24h avec Florian Bercault (H.16)
Coup de théâtre au cœur de la Mayenne ! Le maire sortant renonce à se représenter aux élections municipales de Laval. Ce qui place un jeune HEC en bonne place pour remporter l’hôtel de ville. Récit d’un premier jour de campagne.
« Normalement, ça ne devrait être qu’une formalité, elle a déjà dit oui » m’assure-t-il. Installé au premier étage de son petit local de campagne, il parle à voix feutrée, comme pour déranger le moins possible le silence de la petite rue Saint-André, dont les pierres se réchauffent doucement aux premiers rayons clairs du soleil de janvier. « Elle », c’est une ancienne chorégraphe, une figure connue des 50 000 habitants de la capitale mayennaise. Ce matin, elle doit confirmer son inscription sur la liste électorale Demain Laval Ensemble. Et cette célébrité est une recrue précieuse pour cette liste de centre gauche qui porte en tête le nom peu connu d’un entrepreneur de 29 ans, diplômé d’HEC : Florian Bercault (H.16).
9h, QG de campagne
Quand elle se présente, c’est en amie que le jeune candidat l’accueille. En revanche, elle ne s’attend pas à voir un journaliste et a un mouvement de recul : « Ce n’est pas de la presse locale au moins ? » s’enquiert-elle, réellement inquiète. La rumeur ici peut donc être si féroce qu’on craigne plus les colonnes du Courrier de la Mayenne qu’un article dans un grand quotidien national ? Florian la met à l’aise puis, impatient d’entrer dans le vif du sujet lui demande en souriant : « Alors ? » « Alors, je suis désolée, mais c’est non. » Le jeune homme accuse le coup. Elle s’explique. Il y a des raisons personnelles, le manque de temps, et puis ce qui apparaît rapidement comme le motif réel de sa reculade : la crainte de s’exposer. En consolation, elle rejoindra tout de même le comité de soutien et lui enverra des notes sur ses projets. « Et si vous avez besoin de dossiers pour dégommer le camp d’en face, j’en ai plein », offre-t-elle en s’en allant. Dont acte, Florian devra se mettre en quête d’une nouvelle colistière. Une tâche délicate. « Il faut équilibrer finement les âges, les sexes, les professions, les quartiers et les associations représentés », m’explique-t-il.
Pour trouver la pièce manquante à ce puzzle, il n’y a pas mille solutions : il faut démarcher sur le terrain. Et si ça ne suffit pas, on cherche tout bêtement dans l’annuaire. En espérant que les sympathisants ne se défilent pas face au qu’en-dira-t-on. « Certains craignent l’engagement à cause du confinement et de l’entre-soi dans lesquels on a longtemps maintenu la politique à Laval. La ville est depuis toujours dans la main de quatre grandes familles qui font la pluie et le beau temps ».Ces familles, m’explique Florian, ce sont les B., qui administrent un empire des produits laitiers, les G., rois de la carrosserie automobile, etc. Une coterie de notables pour laquelle roulerait le candidat du centre droit. Face à cela, lui entend incarner, avec sa liste de novices en politique, un renouveau radical. Voilà qui rappelle quelque chose ! Ce jeune entrepreneur bien mis, aux idées progressistes, qui s’entoure de nouvelles têtes et a construit son programme via une plateforme participative, le reconnaît d’ailleurs : « En apparence, je suis l’archétype du candidat macroniste. » Pourtant, il n’a jamais été adhérent à La République En Marche. « J’ai l’impression qu’Emmanuel Macron appuie à toute force sur le bouton “progrès” sans avoir de vision de long terme et sans savoir où il va. » Alors pour me montrer sa vision à lui, il m’invite à faire un tour en ville.
10h30, place de la mairie
Au bout de la principale rue commerçante, la tristement nommée « rue des Déportés », nous débouchons sur la place du 11-Novembre, centre névralgique de la ville et enjeu le plus disputé de la campagne. Les listes s’affrontent autant pour y emménager (c’est là que se trouve l’hôtel de ville) que pour la réaménager. Tous veulent réduire l’emprise du grand parking qui se trouve en son centre, mais « la droite veut en faire une halle commerciale, je veux la rendre aux habitants, aux associations et à la vie civique », nous dit Florian. Nous passons aussi devant le Château-Neuf, magnifique édifice Renaissance, entièrement vide et dont il aimerait peut-être faire un espace dédié au Douanier Rousseau, une des célébrités de Laval. Mais pas question pour lui de figer un programme « clés en main » : tout, de la rénovation thermique à l’organisation des mobilités, doit se décider avec les Lavallois.
11h, rendez-vous média
Florian a beau avoir une bonne tête, une équipe investie, une expérience politique déjà significative, il sait qu’il ne pourra gagner qu’en comblant le plus vite possible son manque de notoriété. Être présent dans les médias locaux est donc une priorité. Du coup, pas question de faire la fine bouche : on accepte toutes les interviews. La semaine prochaine il déjeune avec des journalistes de Ouest-France, mais ce matin, c’est avec Mediascop qu’il a rendez-vous, une chaîne Youtube à la ligne éditoriale assez obscure. L’objet de l’entretien n’est pas très clair non plus. « On m’a vaguement parlé d’un dessin à commenter », avoue-t-il. Et en effet son interlocuteur lui présente une caricature. Deux personnages se tiennent devant des bureaux de vote déserts : « Ben dis donc, sacrée abstention aujourd’hui ! », dit l’un. « Mais non, le maire a été élu au premier tour la semaine dernière ! », répond le second, dans un trait d’humour assez ténu. Assis à la table d’un café du centre-ville, Florian a cinq minutes pour en faire un commentaire face caméra. À côté de ça, les oraux d’HEC, c’est du gâteau. Il s’en sort assez habilement, par un propos général sur les dangers de l’abstention, et en invitant les Lavallois à aller voter, avant d’aller régler les consommations des deux youtubers. Une addition qui s’ajoutera aux frais de campagne, dont le total devrait avoisiner les 70 000 euros, financés par un prêt personnel (et remboursés s’il recueille 5 % des suffrages ou plus). Pas donné ! Est-ce qu’au moins, c’est une bonne situation, maire de Laval ? « À vrai dire, je ne connais même pas la rémunération du maire, mais évidemment, on ne se lance pas là-dedans pour l’argent.
Avec HEC et mon entreprise, je pourrais gagner bien mieux ma vie et plus facilement ». Alors, qu’est ce qui peut pousser un diplômé même pas trentenaire à se jeter dans la vie politique locale ? « Me mettre au service des autres, défendre l’intérêt général dans une ville qui me tient à cœur, des raisons assez classiques finalement. » C’est aussi un rôle dans lequel il se sent à l’aise. Plus jeune, il était souvent délégué de classe et à HEC, il a même fondé le premier syndicat d’étudiants de grande école. « Et puis, mes voyages, au Mexique notamment, m’ont fait prendre conscience de l’importance d’avoir un personnel politique honnête et compétent. Lorsque j’étais à Guadalajara, en échange universitaire, j’ai pu constater ce que la corruption et le narcotrafic avaient fait à cette ville et à ses habitants. ».
12h30, restaurant Le Palatium
Florian, le sait, la qualité principale d’un bon candidat, c’est sa capacité d’écoute. Il ne faut pas prendre à la légère cette expression un peu galvaudée. Face à des administrés à la langue bien pendue, il faut savoir encaisser et ne jamais relâcher son attention. C’est la mission qui l’attend pour le déjeuner en compagnie du président d’une des plus grosses associations sportives de Laval. Ancien syndicaliste, le personnage a le franc-parler jovial et il est manifestement ravi de cette occasion de raconter tous les errements municipaux en matière de politique du sport. Une heure durant, nous nous laissons immerger dans un discours fleuve plein d’allusions (pour moi parfaitement incompréhensibles) à d’anciens événements de la vie locale ou à des notables que, par prudence ou goût du mystère, on évite soigneusement de nommer. Lorsqu’on aborde le sujet du plan électrique « aberrant » de la future salle polyvalente, je rends les armes. Pas Florian, qui maintient une écoute active et prend des notes dans son petit carnet. Il faut dire que la rencontre est importante : le secteur associatif lavallois est extrêmement vivace et bénéficie d’un engagement très fort des habitants. Il est capital de les prendre en compte dans son projet. Et il vaut mieux sentir la température auprès des dirigeants des grands clubs, car il est de tradition, à Laval, que ces derniers organisent un débat entre les prétendants à la mairie. Un débat où la langue de bois n’a pas sa place et où, innovation de cette année, les participants pourront même décerner des cartons jaunes ou rouges aux candidats qui en feraient usage. Au dessert, le président sort une feuille avec les points sur lesquels il compte les interroger. Mais quand Florian s’approche pour la saisir, il lui retire vivement des mains : il ne faudrait pas gâcher le spectacle !
14h, l’arme fatale
En quittant le restaurant, Florian reçoit un message : c’est son père. Il vient d’arriver de Paris, et apporte un matériel important. On presse le pas en direction de la place de la Trémoille. Debout à côté du camion, le père nous regarde, le sourire en coin et soulève le hayon, révélant un gros engin à trois roues, noir de jais comme une Batmobile. Tel Q dans James Bond, il en fait la démonstration à son fils : pas de grappin ou de siège éjectable, mais un gros coffre pouvant contenir des milliers de tracts, un petit toit, une sorte de voile en remorque où s’affichera en grand le portrait du candidat, le tout mis en branle par une batterie électrique et des pédales. C’est un triporteur, la machine de guerre du militant, un équipement dont ne disposent pas ses adversaires et qui pourrait bien lui procurer un avantage stratégique. « Pour moi, une campagne se joue sur le terrain. C’est d’ailleurs éprouvant physiquement. Avec mon équipe, on va passer des semaines debout toute la journée, à arpenter la ville. Le triporteur va nous aider à être visibles et efficaces. »
14h30, porte à porte
Battre le pavé, aller à la rencontre des habitants, Faire les marchés… voilà sur quoi il compte pour remporter la bataille. Cet après-midi, il s’attaque aux commerces proches de son local du centre-ville. Et on démarre par la boutique d’un barbier qui l’accueille avec un respect mâtiné d’un peu de défiance : « Moi, je ne fais pas de politique, ça ne fait pas bon ménage avec le commerce » se plaît-il à répéter. Pas de politique, pas de politique, mais il ne faut pas le pousser beaucoup pour découvrir tout un programme micro-local, mûri sans doute en rasant ses clients. Bientôt, on ne l’arrête plus : « Depuis la nouvelle DSP (délégation de service public, NDLR) sur les contraventions de stationnement, c’est devenu l’enfer pour nous. On se prend amende sur amende. Il faut en urgence mettre en place un macaron commerçant, il n’y a pas de raison que seuls les artisans du BTP en bénéficient. Et puis, dans la rue, on a un sujet de propreté et d’odeur. On croit que ça vient de la boulangerie d’à côté parce que c’est vrai, la levure, ça moisit et ça peut sentir. Mais, en fait, le problème vient des bacs à fleurs de la rue, que les chats utilisent comme des litières géantes. J’ai demandé leur enlèvement aux services de la mairie, mais je n’ai pas eu de réponse », etc. Florian prend note, approuve certaines idées mais se retient de promettre quoi que ce soit, se contentant d’assurer le commerçant qu’il prendra ses idées en compte pour son programme. Démonstration est faite en tout cas : il sait mettre les gens en confiance.
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C’est parti ! Affublé de son écharpe orange (couleur de sa liste), celui qui deviendra peut-être maire de Laval est prêt à battre le pavé de sa ville à la conquête de ses futurs électeurs.
17h, à la maison
Retour au domicile de Florian pour préparer le discours qu’il prononcera ce soir, à l’occasion de l’inauguration de son local de campagne. « C’est un peu le bazar, nous venons d’emménager », s’excuse-t-il. Et en effet, le couple n’a visiblement pas eu le temps de s’installer pour de bon. Mais c’est un désordre presque monacal, on sent que tout a été mis en suspens pour une cause plus importante que la déco. Son épouse Flora est elle aussi engagée dans la vie politique mayennaise, c’est d’ailleurs comme ça qu’ils se sont rencontrés. À l’occasion, elle donne à Florian des recommandations de stratégie électorale et là, elle n’est pas d’accord avec les quelques piques qu’il prévoit d’envoyer à son adversaire : à son avis, il faut prendre de la hauteur. Oui, répond Florian, mais on ne doit pas être dans le béni-oui-oui. Le camp d’en face n’a qu’à bien se tenir. En tout cas, assis à sa table de travail, c’est la première fois qu’il paraît un peu moins serein. Très concentré, on l’entend s’exhorter, gesticuler, sans jamais perdre son calme toutefois face aux nombreuses personnes qui l’interrompent. C’est qu’il reste encore de nombreux détails pratiques à régler et que, équipe ou pas, c’est souvent sur lui que retombent les petites tâches imprévues. D’ailleurs, il est temps d’aller voir comment ça se prépare au QG de la rue Saint-André.
En une journée, l’ancienne boutique de rhum s’est métamorphosée en local de campagne, inauguré le soir même !
18h, inauguration du QG
L’ambiance y est tout autre que ce matin. La petite boutique au charme médiéval est pleine de colistiers qui s’affairent aux derniers réglages. Sur les murs un peu tordus, on a tendu des cartons orange et vert (pas le temps de refaire la peinture). Ce sont les couleurs de la liste et on les retrouve un peu partout (sauf sur la poubelle : il n’y avait que rose, alors tant pis, on aura une poubelle Parti socialiste). Orange aussi sont les écharpes officielles qui vont permettre aux colistiers de se faire repérer facilement par les habitants. Elles sont un peu trop grandes alors chacun essaie de trouver une manière seyante de les nouer… Mais déjà une petite foule commence à s’agglutiner devant la vitrine : sympathisants, presse, simples passants, tous sont curieux d’entendre le nouveau candidat. Il commence donc, logiquement, par se présenter. Et son premier but est de couper court à une possible accusation de parachutage : « Non, certes, je ne suis pas né à Laval, je ne me suis pas contenté de me donner la peine d’y naître. Mais j’y ai grandi et j’ai choisi de m’y installer, pour y fonder une famille. » Les mots sont choisis pour rassurer et désamorcer une autre fragilité potentielle : sa jeunesse. Chef d’entreprise (il ne dit jamais startupeur), marié, il est stable et mûr pour le poste. Le reste de son propos est consacré à exposer les grands axes de sa campagne et les valeurs qui animent sa liste. Un discours somme toute assez consensuel, mais bien à son image : sincère, optimiste et accessible. Un style que le public semble apprécier, on l’écoute avec tendresse et on l’entoure, dès que les discours sont terminés, pour profiter du petit cocktail de chips et sodas rapidement mis en place par son équipe. Et c’est dans cette ambiance simple et conviviale que démarre pour de bon la bataille des municipales à Laval.
Published by Arthur Haimovici