Les récentes mésaventures de la société Unibail m’ont inspiré une analyse qui à mon avis vaut la peine d’être partagée. En effet, le dossier Unibail mériterait à mon avis d’être enseigné à nos futurs diplômés d’écoles de commerce comme un cas d’école des erreurs à éviter.En décembre 2017, Unibail annonce à grand renfort de communication le rachat de Westfield, propriétaire et opérateurs de centres commerciaux, pour près de 21 Mds € avec un paiement en titres et en numéraire. L’opération est effectuée à un cours de Westfield proche de 9.50 AUD alors que le titre Westfield avait touché un plus haut de 10.90 AUD en juillet 2016 et consolidait jusqu’à 7.50 AUD en septembre 2017, à l’instar de l’ensemble des foncières commerciales, face à la montée en puissance de l’e-commerce.On peut s’interroger sur le bien-fondé stratégique d’une telle acquisition alors que tout le monde s’accordait à dire à l’époque que l’avenir était au e-commerce et au commerce de proximité mais certainement pas aux centres commerciaux, à l’exception de quelques-uns situés au cœur de grandes métropoles.

Qu’est-ce qui a poussé le management d’Unibail à lancer cette opération qui avait pour conséquence de leverager de façon très importante le bilan du groupe. Mystère !!! À part la volonté tellement humaine de nombreux patrons de laisser leur empreinte en réalisant un gros deal !Il fallait que tout se passe de façon optimale pour que cette acquisition soit profitable.Les marchés financiers ne s’y sont pas trompés et le cours d’Unibail est passé de 224 € en décembre 2017 à 122 € fin février 2020 (pré-Covid), soit 45 % de baisse, pendant que Simon Property et Klépierre, des groupes comparables, ne baissaient que d’environ 15 %.Mettre en avant le Covid pour expliquer les problèmes actuels et dédouaner le management ne résiste donc pas à cette analyse. S’ensuit une communication calamiteuse, qui révèle une totale absence de tactique financière. Le 19 mars 2020, au début du confinement, Unibail annonce, pour rassurer le marché, disposer de plus de 10 Mds € de liquidités (cash + lignes de crédit). Pourtant, le 2 avril, soit 15 jours plus tard, pour tenter une nouvelle fois de rassurer le marché, le groupe émet en urgence 2 obligations à 5 et 10 ans en payant des taux délirants de 2,125 % et 2,625 %, soit 1 % de plus que quelques semaines auparavant.Comment comprendre un tel mouvement en l’espace de deux semaines ? Et comment justifier de lever du cash à de tels taux ?Hier soir, avant l’annonce de ce magnifique plan de 9 Mds €, ces mêmes obligations avaient des TRI respectifs de 0.65 % et 1.30 %.L’écart est donc significatif…Le 29 juillet 2020, lors de la publication des résultats du S1, Unibail annonce un montant honorable de loyers nets à 1.06 Mds € (-15 %) mais avec un taux de recouvrement des loyers de 40 % au T2.

Pas un mot sur la capacité du groupe à effectivement percevoir les loyers non encore payés.Le titre perd 5 % suite à cette publication qui ne trompe personne avec un EPRA (fictif ) à 197 € alors que le cours du titre n’est qu’à 44 € (décote de 78 % !!!)Le 14 août dernier, un article de Bloomberg évoque un projet d’augmentation de capital de 3 Mds €.Le 16 août, Unibail répond à cette rumeur en rappelant que le groupe dispose de plus de 12 Mds de liquidités, envisage la cession de 4 Mds d’actifs et, comme il se doit, passe en revue toutes les options pour deleverager son bilan.La réponse est à ce point convaincante que le titre continue à dévisser…Enfin, Unibail annonce un plan de trésorerie de 9 Mds €, composé d’une augmentation de capital de 3,5 Mds €, d’une réduction de dividende, d’une cession de 4 Mds d’actifs ( bureaux notamment) et d’une réduction des projets d’investissement de 800 millions.Si l’annonce stipule que l’augmentation de capital est souscrite (underwritten),c’est-à-dire, si je comprends bien, garantie par certains investisseurs, aucune modalité de l’opération n’est indiquée, laissant les opérateurs non-initiés dans le flou le plus total. Rien de tel pour refroidir les petits porteurs. Si le but était de faire plonger le cours du titre, il ne fallait pas faire autrement.Quid du traitement des minoritaires ? Si des investisseurs garantissent l’opération, cela induit que le prix de l’augmentation de capital leur est connu. Et si l’AMF s’intéressait à ce genre de pratique sous l’angle de l’égalité de traitement des actionnaires…

En attendant, tout cela fait le jeu des fonds spéculatifs qui ont « shorté » le titre (à bon escient) et sont en face de flux vendeurs pour déboucler leurs positions avec de gros profits. On a beau se plaindre de ces fonds à longueur de journée, si les actes contribuent à leur donner raison, il n’est pas étonnant qu’ils reviennent sur le terrain de chasse. Comme beaucoup d’opérateurs je m’interroge sur le timing de cette opération et sur sa communication alors que l’incertitude sur les ventes post-Covid des locataires est à son comble, que les (re)négociations des loyers sont en cours et que la visibilité devrait s’améliorer dans les prochains mois. Il est assez affligeant de constater qu’en France, l’accumulation de ces erreurs par un management défaillant (CEO, Dir Fin, Dir Com), lequel serait, dit-on, d’une arrogance démesurée, reste sans sanctions. Il est peut-être dangereux de « changer de capitaine en pleine tempête » mais quand le bateau s’écrase sur les rochers il est trop tard !Il est loin le temps où, en France, des barons du capitalisme, parfois offusqués des pratiques (et/ou de l’incompétence) de certains dirigeants, s’emparaient d’un dossier et y mettaient bon ordre (affaire Vivendi avec J6M)Cette histoire va au moins faire quelques heureux : les fonds Anglo Saxons shorts à ce jour (28 octobre) de vingt millions de titres sur 138 en circulation !

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