MOHAMED KHEMIRI (H.70), directeur central à NAIB Bank, est aussi le cofondateur et advisor de Sust (Startup System Tunisie), et coadministrateur du Chapter Tunisie d’HEC Alumni. En juillet, les Tunisiens ont été appelés à voter par référendum une modification de leur Constitution voulue par Kaïs Saïed, l’actuel chef de l’État.

Au printemps, le gouvernement de Kaïs Saïed a proposé un projet de réforme de la Constitution censé restituer «le pouvoir au peuple» mais qui apparaît comme une réforme renforçant l’hyper-présidentialisme et le conservatisme religieux. Le 25 juillet, les Tunisiens ont été appelés à voter cette réforme par référendum. Les résultats sont équivoques: 95 % de oui, mais 27,54 % de participation. La majorité des électeurs semble avoir suivi l’appel au boycott lancé par les partis d’opposition, qui accusent la réforme d’ouvrir la voie à une dictature. Même le parti d’inspiration islamiste Ennahdha appelait à ne pas se rendre aux urnes. Ce projet de réforme constitutionnelle a été mené sans la concertation et l’esprit d’ouverture qui s’imposent dans de pareilles circonstances. Kaïs Saïed a travaillé seul, et le oui obtenu par référendum ne reflète guère la volonté populaire.

 

En 2011, la Révolution de la dignité avait fait naître l’immense espoir de bâtir une démocratie. Mais la Tunisie traverse depuis onze ans une transition marquée par une grande instabilité tant politique, qu’économique et sociale. Le gouvernement communique peu sur la politique générale du pays, et le peuple reste dans l’expectative. La crise financière annoncée depuis des mois, alors que le pays est en discussion avec le FMI, crée un climat anxiogène. Le pouvoir d’achat s’est considérablement érodé, il n’y a quasiment plus de classe moyenne, les gens souffrent et sont déçus. Depuis la révolution, la classe politique, immature ou dominée par son ego mercantile, s’est focalisée sur des enjeux politiciens et entretient un populisme dévastateur. C’est un spectacle désolant. Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Je pense que nous traversons une crise identitaire et une crise des valeurs inégalées que l’on pourrait résumer en cinq points : superficialité et paresse intellectuelle; absence d’écoute mutuelle et de dialogue démocratique liés à l’héritage d’une éducation autoritaire; délitement du lien social entre une jeune génération et des anciens qui ne se comprennent plus; croyances fétichistes issues de fausses lectures des textes fondateurs de la religion; et enfin, fuite des cerveaux à l’étranger.

Le pays a besoin d’un nouveau pacte national qui pose la démocratie comme une exigence, qui enseigne que liberté rime avec responsabilité et créativité et qui rende au travail sa valeur. Ce pacte doit réhabiliter la séparation des liens idéologiques et institutionnels du politique avec le religieux et s’accompagner d’une relecture de l’islam à la lumière des outils intellectuels de notre époque. Il va de pair avec une réforme de l’économie : agriculture écologique, développement des énergies renouvelables, investissements publics dans les services sociaux de base. Il devra favoriser la montée en puissance de la société civile. Je crois en la force de notre résilience collective, je crois en la force de notre jeunesse, je crois au rôle fondamental des femmes tunisiennes qui, fussent-elles conservatrices, ne sont pas près de renoncer aux libertés acquises depuis cinquante ans. Les conditions du changement sont là. Il en va de notre responsabilité de nous transformer, de nous (r)éveiller individuellement et collectivement.

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