Pollution des océans, émissions de gaz à effet de serre, impacts sur les êtres vivants et sur la couche d’ozone… Les déchets plastiques sont néfastes à plus d’un titre. Il existe pourtant des solutions. De l’amélioration du recyclage à la mise en place d’une économie circulaire, en passant par le soutien aux matières alternatives ou le rôle crucial du secteur financier, Peggy Lefort (H.95), responsable du programme pollution et économie circulaire au sein de UNEP FI (Initiative financière du Programme des Nations unies pour l’environnement) fait le point sur ces initiatives de plus en plus nombreuses.

Vous avez travaillé vingt ans dans le secteur bancaire puis vous avez rejoint une organisation pour la protection de l’environnement. Ce changement de direction s’inscrit-il dans une prise de conscience écologique de votre part ?

Peggy Lefort : Tout à fait. C’est le fruit d’une longue maturation, d’un désir d’adéquation entre mon métier et mes valeurs. Rejoindre le Programme de l’ONU pour l’environnement et avoir l’opportunité de changer en profondeur la façon dont le secteur financier opère, de l’aider à aligner sa stratégie et ses pratiques avec les objectifs de développement durable, a été la parfaite convergence de mes compétences et de mes convictions. UNEP FI travaille avec plus de 450 banques et assureurs à travers le monde, notamment pour appliquer les Principes pour une banque responsable, qui regroupent plus de 45 % des actifs bancaires mondiaux, et les Principes pour une assurance responsable, lancés il y a dix ans et qui regroupent un quart des assureurs mondiaux. Travailler aujourd’hui sur le problème de la pollution y compris plastique me tient à cœur, car c’est l’un des défis environnementaux les plus importants.

Quel est aujourd’hui l’impact de la production de plastique sur l’environnement ?

P.L : 99% des matières plastiques produites dans le monde sont fabriquées à partir de polymères dérivés d’hydrocarbures, c’est-à-dire principalement du pétrole et du gaz naturel. En 2019, les plastiques ont émis 1,8 milliard de tonnes de CO2, soit 3,4 % des émissions mondiales. Mais si l’on continue sur les tendances actuelles, ces émissions pourraient quadrupler d’ici à 2040, et représenter 19 % du bilan carbone mondial. Ce qui rendrait l’objectif de 1,5 °C des accords de Paris presque impossible à atteindre. En outre, la fabrication de plastique affecte aussi la couche d’ozone, puisqu’elle utilise de substances qui l’appauvrissent.

Les déchets plastiques posent également problème…

P.L. : En effet, et notamment pour les océans, puisqu’ils représentent 85 % des déchets marins. En se décomposant, ces matières libèrent des substances chimiques dangereuses et des micropolluants, qui ont des effets létaux sur la biodiversité marine. Une étude menée sur près de 500 espèces a révélé la présence de microplastiques dans les intestins de plus de 65 % d’entre elles. Or certains de ces animaux marins terminent dans nos assiettes. C’est donc un risque aussi pour la santé humaine. Il y a aussi des risques directs : en 2021, un rapport a révélé que 25 % des jouets en plastique contenaient des substances chimiques dangereuses.

Malgré tout, la production de plastique continue d’augmenter chaque année. Comment l’expliquer ?

P.L. : La production mondiale a effectivement doublé en vingt ans, passant de 234 à 460 millions de tonnes par an entre 2000 et 2019. À ce rythme, elle devrait tripler d’ici à 2060, pour atteindre 1 230 millions de tonnes. Tant que les coûts externes, comme les impacts environnementaux, sociaux ou sanitaires, seront sous-évalués voire non inclus dans le prix du plastique, celui-ci restera bon marché. Ce qui complique la baisse de sa production et de son usage.

Quels sont les secteurs les plus « mauvais élèves » ?

P.L. : Le premier responsable, c’est le secteur de l’emballage, qui représente 46 % de la production de déchets plastiques. Le textile, avec 15 %, produit beaucoup de fibres synthétiques. Puis viennent les secteurs de la consommation (12 %), du transport (6%) et du bâtiment (4 %). Ce qui est problématique dans le cas des emballages plastiques, c’est leur fin de vie : près d’un tiers est perdu dans la nature, 40 % s’accumulent dans des décharges, 14 % sont incinérés et seulement 10 % sont recyclés…

Comment se fait-il que si peu de plastiques soient recyclés ?

P.L. : D’une part, tous les produits plastiques ne sont pas recyclables. Il existe des polymères complexes et certaines substances chimiques, pigments ou colorants, qui rendent le recyclage difficile et coûteux, voire impossible. Et certains plastiques recyclables ne le sont pas en pratique, car cela nécessite de mettre en place toute une chaîne de collecte, de tri et de recyclage. Aujourd’hui, 15 % des plastiques sont collectés, mais seuls 9 % sont effectivement recyclés. Pour vraiment changer les choses, il faudrait repenser le processus de fabrication, en évitant les mélanges de polymères ou l’utilisation d’additifs chimiques, et investir massivement dans les infrastructures de collecte et de recyclage. Le recyclage est indispensable, mais ce n’est qu’une partie de la solution.

Quelles sont les autres réponses au problème du plastique ?

P.L. : La priorité est de réduire notre usage de plastique. Cela représente 30 % de la solution. Pour y parvenir, il faut éliminer les suremballages, beaucoup trop nombreux. La marge de progression dans ce domaine est immense. Ensuite, nous devons nous donner la possibilité de réutiliser davantage les produits en plastique, en changeant nos modes de fabrication et de consommation : développement de produits réutilisables, multiplication des aliments en vrac, etc. Autre piste à explorer : les matières alternatives au plastique, qui représentent 17 % de la solution.

Peggy Lefort (H.95)

1995 Majeure stratégie juridique et fiscale internationale à HEC Paris, Barreau de Versailles

1995 Avocate fiscaliste pour le cabinet Gide Loyrette Nouel

2000 Conseillère fiscale à la Société Générale

2003 Directrice des financements structurés pour HSBC France

2021 Responsable du programme pollution et économie circulaire pour UNEP FI

Un chiffre qui paraît faible quand on sait que les alternatives au plastique sont de plus en plus nombreuses…

P.L. : Il existe beaucoup de matières nouvelles : le plastique d’algues, le bioplastique fabriqué à partir de plantes comme la peau de banane… Sans parler du papier, qui reste une alternative importante. Le problème, c’est qu’elles sont toutes en moyenne entre 1,7 et 2 fois plus chères que le plastique issu des combustibles fossiles… et peuvent elles-mêmes avoir un impact environnemental négatif. Pour que ces alternatives puissent s’imposer, il faudra baisser leur coût, et faire en sorte que le coût du plastique vierge ne soit plus aussi faible, en limitant par exemple les subventions à sa fabrication. C’est pourquoi il est indispensable de travailler à la fois avec les producteurs, les acteurs de la chaîne de valeur et les pouvoirs publics pour changer le système dans son ensemble.

Cela représente un sacré défi, est-il possible de le relever ?

P.L. : C’est la condition sine qua none. Aujourd’hui, il y a une prise de conscience, les initiatives se multiplient, les réglementations évoluent, avec notamment des lois qui interdisent les plastiques à usage unique… En mars 2022, l’assemblée générale du Programme de l’ONU pour l’environnement a décidé de donner le mandat aux États membres de négocier avant la fin 2024 un traité international sur le plastique qui prenne en compte l’ensemble de son cycle de vie. L’idée est de s’accorder sur une vision et un objectif communs pour mettre fin à la pollution plastique. Pour cela, on a besoin d’un cadre clair fondé sur les données scientifiques… Tout cela est indispensable pour s’attaquer à la source du problème : l’absence d’une vision circulaire.

En quoi la vision circulaire est-elle essentielle ?

P.L. : Aujourd’hui, nous sommes dans un système linéaire : on extrait (des ressources naturelles), on fabrique (du plastique), on consomme (des produits manufacturés), on jette, on pollue. Or l’extraction se fait plus vite que la régénération des ressources, notre économie puise ainsi dans un stock qui s’épuise rapidement. Il est donc essentiel de changer de paradigme pour sortir de ce modèle linéaire et aller vers un système circulaire. Les bénéfices d’une économie circulaire dans le domaine du plastique seraient nombreux : ils permettraient par exemple de réduire de 25 % les émissions de gaz à effet de serre tout au long du cycle de vie du plastique, d’offrir aux pouvoirs publics une économie de 70 milliards de dollars d’ici à 2040, ou encore de créer 700 000 emplois, principalement dans les pays émergents.

Dans cette optique, quel rôle le secteur financier, que vous accompagnez à l’UNEP FI, a-t-il à jouer ?

P.L. : Nous devons rediriger les flux financiers, qui privilégient aujourd’hui la production de plastique vierge, vers des modèles alternatifs ou des solutions innovantes, vers des infrastructures de collecte et de recyclage. Le secteur financier a aussi un rôle de sensibilisation vis-à-vis de l’industrie du plastique, d’accompagnement de la transition de ses clients vers plus de circularité, dans la mise en place de nouveaux modèles économiques, ainsi que dans la conception de nouveaux produits. Il peut avoir un vrai effet de levier en offrant par exemple des conditions préférentielles aux acteurs de l’industrie si certains critères de circularité sont remplis ou si l’impact environnemental ou social de leurs activités est amélioré.

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