J’ai assisté à de nombreuses réunions de conseil d’administration ou de surveillance au cours de ma carrière de chef d’entreprise, et plus encore ensuite, dans une seconde partie de ma vie professionnelle, comme administrateur de sociétés et d’associations. J’ai donc rencontré et vu agir de nombreux administrateurs, dont certains m’ont montré ce qu’il ne fallait pas faire et d’autres m’ont donné des exemples à suivre. La gouvernance, qui est une discipline en plein essor en France, n’est pas de celles que l’on peut apprendre par l’étude seule, il faut de la pratique et des qualités relationnelles (les soft skills des Anglo-Saxons). Il me paraît intéressant, en espérant que d’autres que moi feront de même dans HEC Stories, de vous décrire l’administrateur qui m’a le plus impressionné par ses qualités. Au sein d’un conseil d’administration auquel j’appartenais siégeait un administrateur qui employait une méthode remarquable pour optimiser la qualité des débats et la collégialité du conseil. Cette notion de collégialité est très importante en gouvernance, car la responsabilité des administrateurs n’est pas individuelle mais collective. Cet homme avait beaucoup d’autorité personnelle, justifiée par sa position hiérarchique élevée dans une banque importante, sa connaissance des dossiers et la pertinence de ses analyses. Son expérience, acquise dans plus d’une vingtaine de conseils d’administration, lui avait enseigné que cette autorité n’était pas toujours un bienfait lors des discussions préalables aux décisions stratégiques. En effet soit il s’exprimait et alors plus aucun administrateur n’osait intervenir, soit il se taisait et il pouvait laisser la discussion faire fausse route. Pour inciter les autres à s’exprimer sans pour autant se taire, il lui arrivait souvent de commencer par exprimer sans détour son point de vue sur la question en débat, après quoi il se tournait vers l’un de nous, qu’il choisissait pour son profil approprié au sujet et lui demandait : « Mais je peux me tromper, je vous en prie, Robert, contredisez-moi. » La méthode présentait deux avantages. Tout d’abord, cette interpellation invitait l’administrateur à critiquer sa déclaration sans que cela soit mal perçu (en France, critiquer en public les idées d’autrui est trop souvent vécu comme une attaque personnelle et non comme une contribution positive à un débat), et parfois à révéler une faille dans le raisonnement. Ensuite, cela incitait aussi les autres administrateurs à intervenir à leur tour et exposer des points de vue différents, ce qui est toujours une source de progrès. La qualité des décisions en sortait renforcée. Je garde toujours en mémoire cette approche simple mais peu courante du débat d’idées !

Yves Dumont (H.71)

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