Rencontre avec Christophe Lemaire (H.96), qui nous en dit plus sur son expérience aux États-Unis, le pragmatisme américain et ce qu’il a appris de cette culture pionnière.

Parlez-nous de votre expérience aux États-Unis. Le « rêve américain » est-il juste un mythe ou est-ce une réalité ?

Le rêve américain a commencé dès mon plus jeune âge grâce aux séjours linguistiques Nacel près de New York à 14 ans, suivi de mon stage de seconde année à HEC dans une société de lasers médicaux à Philadelphie. Après sept ans passés en Asie, je suis revenu en 2008 pour aider Alstom à reconquérir le marché nucléaire avec la construction d’une usine de turbines dans le Tennessee et la négociation de gros contrats près de Baltimore. Ma femme et moi étions basés à Washington DC, où mon fils est né. Les US sont alors devenus notre patrie ! Puis nous sommes revenus en 2013 après un passage en Suisse et au Moyen- Orient pour nous installer définitivement près de New York. Le rêve américain est une réalité, et nous a conduits ma famille et moi à toujours revenir en dépit des nombreuses expatriations durant notre vie (nous avons vécu dans 10 pays différents !).

Qu’est-ce qui vous plait aux États-Unis ?

Professionnellement, c’est d’abord le pragmatisme américain. Seul le résultat compte, et les Américains ne perdent pas de temps à intellectualiser les sujets. Cela rend le travail et les réunions plus efficaces. Ensuite, l’Amérique reste une « terre promise », où les entrepreneurs français sont nombreux à s’installer. Cela a plusieurs explications : la grandeur du marché nord-américain, la facilité pour lever des fonds et surtout la flexibilité du système. Le « Yes we can » d’Obama a survécu malgré le mandat de Trump, et tout individu peut réussir quel que soit son passé s’il y met l’ambition et l’énergie. Enfin, personnellement, j’aime le sens de la communauté (Corporate Social Responsibility des entreprises). Ma femme et moi, très impliqués dans les associations caritatives, nous sommes toujours enthousiasmés par la générosité des Américains.

Et qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans votre carrière aux États-Unis ?

J’ai passé plus de vingt ans de ma carrière dans les infrastructures (transport et énergie) et l’industrie en général. Au fil des années, j’ai pu voir l’évolution de deux mondes : celui de l’industrie traditionnelle avec des compétences en déclin (nucléaire et métallurgie, par exemple) et celui de la 4e révolution avec la nouvelle génération de la Data Science et de la numérisation. Les États-Unis sont le berceau de ces deux mondes qui ne sont pas incompatibles, même si le changement culturel entre les générations est parfois difficile. Un autre fait marquant dans ce pays est la reconnaissance de la qualité et du savoir-faire français, malgré la désindustrialisation globale et la concurrence chinoise (comme le montre le choix d’Alstom pour réaliser la ligne grande vitesse entre Boston et Washington DC).

Votre plus grand succès ?

Ma carrière chez Alstom aux États-Unis m’a permis de construire beaucoup de sites : une centrale de turbines nucléaires, un centre de services partagés et une plateforme régionale incluant l’Amérique Latine. De tels projets sont riches en leçons managériales : stratégie régionale, gestion des réseaux d’influence – inclus les politiques, exécution de projet, travail d’équipe… Ces années m’ont appris à diriger les équipes américaines et apprécier la richesse de cette culture pionnière.

2020 aura été l’année de la Covid-19. Comment avez-vous vécu cette crise aux États-Unis ?

Cette crise mondiale a surpris les États-Unis avec des conséquences inattendues : l’incapacité de cette grande puissance à gérer une crise sanitaire majeure. Je suis encore choqué par le nombre de cas à New York, la panique hospitalière face au manque de moyens, et les messages inconsistants de la Maison-Blanche prouvant leur désorganisation dans la gestion de la crise. Professionnellement, nous avons rapidement développé des protocoles sanitaires dans nos sites, réorganisé nos politiques de ressources humaines autour du travail à domicile, et avons aussi été contraints (comme les gouvernements locaux d’ailleurs !) à nous fournir en masques, gants et gels sanitaires sur les marchés internationaux (notamment la Chine). Personnellement, je n’avais jamais vécu une telle panique sur le continent américain depuis les attentats du 11 septembre…

Quelles sont vos perspectives pour l’avenir ?

Outre la Covid-19 et ses conséquences économiques, les tensions avec la Chine ont été au cœur des actualités diplomatiques depuis deux ans. Mon poste actuel de dirigeant dans la métallurgie me permet d’évaluer les impacts négatifs d’une guerre tarifaire et l’échec du « Made in USA » rêvé par Trump. Mais l’Amérique est un acteur incontournable de cette décennie : le marché est grand et réceptif à l’innovation. Le besoin de nouvelles infrastructures est gigantesque comme en témoigne la renaissance des PPP (Public Private Partnerships) dans les autoroutes, le transport public et l’énergie. De plus, la France a encore sa carte à jouer outre-Atlantique : il suffisait de venir assister au CES (Consumer Electronic Show) de Las Vegas en 2019 pour constater le dynamisme des start-up françaises prêtes à conquérir l’Amérique !

Christophe Lemaire (H.96) À sa sortie de l’École en 1996, Christophe Lemaire commence sa carrière chez General Electric en 1998 avant d’entrer chez Alstom en 2004 où il exercera diverses fonctions à l’international jusqu’en 2016. En 2016, il intègre le groupe Keolis en tant que Directeur général adjoint avant d’être nommé Président régional d’Eramet Alloys aux US en juin 2019.

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