Sébastien Bazin, un éternel optimiste aux Matins HEC

C’est dans une salle comble à l’hôtel d’Evreux, place Vendôme, que s’est tenu le 345ème Matin HEC. Au micro, un dirigeant français au caractère atypique : Sébastien Bazin, PDG du géant hôtelier Accor.
Celui que le Journal des Finances, dès 2007, surnomma « l’homme qui sait rendre les pierres précieuses » a été présenté au début du petit déjeuner par Hortense de Roux (H.05), présidente de HEC Alumni. Voici une trajectoire inhabituelle : un pur financier devenu capitaine d’industrie ; de Colony Capital, où il a dirigé les grandes opérations européennes du fonds, jusqu’à Accor, dont il prend les rênes en 2013. Passant d’un fonds de 30 salariés à un mastodonte de 330.000 personnes travaillant sous les différentes enseignes du groupe.
À son arrivée, le groupe était encore très franco-européen et centré sur l’hôtellerie économique. « En douze ans, vous en avez fait une entreprise mondiale, premium, forte de plus de 5 700 hôtels dans 110 pays. Plus de la moitié du chiffre d’affaires est généré hors d’Europe », a rappelé Hortense de Roux. Et d’évoquer le « showman » qui plonge tout habillé dans la piscine de l’hôtel Molitor, lors de son inauguration en 2014.
Lorsqu’il arrive à la tête de Accor, 41 % des hôtels sont encore détenus en propre. En moins de dix ans, Sébastien Bazin transforme radicalement le modèle en adoptant une stratégie dite « asset light » : vendre les murs pour se concentrer sur l’exploitation et les marques. Le ratio de 41% est tombé à 3%. « Le patrimoine de nos hôtels vaut 180 milliards d’euros. Imaginez si nous détentions tout. Je passerais mes journées à gérer de l’immobilier. Or, la croissance ne se trouve pas dans les bilans », explique-t-il.
La réorganisation s’est avérée titanesque : il doit démêler un « plat de nouilles » de contrats. Mais elle a permis de récupérer plus de 7 milliards d’euros, dont quatre milliards en cash, et de donner au groupe une nouvelle agilité… juste avant la crise du Covid. Timing heureux.
Sous son impulsion, Accor passe de 12 à 45 marques et se réinvente comme acteur global du luxe et du lifestyle. Les enseignes historiques comme Ibis et Mercure restent la base solide du groupe : « j’y consacre près de la moitié de mon temps, et c’est elles qui génèrent le cash qui me permet de prendre des risques », assure-t-il. Mais de nouvelles acquisitions ouvrent la voie à des expériences inédites : Raffles, Fairmont, Mama Shelter, 25hours, … La montée en gamme est spectaculaire : près de 50 % du chiffre d’affaires provient désormais du luxe et du lifestyle, contre à peine 10 % il y a dix ans.
« Toutes les marques veulent aujourd’hui passer du produit à l’expérience », pointe-t-il. Ce qui fait d’Orient Express un produit à part. « C’est mon bébé, une marque sublime, qui parle à l’imaginaire de chacun. Si vous fermez les yeux et que je vous dis Orient Express, chacun de vous aura une image différente en tête : les wagons, les dorures, Venise, Agatha Christie… ». Accor relance le train mythique de 1908 et prépare une croisière sur le plus grand voilier au monde.
Quand la pandémie frappe, Accor perd 100 % de son chiffre d’affaires en une semaine. Le PDG tient à rester au contact de ses équipes. « Je me suis dit : j’ai du temps, on va repenser notre organisation », raconte-t-il. Tous les quinze jours, il enregistre une vidéo adressée aux collaborateurs du groupe, où il joue la carte de la transparence. Ces messages se concluent d’un « I love you ». Le pari de la résilience a payé : le chiffre d’affaires d’Accor dépasse aujourd’hui ses niveaux pré-Covid, et le groupe ouvre un nouvel hôtel par jour dans le monde, principalement dans les pays émergents.
Le patron sexagénaire, qui passe 260 jours par an en voyage (au point d’être devenu un pro du décalage horaire), a aussi livré un regard lucide sur les bouleversements technologiques. « Il y a dix ans, les pirates étaient déjà dans nos murs : TripAdvisor, Booking… puis Airbnb. Et maintenant l’intelligence artificielle ». Accor a riposté en bâtissant un programme de fidélité mondial, All Accor, fort de 120 millions de membres. Des clients privilégiés, qui dépensent « 50 % de plus et viennent deux fois plus souvent », affirme-t-il. Et sur l’IA ? « Elle changera profondément notre manière d’opérer, mais je reste convaincu que rien ne remplacera l’émotion du contact humain. »
C’est loin d’être la seule raison pour laquelle le secteur du tourisme et du voyage est « béni des dieux », clame-t-il en bon showman. « Il représente 10 % de l’économie mondiale, 11 % des emplois et un quart des créations d’emplois à venir ».

crédit photo : Stéphane Lagoutte / Challenges
Il ose aussi l’optimisme quand Vincent Beaufils (H.75), directeur de la publication de Challenges, l’interroge sur la situation politique. « La France a besoin de croissance et de stabilité, et il lui manque les deux en ce moment. Mais c’est un pays riche, beau et talentueux. La crise actuelle est loin d’être insurmontable ! L’instabilité n’est pas une menace ; c’est une chance de changer nos habitudes ». Son groupe peut en tout cas s’appuyer sur la diversification géographique, qui le rend résilient. « Nous venons de vivre six mois formidables dans le sud de l’Europe », illustre-t-il.
Interrogé sur les métiers de l’hôtellerie, il souligne leur exigence. « Il n’y a que trois lieux ouverts 24 heures sur 24 : l’hôpital, le commissariat et l’hôtel. L’hospitalité, ce sont des métiers très prenants. » Depuis la crise sanitaire, beaucoup d’anciens salariés reviendraient vers le secteur, pour en retrouver les interactions humaines. Le patron est conscient des externalités négatives de son activité dans les pays émergents . « Quand j’ouvre un hôtel, je prends de l’eau et de l’électricité. Il faut que cette colonne négative soit compensée par une colonne positive : des emplois, de la formation, des retombées locales ».
À 63 ans, Sébastien Bazin confie vouloir « finir le job » : mener à bien le plan stratégique 2023-2027 et faire de Accor le premier opérateur hôtelier en Inde. Le conseil d’administration lui a renouvelé sa confiance jusqu’en 2028.
Pendant les questions du public, un participant lui demande comment concilier temps court et temps long. Il cite le scientifique et prospectiviste Joël de Rosnay qui l’a enjoint de cultiver le « temps large » : « celui qu’on passe à lire, rencontrer, visiter. Ces moments où on ne regarde pas sa montre. C’est là qu’on prend du recul ».
Ses propos dynamiques et pleins d’humour rappellent qu’en matière d’hospitalité, la chaleur humaine reste la plus précieuse des valeurs.

De gauche à droite : Vincent Beaufils (Challenges), Bruno Despujol (Oliver Wyman), Hortense de Roux (Présidente de l’Association HEC Alumni), Sébastien Bazin, Jean-Emmanuel Rodocanachi (Grandir Group)
Crédit photo : Stéphane Lagoutte / Challenges

Published by Thomas Lestavel