1. L’espace est un secteur réservé à des pays ou des entreprises aux moyens colossaux.

Andrew Nutter, directeur de Gama Space, start-up d’exploration du deep space en voile solaire, mentor pour le programme CDL d’HEC.

FAUX Depuis les années 1960, l’époque où les États-Unis et l’URSS se battaient pour être les premiers à poser le pied sur la Lune, le secteur de l’espace a connu de profonds bouleversements. Durant la seconde partie du xxe siècle, l’espace paraissait inaccessible au commun des mortels. Mais au cours de la dernière décennie, deux phénomènes ont tout changé : la réduction massive des coûts de lancement et la standardisation et la miniaturisation de satellites. Cela a apporté au secteur de nouvelles technologies et de nouveaux capitaux, mais aussi une culture du risque qui avait disparu depuis les premières missions. Si bien que, aujourd’hui, la croissance du secteur est l’une des plus élevées au monde (près de 11 % par an), et elle suit une courbe exponentielle, ce qui attire de nouveaux investisseurs : quasi inexistants il y a cinq ans, les acteurs privés du secteur spatial pèsent 12 milliards d’euros, soit 15 % des 80 milliards d’euros des revenus gouvernementaux. L’intervention d’acteurs a accéléré la diminution des coûts d’accès à l’espace. Pour exemple, nous avons créé l’entreprise Gama avec le budget d’une start-up digitale. Et pour lancer notre propre satellite, nous allons utiliser le programme de transport low cost Rideshare de SpaceX. Pour réserver un créneau, il suffit d’entrer sur leur site la masse de nos équipements, la date souhaitée et c’est tout !

2. Les entreprises privées vont se substituer aux États.

Arthur Sauzay, expert du spatial auprès de l’institut Montaigne et avocat chez Allen & Overy.

FAUX Le secteur privé a toujours été associé à la conquête spatiale : la fusée qui a amené Armstrong sur la Lune a été construite par Boeing et Lockheed Martin à la demande de la NASA. Depuis les années 2000, les entreprises ne se limitent plus à exécuter des commandes publiques, elles sont force de proposition. Ce changement de paradigme s’appelle le « New Space ». Les constellations de satellites de Starlink (SpaceX) ou Kuiper (Amazon) en sont de bons exemples, tout comme Elon Musk qui veut envoyer des hommes sur Mars avec des fonds privés. Pour autant, le secteur public réalise 80 % des investissements. Des projets majeurs comme Ariane-6, le nouveau télescope spatial James Webb, la Station spatiale internationale (SSI) ou encore les satellites militaires sont financés par des États ; 20 % de fonds privés, cela peut sembler faible, mais ce ratio augmente : des dizaines de milliards de dollars sont investis dans le New Space, y compris en France, par des acteurs privés comme le fonds Expansion, qui vise les 300 millions d’euros. L’investissement public restera encore longtemps majoritaire. L’espace constitue un enjeu géostratégique majeur pour les États. Les systèmes GPS ou Galileo sont des infrastructures critiques gérées par les États. Enfin, le vol habité, qui reste du ressort du public (à part le tourisme spatial), est un symbole de la rivalité entre la Chine et les États-Unis. Les grands États ne sont pas près de se désengager du spatial.

3. Le développement des activités spatiales profite surtout à l’industrie des télécoms.

Lucien Rapp, professeur à HEC Paris et à l’Université Toulouse 1 Capitole, auteur de New Space Property Age: at the crossroads of space commons, commodities and competition.

FAUX La mise en service prochaine de mégaconstellations de petits satellites (Starlink, Kuipers, OneWeb…) peut faire illusion, puisqu’elles ont pour principal objectif de fournir l’Internet par satellite au plus grand nombre. Et il est vrai que les télécommunications sont l’un des trois principaux usages des technologies spatiales, aux côtés de la géolocalisation (GPS) et de l’observation de la Terre (météorologie, surveillance du climat). Mais c’est le segment des applications commerciales qui a connu le développement le plus significatif. Du repérage des bancs de poissons à l’assurance au kilomètre, de la mesure du degré d’hygrométrie des terres cultivées au suivi de la salinité des océans, de la robotisation des usines au commerce en ligne ou aux opérations de change, les services commerciaux faisant appel aux technologies spatiales se sont multipliés. Demain, une grande partie de l’énergie électrique d’origine photovoltaïque pourrait être produite depuis l’espace. Il faut y voir l’influence des grandes révolutions technologiques, tirées par le numérique et l’intelligence artificielle. L’économie de l’espace de demain pourrait être moins celle des infrastructures que celle des données fournies par l’observation spatiale.

 

4. Il y a trop de déchets en orbite basse autour de la Terre.

Christophe Bonnal, expert en débris spatiaux au Centre national d’études spatiales (CNES).

VRAI La croissance du nombre de déchets est préoccupante. Dans l’orbite basse de notre planète, on dénombre 150 millions d’objets de plus de 1 mm, 1 million de débris de plus de 1 cm et 36 000 objets de taille supérieure à 10 cm. Or, il faut savoir qu’une collision en orbite avec un débris de 1 cm crée le même impact qu’une Renault Laguna lancée à 130 km/h sur Terre. Cela suffit à détruire un satellite. Si les accidents sont rares, la Station spatiale internationale (SSI) doit tout de même manoeuvrer cinq fois par an en moyenne pour éviter une collision. Ses blindages sont efficaces pour des débris de 1 cm maximum. Les objets les plus dangereux sont ceux qui font entre 1 et 10 cm car on ne les voit pas arriver mais ils résistent à la capacité de blindage. Statistiquement, un gros satellite a 8 % de chances d’être détruit après un impact avec un débris. Si on parvenait à retirer les 40 plus gros déchets de l’orbite basse, la probabilité de collision passerait de 8 % à 7 %. La multiplication des projets de constellation (Starlink, Kuiper, OneWeb) va mécaniquement entraîner une croissance du nombre de satellites en orbite basse et donc des risques de collisions. Or il n’existe pas de gendarme de l’espace susceptible d’obliger les opérateurs à nettoyer leurs déchets, c’est-à-dire à les désorbiter.

5. On manque de solutions pour désengorger l’orbite basse.

Ane Aanesland, fondatrice de la start-up ThrustMe, lauréate du concours HEC Challenge Plus.

FAUX Certes, aucune solution n’a été à ce jour déployée de manière viable et à l’échelle industrielle pour désengorger l’orbite basse. Mais l’espoir est permis ! Environ 26 000 objets de plus de 10 cm sont « trackés » depuis la Terre, dont seulement 5 000 satellites en fonctionnement. Le reste est constitué de déchets, de satellites « morts » ou de morceaux de fusée. Dans les dix prochaines années, entre 25 000 et 300 000 satellites (la fourchette est large, je vous l’accorde !) seront envoyés en orbite basse. Les risques de collisions vont donc encore augmenter. Il est impératif de concevoir des satellites capables d’éviter les autres objets, et de se désorbiter en fin de mission. Cela implique de les équiper d’un système de propulsion. Pour l’instant, on n’a pas trouvé de solution économiquement viable. Les systèmes de propulsion sur le marché sont trop grands et trop complexes. En outre, ils utilisent généralement du xénon, un combustible coûteux dont la production mondiale est limitée – la demande de l’industrie spatiale dépasse l’offre. Issue des centres de recherche de l’École polytechnique et du CNRS (Centre national de la recherche scientifique), la start-up que j’ai fondée, ThrustMe, a développé un système de propulsion électrique très performant fonctionnant avec du propergol à l’iode. Il coûte moins cher et est mieux adapté aux minisatellites. Il constitue une solution intéressante pour désengorger l’orbite basse.

6. L’exploration de l’espace est incompatible avec l’écologie.

Amicie Monclar (H.16), directrice générale de Zephalto, voyagiste spatial bas-carbone.

PAS SI SIMPLE On estime que le voyage spatial émet en moyenne entre 500 et 1 000 t de CO2 par vol, soit cinq fois le budget carbone d’une vie. On serait tenté de dire qu’espace et écologie ne font pas bon ménage. Pourtant, ce n’est pas forcément le cas. Chez Zephalto, c’est justement cette menace qui nous a poussés à fournir une solution durable : en utilisant des ballons fonctionnant à l’hélium et captant l’énergie solaire, nous proposons des vols touristiques stratosphériques bas-carbone. Avec une empreinte équivalente à la consommation d’une côte de boeuf. En outre, nous pensons que l’expérience vécue dans la stratosphère, cette vision choc de la Terre protégée par un simple halo bleu, appelée overview effect, aura un effet de prise de conscience et donnera aux participants l’envie de s’engager pour préserver la planète. La vaste majorité de ce que l’on sait du réchauffement climatique, de la fonte des glaciers, de l’état des océans ou encore de la qualité de l’air, nous le devons au secteur spatial, grâce aux satellites d’observation, mais aussi de télécommunication et de navigation. 60 % des 54 données nécessaires pour prendre des décisions sur le changement climatique ne sont observables que depuis l’espace. Enfin, rappelons que les technologies de pointe utilisées dans le secteur du spatial sont souvent réutilisées pour la conception d’équipements liés aux énergies renouvelables.

7. La Chine est devenue le leader de l’industrie spatiale.

Philippe Coué, auteur de La Chine veut la Lune (1) et de Rêves de Mars, les projets d’expéditions habitées vers la planète rouge.

PAS ENCORE Les États-Unis sont encore leaders du secteur. Mais pour combien de temps ? La Chine cherche à dépasser les États-Unis dans le domaine spatial. L’an dernier, l’empire du Milieu a opéré plus de 50 tirs. Une progression impressionnante, puisque la Chine ne faisait que cinq ou six tirs par an au début des années 2000. Il en va de même pour les vols habités. À ce jour, la Chine a envoyé avec succès une vingtaine de personnes dans l’espace. La station spatiale chinoise accueille en permanence des taïkonautes pour des missions de six mois. La Chine se prépare même à envoyer des hommes sur la Lune et vise, à terme, d’installer une base sur notre satellite naturel. En 2021, Pékin a réussi l’exploit de poser un rover sur Mars. Et Xi Jinping a beaucoup d’autres projets. Dès 2030, la Chine pourrait envoyer des installations-pilotes de centrales solaires orbitales. À l’horizon 2040, le pays veut transporter chaque année 10 000 personnes et 10 000 t de fret dans l’espace. Son ambition est sans limite : il évoque même un voyage sur Uranus à l’aide d’un véhicule à propulsion nucléaire !

8. Sans la Russie, l’avenir de la Station spatiale internationale (SSI) est menacé.

Luca del Monte, chef du service commercialisation à l’Agence spatiale européenne et consultant pour HEC Innovation.

FAUX La première chose à rappeler au sujet du retrait de la Russie de la Station spatiale internationale (SSI), c’est qu’il n’est absolument pas officiel. Si des déclarations ont bien été faites par les Russes dans la presse ou sur les réseaux sociaux, aucun de ses partenaires, qu’il s’agisse de l’Agence spatiale européenne (ESA) ou de la NASA, n’en a été averti. De plus, les règles du jeu supposent de donner à tous ses partenaires un préavis d’un an. Pour autant, certains projets impliquant la Russie ont d’ores et déjà été suspendus, comme les missions martiennes. Quoi qu’il en soit, l’avenir de l’ISS est indépendant de la présence ou non de la Russie : elle terminera sa vie au plus tard en 2030. Elle subit en effet une obsolescence importante car soumise à un environnement extrêmement hostile, notamment à cause des radiations. Aujourd’hui, la garder en vol coûte trop cher par rapport à d’autres options, portées notamment par des acteurs privés, ce qui illustre le formidable développement de l’espace commercial ces dernières années. Quatre stations issues de fonds privés sont en phase de développement et scrutées par la NASA et l’ESA : celles de Blue Origin, Nanoracks, Axiom et Northrop Grumman. Elles seront ouvertes à des corps d’astronautes privés et des touristes, mais aussi à des astronautes institutionnels. C’est sous cette forme que la coopération internationale pourra se poursuivre dans la prochaine décennie. Le retrait de la Russie, s’il finit par être effectif, ne fera probablement qu’accélérer ce phénomène.

9. On pourra bientôt extraire des métaux rares sur la Lune.

Luca Boccaletto (E.16), directeur du service évaluation et qualité de l’Agence spatiale européenne.

PAS SI SIMPLE Dans l’espace, surtout sur les astéroïdes, on trouve de nombreux métaux : platine, iridium, osmium, palladium… Autant d’éléments rares sur Terre qui servent à la fabrication de produits issus des nouvelles technologies. Sur la Lune, ces métaux sont peu présents, mais on trouve de l’eau et de l’hélium 3, deux éléments qui pourront servir de carburant pour les vaisseaux spatiaux. Tout cela attire des investisseurs, au vu de la raréfaction des ressources terrestres. Extraire ces minéraux paraît envisageable à moyen terme, à condition d’apprendre à dompter des températures extrêmes, les radiations et d’adapter les techniques minières. Mais la vraie question est de savoir s’il serait financièrement intéressant de les réacheminer vers la Terre. Actuellement, on peut estimer un coût du transport à plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de millions d’euros par kilogramme de matière rapportée. À plus court terme, l’idée serait plutôt d’exploiter ces ressources in situ, et donc d’avoir une présence permanente sur la Lune, en y laissant des modules habitables. Mais au-delà du coût, l’extraction minière se heurte à l’absence de régulation internationale. Seuls les accords Artémis de 2020 évoquent l’exploitation des ressources spatiales, mais ni la Russie, ni la Chine, ni la France ne les ont ratifiés… Autant dire qu’ils ne servent à rien. Et tant que le secteur n’est pas régulé, les exploitants s’exposent à des frictions.

10. Dans dix ans, on enverra des astronautes sur Mars.

Gaspard Cousin (H.22), ingénieur en orbitographie et en dynamique du vol au CNES (Centre national d’études spatiales).

FAUX La feuille de route internationale de l’exploration « Global Exploration Roadmap », qui réunit une dizaine d’agences dont la NASA et l’ESA (Agence spatiale européenne), inclut l’exploration de Mars. Mais cela ne veut pas dire que c’est imminent. Il y a en effet deux principaux obstacles qui nous empêchent d’envisager des voyages sur Mars dans la décennie. Le premier concerne le test des équipements et des procédures : avant d’aller sur la planète rouge, il faut effectuer des essais en condition réelle, notamment pour adapter les modules de support-vie (gestion de l’eau, de la nourriture, etc.). Pour cela, la meilleure solution est de réaliser ces tests sur la Lune. Le programme Artémis, dont le premier vol a eu lieu à la fin de l’été, comprend la construction de Gateway, station spatiale autour de la Lune qui deviendra un laboratoire scientifique et pourrait même, à terme, servir de station-service pour aller sur Mars. Mais la première pierre ne sera posée qu’en 2025, il faudra donc se montrer patient. Second obstacle : nous devons apprendre à nous protéger des radiations. Dans l’espace, les rayonnements cosmiques et solaires peuvent être très dangereux : rien que sur l’ISS, située à seulement 400 km de la Terre, les astronautes dépassent en quelques semaines la dose maximale des travailleurs d’une centrale nucléaire sur un an. Alors, imaginez passer deux cents jours, temps qu’il faut aujourd’hui pour atteindre Mars, sans la protection de notre magnétosphère… En outre, une brutale éruption solaire peut être mortelle et nous avons encore du mal à prédire l’activité solaire. Il y a donc encore de nombreux défis techniques à relever.

 

Dossier réalisé par Marc Ouhanon et Thomas Lestavel

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