessaires pour intégrer cette technologie de manière efficace. Les intervenants ont insisté sur le fait que l’Europe dispose du potentiel pour devenir un leader mondial dans ce domaine, à condition de surmonter les défis et de favoriser la collaboration entre les différents acteurs.

Jérôme Bouquet (E.14), vice-président du Club HEC Aerospace, Defense & Security

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