POUR

“ La contribution à l’effort écologique concerne tout le monde ”

Patrick Hubert taxes dividendes
Patrick Hubert (H.84) Après plus de quinze ans passés dans la finance internationale, dont dix ans à Londres, Patrick Hubert (H.84) a cofondé en 2008 la société SolarNet, opérateur d’énergie solaire. En 2018, il a rejoint l’agence Beyond Ratings, aujourd’hui intégrée à l’activité Investissement responsable du groupe London Stock Exchange.

La taxation des dividendes proposée par la Convention citoyenne pour le climat (CCC) vise à « soutenir le financement de la transformation de l’outil de production des entreprises » vers des projets verts. Concrètement, les entreprises distribuant plus de 10 millions d’euros de dividendes annuels participeraient à l’effort de financement à la hauteur de 4 % (contre 2 % sur les dividendes inférieurs à 10 millions d’euros). La Convention estime que « la contribution à l’effort écologique concerne tout le monde ». C’est le cœur du débat. Le mouvement des gilets jaunes a démontré à quel point le principe d’égalité est exacerbé dans notre pays. Avec la consultation nationale puis la CCC, l’exécutif a voulu montrer qu’il prenait en compte les idées des citoyens ordinaires (éclairés par les spécialistes) pour relever les défis du changement climatique. Pas question donc de taxer le carbone à la pompe, sans faire au moins contribuer aussi les premiers de cordée et leurs actionnaires…

Les petits ruisseaux font les grandes rivières

Un récent rapport de France Stratégie montre que les réformes de l’ISF et le prélèvement forfaitaire unique (« flat tax ») ont fait rebondir les dividendes à près de 40 milliards d’euros. Un niveau élevé, même s’il reste en deçà des 50 milliards de 2009. Certes, 4 % de 40 milliards, soit moins de 2 milliards d’euros, cela ne suffira pas à financer les 50 ou 60 milliards d’euros d’investissements annuels nécessaires à la transition écologique. Mais les « petits » ruisseaux font les grandes rivières et, surtout, le symbole parle à toute la population. De plus, la CCC propose de réduire l’assise fiscale des entreprises en exonérant, dans le calcul de l’impôt sur les sociétés, la part des bénéfices réinvestie dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Enfin, la transition écologique apportera des bénéfices à moyen terme pour tous les acteurs économiques. La résilience accrue des territoires sera cruciale face aux canicules, tempêtes, crues ou incendies répétés.Le Covid-19 est un avertissement. Il montre que l’anticipation est un investissement payant. Ainsi la Chine et la Corée, instruites d’expériences antérieures, souffrent beaucoup moins que le reste du monde. Or les bouleversements prévisibles liés au climat et à la biodiversité seront bien pires que ceux provoqués par la pandémie actuelle.Il faut donc voir la transition écologique comme une assurance qui permettra de réduire la facture des dommages futurs. Sa nécessité justifie que chacun mette la main à la poche, y compris via une modeste taxation des dividendes.

CONTRE

“ Cette taxe risque de décourager les Français d’investir au capital de leurs entreprises ”

Pascal Quiry taxe dividendes
Pascal Quiry (H.84) Professeur de finance à HEC où il est titulaire de la chaire BNP Paribas, coauteur du Vernimmen, investisseur et administrateur dans des start-up et PME, Pascal Quiry est également membre de l’initiative Changer par le don et grand donateur à la Fondation HEC.

Si taxer constituait l’unique solution aux problèmes, la France, championne du monde des prélèvements obligatoires, les aurait tous résolus depuis longtemps. Peut-on imaginer un dispositif plus contraire à son objectif ? Comment croit-on que les fabricants et exploitants d’éoliennes, de centrales solaires ou à biomasse (ce qui inclut des groupes comme Orsted, Neoen mais aussi des ETI comme Voltalia) se financent, si ce n’est – en partie du moins – par des augmentations de capital régulières ? Or les investisseurs de ces entreprises « vertes » trouvent les fonds nécessaires en réinvestissant les dividendes provenant d’autres sociétés, justement.

Modifier la fiscalité pour financer l’écologie

Taxer les dividendes revient ainsi à réduire la circulation des capitaux et à diminuer les fonds disponibles que les investisseurs peuvent allouer au financement de la transition écologique.Cette taxe risque de décourager les Français d’investir au capital de leurs entreprises, ce qui paraît aberrant au moment où, de toute évidence, nombre d’entre elles vont avoir besoin de plus de capitaux propres pour faire face aux conséquences de la pandémie. Rappelons que la France et la Belgique ont déjà été condamnées en 2017 par la Cour de Justice de l’Union européenne pour leurs taxes sur les dividendes instaurées en 2012 et 2013, jugées contraires au droit européen. Or, dans le cas français, ces taxes ne rapportaient qu’un peu plus de deux milliards d’euros par an. L’urgence de la transition énergétique et l’importance des investissements nécessaires requièrent d’autres dispositifs que des expédients dignes de l’Ancien Régime.

Ainsi, il me paraîtrait plus adapté de supprimer les avantages fiscaux des contrats en euros de l’assurance vie lorsque ces contrats ne sont pas investis dans des projets verts.Les contrats en euros représentent 1 400 milliards d’euros d’encours (sur les 1 785 milliards que représente l’assurance vie en France). En admettant que la suppression de cette niche fiscale n’entraîne qu’une réorientation de 10 % des fonds placés vers des obligations vertes, 140 milliards d’euros seraient ainsi fléchés vers la transition énergétique. Un montant 70 fois supérieur, donc, à ce que rapportait la taxe sur les dividendes… Sans parler des recettes que générerait pour l’État la suppression des avantages fiscaux évoqués précédemment. Et il y a fort à parier que la réorientation serait bien supérieure à 10 %, compte tenu de l’intérêt essentiellement fiscal de l’assurance vie.

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