Avec plus de 400 films sortis en France au compteur, celui qui est aujourd’hui le président de Sony Pictures Entertainment France revient sur sa carrière et sur un métier parfois peu compris : faire le lien entre l’œuvre, son public et la salle de cinéma. Dîner dans les prestigieux locaux de Sortir à Paris sur les Champs-Élysées, avec Stéphane Huard.

Jeans, baskets et barbe naissante, Stéphane Huard arrive au 34, avenue des Champs-Élysées au milieu d’une conversation animée avec Pascal Pham (Trium EMBA.17), président du Club HEC Marketing et Communication, qui reçoit ce soir-là. L’échange porte sur l’intelligence artificielle et la disparition éventuelle des journalistes. Il se trouve que le boss de Sony Pictures, attaché-case à la main, est en train de lire le scénario d’un film anxiogène sur l’AI. C’est au cours d’un dîner privilégié cuisiné par un chef privé, qu’il déroule un parcours qui l’a mené à piloter la distribution de grosses productions américaine sur le territoire français.

Le fil conducteur américain

Son passé n’a pas toujours été cinématographique. C’est plutôt au fil de son instinct, des rencontres et des opportunités que Stéphane Huard est arrivé aux manettes de l’industrie du rêve. Du rêve américain, même. Après des études à Sciences Po, il suit un MBA en Management à HEC en 1986. De son passage à Jouy-en-Josas, il reste marqué par l’apprentissage du travail en groupe, car à l’époque, les élèves étaient répartis en groupe de cinq et devaient collaborer tout au long de leur cursus. « Prendre l’habitude de travailler avec des gens très différents les uns des autres m’a énormément servi », souligne-t-il. Il tisse à l’occasion une amitié forte avec les quatre autres camarades de son groupe, avec lesquels il est resté en contact.

C’est curieusement dans le cadre du service militaire, obligatoire à la fin des années 1980, que Stéphane Huard atterrit aux États-Unis. En optant pour la coopération en tant que volontaire du service national en entreprise, il fait d’une pierre deux coups : il part à l’étranger, et décroche une expérience professionnelle dans le marketing auprès d’un groupe hôtelier basé à New York. « Ce fut le début d’une compréhension des différences culturelles entre la France et l’Amérique. Et après, ça a été mon fil conducteur. »

Frappé par l’esprit d’ouverture des Américains dans le monde des affaires et par leur croyance inébranlable en la valeur travail, il intègre le service marketing de L’Oréal à New York. Ce début de carrière le ramènera plus tard en France, pour assurer la liaison avec les marchés anglo-saxons de l’Océanie et de l’Afrique du Sud. Ce n’est pourtant pas le clap de fin de son histoire avec les États-Unis.

Acteur du renouveau Disney des 90’s

En 1992, Disney ouvre son parc d’attractions à Marne-La-Vallée, en région parisienne. Le mastodonte du divertissement américain est alors en pleine renaissance avec des productions qui marqueront des générations d’enfants : Le Roi Lion, Aladdin, La Petite Sirène… « Un foisonnement de créativité et de business. » La France a, depuis des décennies, un attachement particulier pour l’empire hérité de Walt Disney. « Si Le Journal de Mickey a quasiment 100 ans, c’est parce qu’il a été créé en France juste avant la guerre. Les personnages ont complètement intégré la culture française. »

En France, il devient alors responsable de la gestion des licences pour les produits dérivés de Disney. Un sacré savoir-faire dans le développement des produits culturels made in USA que, amené par des amis de la pub, il mettra à profit chez l’agence Young & Rubicam sur des lancements de films. Ses clients d’alors s’appellent Universal, Dreamworks ou Paramount. Il y apprend un principe : « Si le film n’est pas bon, vous pouvez faire tout ce que vous voulez en marketing, ça ne démarrera pas. En revanche, si vous ratez votre communication, vous pouvez aussi planter le film. »

Les années 2000 sont pour lui celles du cinéma. En 2008, Stéphane Huard ouvre le bureau Universal France. Huit ans plus tard, il devient directeur général de Sony Pictures France. Une structure prestigieuse mais vieillissante qu’il a fallu « remettre à flot ». L’année de son arrivée est marquée par une série noire de films qui ne marchent pas, avant de respirer à nouveau avec Jumanji : Welcome to the Jungle.

« Le cinéma, en France, c’est la Bastille ! »

Difficile de faire des évaluations d’une année sur l’autre dans une industrie soumise à la réussite des films. « C’est un cycle avec beaucoup d’inconnues. » Mais au cœur du métier de Stéphane Huard, il y a une constante positive : le public français est réceptif aux œuvres américaines. « C’est une offre qui est familiale, ce sont des films d’aventures, de superhéros, du grand spectacle. Pour les films familiaux, le public est âgé de 8 à 25 ans environ. Ce public-là dans le monde est assez homogène. Il a les mêmes valeurs. » Autre atout majeur : le pays du festival de Cannes est un pays de cinéphiles. Les dessins animés sont couronnés de succès, « bien plus que dans des territoires comme l’Allemagne ou l’Espagne. Aller au cinéma en famille fait partie des habitudes culturelles fortes. »

Les spécificités de son terrain de jeux, Stéphane Huard se retrouve régulièrement à devoir les expliquer à ses homologues américains. « La France est un pays que l’on n’arrive pas à mettre dans une case. » Un pays où il faut toujours attendre quatre mois entre la sortie du film au cinéma et sa sortie sur un autre format. Ici, on dispose aussi d’un maillage de salles serré – 2000 cinémas environ – et, surtout, d’un protectionnisme unique au monde. « Chez nous, c’est intouchable. Le cinéma, en France, c’est la Bastille. », déclare le boss de Sony Pictures France en riant.

N’en déplaise à ceux qui annonçaient la mort de l’industrie après les longs mois de fermeture des salles durant la pandémie. « On a toujours été convaincus dans l’industrie que ça ne poserait pas de problème. Par rapport à d’autres territoires comme les États-Unis, où des salles de cinéma sont tombées en faillite, et certaines sont encore en vente, en France, il n’y a pas une salle de cinéma qui a fermé. » Catastrophe évitée grâce, notamment, à une enveloppe compensatoire allouée par l’État français. Aujourd’hui, les fréquentations sont revenues à -10% de la moyenne des trois années avant le Covid.

Hilare devant Shrek

« Que les gens aient le sentiment qu’il est indispensable d’aller voir un film », c’est ainsi que Stéphane Huard résume le nerf de sa guerre marketing. Mais que faire avec les plateformes comme Netflix ou Disney+, qui amènent les catalogues des distributeurs au sein des foyers ? Il balaie la question d’un revers de la main : « Il n’y a pas de cinéma à la maison. Le cinéma c’est une expérience collective, dans une salle de cinéma, à l’extérieur de la maison. Certains jeunes vont découvrir des films sur Netflix, un Terminator, un Alien, ça nourrit leur cinéphilie. C’est bien. »

Pour le président de Sony Pictures, dont Star Wars a marqué l’adolescence, le privilège du métier reste de pouvoir visionner une œuvre pour la première fois. Sans marketing, donc. « On découvre de ces trucs… Eternal Sunshine of the Spotless Mind, c’était un choc ! Ou alors vous êtes assis et pour la première fois vous voyez Shrek. Ce truc vert. Vous êtes mort de rire pendant deux heures. »

Du film d’horreur à Gran Turismo

Malgré une carrière dans le monde du rêve, son conseil de vie se résume à une notion très terre à terre : « avoir une vie équilibrée. » Lui qui est tombé dans la marmite du cinéma au fil des rencontres dit avoir surtout « fait confiance à son intuition. » Il conseille également aux alumni de ne surtout pas s’enfermer dans un poste si l’on s’y ennuie. Mais, assure-t-il, dans son secteur-passion, tout le monde se cramponne à son poste. Il faut dire que les projets à venir sont variés : un dessin animé, un film d’horreur, une adaptation du jeu vidéo Gran Turismo, un biopic sur Napoléon avec Joaquin Phoenix dirigé par Ridley Scott et produit par Apple Studios, distribué par Sony en France. « Quand on est dans cet univers-là, on ne s’ennuie pas. »

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