Take Off, c’est le nom d’une étape du modèle de Rostow, l’un de ces modèles mécanistes et désuets qui ont tenté de penser l’émergence économique des pays en développement urbi et orbi à l’orée des années 60.  

Take Off, c’est également le nom du podcast que j’ai lancé il y a un an et demi afin d’offrir une plateforme pour penser l’émergence économique des Suds et les moyens de la financer.  C’est pour vous présenter ce projet que j’écris cette tribune, bien que je ne sois pas (encore) un ancien. Mais tout d’abord, prenons un peu de perspective.

Penser le développement 

Le champ du développement international vit actuellement un moment inédit caractérisé par une prise de conscience accrue de son caractère stratégique pour les enjeux du temps : l’avenir de la mondialisation, le déploiement d’une croissance inclusive, l’atténuation des migrations contraintes et, évidemment, la lutte contre le changement climatique. 

Ainsi, comme nous le confiait Bertrand Badré (H. 89), ancien CFO de la Banque Mondiale, dans notre saison 1, dans un monde interdépendant où la croissance démographique et économique est désormais au Sud : « La bataille pour le climat ne sera pas gagnée ou perdue à Washington, à Bruxelles ou à Paris, mais à Brasilia, à Johannesburg, au Caire ou à Delhi ». 

Cette donne nouvelle intervient dans un contexte géopolitique caractérisé d’une part par une rivalité croissante pour les partenariats avec les Suds, à l’instar des Nouvelles Routes de la Soie. Et d’autre part par la volonté du « Sud Global » de revendiquer son poids dans l’économie mondiale et de s’organiser, ainsi que l’illustre le sommet des BRICS d’août 2023. Cette volonté ne lui permettant pas à ce stade de faire l’économie des flux d’aide et d’investissements venus du Nord. 

Face à cela, on assiste en Occident et au sein des institutions financières internationales qu’il régit, à une « rupture du consensus de Washington » et dans une large mesure à une crise paradigmatique comme l’explique Olivier Jeanne, professeur d’économie à Johns Hopkins, dans la saison 2. 

Cette crise accroît le fossé d’analyses et de perceptions entre les académiques, les gouvernants et le secteur privé, chacun se renvoyant la balle quant au nouveau modèle à inventer. C’est là la première raison d’être de ce podcast : offrir une plateforme pour faire dialoguer ces différents pans de l’écosystème, et exposer la génération des futurs acteurs et décideurs, ma génération, aux réflexions et solutions qui sont pensées ici et là.  

Se (ré)engager pour le développement 

Plus inquiétant encore, face à la multiplication des crises (dette, catastrophes climatiques, coups d’état, etc.) et à la persistance des maux (corruption, stagnation économique, natalité élevée), la désespérance nous gagne.  

Lutter contre ce poison lent est la deuxième raison d’être de ce podcast. Je fais ainsi, mienne la mise en garde de Bertrand Badré contre le rétrécissement des horizons et la tentation de l’effet OHIO (sic. « Own House In Order ») qui, notamment dans la lutte contre le changement climatique, nous guette. Car au vu des enjeux, l’échec n’est pas une possibilité et la tumultueuse histoire des relations Nord-Sud ne doit pas laisser place à l’ignorance, l’incompréhension et, au fond, au désintérêt mutuel – ce que l’actualité géopolitique des derniers mois laisse craindre.  

Il s’agit donc, par le biais de ces interviews, de réactiver dans ma génération, l’esprit de la coopération qui anima la génération précédente et de refaire des Suds notre « nouvelle frontière ». 

D’autant que les étudiants, et singulièrement les HEC, ont tout pour être les artisans de ce nécessaire changement de regard et de priorités afin de faire nôtre cette nouvelle « approche partenariale » (notamment promue par Emmanuel Macron en 20231). 

Parce que nous sommes divers : enfants de France passionnés par ces sujets, enfants de l’immigration qui entretiennent un lien singulier avec le destin des Suds, étudiants étrangers qui viennent de ces pays et en connaissent les enjeux. 

Parce que nous sommes jeunes et ainsi pleinement plongés par nos échanges académiques, nos stages, nos expériences personnelles, dans la réalité d’un monde désormais interconnecté et interdépendant qui ne tolère pas un nouveau Grand Schisme.  

Parce qu’enfin nous sommes bien formés et aspirons à devenir des acteurs engagés, mettant à profit cette formation dans des métiers qui ont du « sens ».  

Et c’est précisément cette quête de sens et « d’impact » qui est au cœur de l’exercice professionnel de la plupart des acteurs engagés dans le développement que j’ai interrogés. A l’instar de notre épisode avec Anne-Laure Kiechel (H. 99), fondatrice du cabinet de conseil financier aux gouvernements Global Sovereign Advisory, ou avec Patrick Dupoux, global Partner du BCG, qui nous confie la joie qu’il a à : « travailler pour l’intérêt commun (…) sur des problématiques qui améliorent la vie des gens ». 

Investir les marchés émergents 

Enfin, à l’heure où un rapport parlementaire invite les grandes écoles à développer les études et formations au sujet des pays en développement2, apporter une solution de formation constitue la troisième et dernière raison d’être de ce podcast. 

C’est ainsi que j’ai fait le pari d’un format exigeant qui s’apparentait initialement à un MOOC et diffère des podcasts traditionnels, en visant à éclairer plus qu’à seulement « inspirer ».  

Il s’est également montré utile à la préparation d’entretiens d’embauche dans ces métiers, ce qui représente d’autant plus un besoin que les opportunités professionnelles s’y multiplient. 

En effet, tandis que la France est à contre-temps (diminution de l’aide publique au développement de 25% en deux ans, cessions de filiales, diminution de la part du commerce extérieure avec les Suds) ; ailleurs et particulièrement dans le secteur privé un momentum se forme.  

Ainsi, les entreprises et les investisseurs s’y pressent en quête de rendements importants dans des marchés en croissance et en déficit d’épargne domestique, comme nous le confiait Lionel Zinsou, dans le cas de l’Afrique : « longtemps l’Afrique fut sous les radars, désormais on écoute l’Afrique, on regarde l’Afrique car c’est probablement le continent des solutions et maître de toutes les raretés » (résumé thématique sur Afrique et transition écologique ici).  

Cela est, par exemple, prégnant dans le domaine de la captation carbone, à l’instar du déploiement de projets de biochar au Cameroun et au Brésil par la start-up NetZero dont j’ai eu la chance d’interviewer le fondateur, Axel Reinaud. 

En conclusion, je vous invite toutes et tous à vous aventurer dans l’écoute de l’un des épisodes de ce podcast, que j’espère utile et accessible. On y entend des personnalités au parcours riche, souvent passionnantes, qui parfois s’opposent entres elles et toujours nous instruisent. Et, qui sait, peut-être changeront votre regard sur l’importance de ces enjeux et ouvriront de nouvelles perspectives !   

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