Un CEO peut-il vraiment partir en vacances ?
Certains font l’ermite, d’autres ne peuvent s’empêcher de consulter frénétiquement leurs mails. Un dirigeant doit-il déconnecter ou rester disponible en permanence ? Du grand PDG comme Jean-Paul Agon à la très petite entreprise, nous avons interrogé les alumni.
Les chefs d’entreprises seraient 35% à vouloir tout bousculer en faisant une pause dans leur carrière pour se reposer, se détendre ou se réinventer selon une étude sur la santé des dirigeants mené par OpinionWay en juin dernier.
Un besoin de déconnexion, reconnu comme un droit dans la loi française depuis 2017, que certains sont sur le point de combler cet été en partant en vacances. Mais est-ce si facile de mettre ses responsabilités en sourdine ? Comment font les HEC, en France ou ailleurs ?
Besoin de garder un contact
Karine Rougé (H.04) est CEO Eau Potable pour Veolia Amérique du Nord. Elle est à la tête d’une entité qui compte 5 000 employés. « J’ai du mal à totalement déconnecter car j’aime bien prendre le poul de ce qu’il se passe et être là pour les quelques sujets où mes équipes ont besoin de moi. C’est toujours minimal, mais j’ai besoin de garder un contact léger. »
D’autant plus qu’Outre Atlantique, les activités ne marquent pas forcément l’arrêt une fois par an. « En étant aux États-Unis, où les gens prennent peu de longues vacances mais plutôt des jours par ci par là, c’est aussi plus logique de faire comme ça, car je pars plus longtemps que la moyenne ! »
Différent secteur mais même son de cloche du côté de Nouredine Abboud (H.98), CEO de Novaquark, qui chapote un peu moins de 80 employés. « Je suis en ligne avec mon travail quasi en permanence. Mais je travaille dans le domaine des jeux vidéo, un domaine qui me passionne. Avant d’être CEO et même de travailler dans l’industrie, j’étais très souvent en train de créer des jeux. Et lorsque je fais quelque chose j’ai tendance à le faire bien, donc me dédier à mon entreprise est cohérent avec cette démarche. »
Et du côté de l’Oréal ?
PDG de l’Oréal pendant plus de 10 ans, Jean-Paul Agon (H.78), qui préside maintenant le conseil d’administration du groupe, opte pour la totale déconnexion, loin de Paris. Il part chaque été naviguer dans les îles grecques. « Je suis toujours parvenu à décrocher. Ces croisières en voilier sont un extraordinaire moyen de m’évader et de ne penser à rien d’autre qu’à la meilleure manière d’atteindre la prochaine escale. La famille et les amis jouent un rôle essentiel dans ces périodes de respiration.»
Citant Sénèque et son « voyage et changement de lieu donnent un nouvel élan à l’esprit », Jean-Paul Agon se transforme aussi en avide lecteur de romans ou de biographies historiques pendant ses périodes de pause. « En revanche, j’évite les livres qui me ramènent à l’entreprise », précise-t-il.
« Chaque année, je m’exile »
Plus radicale encore est l’expérience de Victor Carreau (H.12), CEO et co-fondateur de Comet Meetings, 180 employés. « Chaque année, je m’exile pendant une semaine, seul, dans la maison où vivaient mes grands-parents. Je me mets en ermite, je ne parle à personne, je ne touche pas à mes emails. Suivant les enjeux du moment, les enjeux pro ou perso, je pars avec des livres à lire, des questions auxquelles répondre. »
À l’origine de ce rituel, une réalisation survenue après les années de démarrage de son entreprise. « J’ai réalisé il y a quatre ans que j’étais à un moment où je n’avais plus d’énergie. Il fallait absolument que je reconstitue cette énergie profonde. Ce n’est pas juste l’histoire de dormir, c’est parfois avoir un besoin de vous retrouver, de vous poser des questions un peu fondamentales et prendre soin de vous. »
Comment bien partir en vacances ?
Notifications Teams, Slack, Outlook, Whatsapp… La sollicitation incessante des outils collaboratifs sur smartphone est le perturbateur n°1 des dirigeants en vacances. « Je ne reçois jamais mes e-mails professionnels sur mon téléphone. Lorsque je pars vraiment en vacances, je ne prends pas mon ordinateur avec moi. » Julie Sellers (EMBA .17) est CEO d’Ellevated Outcomes, à Nashville, aux États-Unis, et officie dans le conseil aux petites entreprises. Elle pose des limites très claires avec la technologie.
Si elle sollicite un membre de son équipe pour la remplacer, elle n’accepte aucun appel téléphonique ou SMS. « Sinon, je préviens les gens que je serai absente et que s’ils ont besoin d’une réponse, ils doivent m’appeler. Et lorsque vous demandez aux gens de décrocher leur téléphone, ça change la donne. En établissant des limites, je les oblige à déterminer si leur besoin est suffisamment urgent pour passe un appel. Ils finissent par comprendre qu’ils peuvent résoudre le problème par eux-mêmes. » Julie a fait un template de sa méthologie.
« Savoir déléguer est une qualité clé »
Enfin, pour Jean-Paul Agon, une organisation décentralisée et une grande capacité à déléguer sont les conditions pour partir sereinement pour un grand patron. « Si une crise survient, ce sont les managers de proximité qui ont le pouvoir de décision car ce sont eux qui connaissent le mieux les enjeux. L’intelligence est sur le terrain. Même s’il est nécessaire que le PDG soit informé, savoir déléguer est une qualité clé. En particulier pendant les vacances qui sont propices à la prise de recul. »
Crédits photo: Oliver Sjöström
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Published by Estel Plagué