Mardi 11 avril à 18h s’ouvre la 4e édition du festival HEC Life Project. L’événement annuel d’HEC Alumni invite à réfléchir ensemble aux enjeux qui transforment la sphère professionnelle. Les diversités comme occasion de faire grandir le monde du travail est le thème de ce festival qui s’échelonne sur plusieurs jours. Saïd Hammouche figure parmi les intervenants de la soirée d’ouverture. Il a fait des ressources humaines, un outil de lutte contre la discrimination. Portrait d’un visionnaire.

Pour certains, RH rime avec optimisation de la masse salariale. Avec son cabinet de recrutement inclusif, Saïd Hammouche voit le secteur comme l’occasion de réconcilier économie et profils défavorisés. Association, fondation, entreprise à mission, campus, et plateforme en ligne, Mozaïk est une marque à cinq têtes, créée en 2007 et aujourd’hui représentée au Conseil économique, social et environnemental. Sa genèse et son succès se comprend dans l’histoire personnelle de son fondateur.

Les premiers contacts de Saïd Hammouche avec le monde du travail ont consisté en une série de petits boulots. Dans les années 1990, le futur entrepreneur social bosse sur les marchés et au Quick. Jusqu’à un poste de business developer pour une entreprise dont l’éthique est à l’opposé de ses convictions. « C’est à ce moment-là que j’ai eu le déclic : je ne vais pas aller sur une voie business. » En parallèle, ce natif de Bondy, en Seine-Saint-Denis, cartonne au judo. D’adolescent champion, il devient professeur de la discipline en club, mais aussi animateur de centre de loisir puis directeur de centre de vacances. Inévitablement, il tisse des liens avec la jeunesse. Lorsqu’il frappe aux portes des facs et dissèque les contenus des formations pour devenir étudiant boursier, il a en tête de « travailler autour de l’humain. »

« La réalité, c’est que la porte n’était pas ouverte »

Après un premier stage en RH dans le privé à Villepinte, les choses s’embourbent et ce, malgré deux diplômes en économie et en ressources humaines de l’Université Paris 13 et de l’Université Paris Est-Créteil. Un plafond, déjà ? « Pour qu’il y ait un plafond, il faut d’abord entrer dans les organisations. La réalité, c’est que la porte n’était pas ouverte !, se rappelle-t-il en riant. J’assurais plutôt bien dans les entretiens. Par contre, ça ne marchait jamais. » Saïd Hammouche vit alors un décalage entre le monde du savoir de l’université et la réalité du marché du travail. Les CV du 93 ne sont pas facilement retenus.

Celui qui perçoit l’insertion en entreprise comme le Graal commence alors, un peu par dépit, sa carrière dans le public. « Avec un Bac+5, on n’arrive pas dans une mission locale, ce n’est pas normal », analyse-t-il.  Il rejoint ensuite le ministère de l’Éducation nationale comme attaché d’administration dans le domaine de la formation continue. Dans sa tête, de manière quasi inconsciente, murit une stratégie de self-défense : créer son propre projet. Les bases de Mozaïk sont jetées, « conséquences des non-possibilités que j’ai eues ».

Loin d’être mis au tapis, Saïd Hammouche rebondit sur un signal fort envoyé par le monde corporate. En 2004, Claude Bébéar, créateur des assurances Axa, co-fonde la Charte de la Diversité. Certains dirigeants s’engagent publiquement sur l’égalité des chances. « Nous sommes allées les rencontrer. Pour nous, c’était évident de leur proposer d’aller un plus loin parce qu’on connaissait plein de candidats qui voulaient rentrer dans leurs boîtes, explique l’entrepreneur. C’est un peu fou d’avoir fait ça. » Très vite, la démarche plaît. Lui et ses associés, qui agissent en électrons libres, se mettent rapidement à recruter et fondent Mozaïk en 2007. Le projet est trans-partisan, apolitique, avec pour principe de mettre l’économie au service de l’intérêt général et de voir « l’argent comme un moyen, pas comme une finalité ».

« Deux mondes qui ne se connaissent pas »

L’association donne vite naissance à une entreprise à mission. Fin connaisseur du terrain, l’entrepreneur a trouvé sa « formule magique ». Aller convaincre les boîtes de leur confier des offres. Identifier au sein d’un public discriminé les profils qui correspondent aux compétences attendues. Recommander les profils au recruteur. Le mettre dans de bonnes conditions pour qu’il puisse les recevoir en entretien. « On travaille avec lui sa prise de décision pour l’aider à être le plus possible sur une notion d’objectivité », ajoute-t-il. On devine ainsi un incroyable travail de persuasion et de pédagogie. « En travaillant ce process, ça fonctionne. »

Une forme de médiation entre « deux mondes qui ne se connaissent pas ». Dès la première année, l’entreprise affiche 30% de croissance, chiffre resté stable depuis. L’argent remonte à la structure mère pour, par exemple, financer des coachs qui préparent les candidats. « Ce type de mécanisme les aide à progresser. » Depuis, le groupe annonce avoir contribué au recrutement de 17 000 candidats issus de la diversité.

Un précieux conseil auprès du gouvernement

Saïd Hamouche n’hésite pas à introduire de longs silences avant de répondre. Il pèse ses mots, s’exprime avec une élégance toute diplomate et se maintient dans le domaine du pragmatique. Derrière cette sérénité, on devine un emploi du temps chargé. Car en plus d’être à la tête d’un groupe qui gère un volume d’activités de 10 millions d’euros par an, l’entrepreneur social conseille les décideurs publics. Il est notamment membre du Conseil économique, social et environnemental, assemblée consultative citoyenne qui émet des recommandations aux pouvoirs publics. « Souvent, le politique cherche des solutions. Il faut distinguer les moments où ils alimentent leur catalogue d’idées et les moments où ils sont en capacité de les mettre en œuvre. » Dès 2016, il avait su marquer le coup en organisant un speed-dating entre candidats et entreprises à Bercy, en collaboration avec le ministre de l’Économie d’alors, Emmanuel Macron.

« On est très bien identifié au sein du gouvernement », déclare pudiquement Saïd Hammouche. Bonne connaissance du président de la République et des présidents de régions, il bénéficie aussi d’un solide relais médiatique et des retours de clients satisfaits. Mozaïk a ses entrées à tous les niveaux. Son fondateur siège maintenant au Conseil national de la refondation, lancé par Emmanuel Macron en septembre 2022 pour mobiliser différents acteurs sur des grandes problématiques nationales. Il dit pouvoir y pousser les solutions plus facilement. Entre egos à ménager, budgets et priorisation des sujets, il reconnaît que la question politique est complexe, « pas qu’une histoire d’argent mais une histoire de système ».

Avant la violence, la méconnaissance

Ainsi, il effectue aussi un travail de fond avec sa Fondation Mozaïk pour maintenir une visibilité sur les problématiques de discrimination auprès des décideurs de tous bords. Un travail de longue haleine pour ne pas laisser le soufflé retomber. « Quand on fait tout un travail autour d’une équipe RH et que trois ans après, on se rend compte qu’une partie de l’équipe est partie… Il faut ré-expliquer le sujet, remettre un bon niveau d’ambition, faire en sorte que ce sujet-là ne soit pas dépriorisé. »

Avec Mozaïk Campus, il aide un public exposé aux discriminations à mieux s’insérer. L’organisme aide notamment ceux qui ne bénéficie pas des précieux conseils de leur famille ou de leur réseau à mieux comprendre les attentes des recruteurs. « Avant même la violence, il y a la méconnaissance, déclare Saïd Hammouche. C’est un des problèmes systémiques en France. Si on part déjà avec un écart, la mécanique de l’inégalité s’installe. »

Mais il insiste : les discriminations ne concernent pas que les quartiers.  « Ça concerne les femmes, les seniors, les personnes handicapées. On est déjà à plus de 80% de la population. » Pourtant, il en est persuadé, la diversité est un moteur de performance économique. « Il ne faut pas avoir peur de s’engager et de fixer un objectif sur ces questions. À compétences égales. Il ne s’agit pas de baisser les critères. Mais de se donner les moyens d’aller chercher tous les talents. Et pas que les talents qui sont connus. »

Le 25 mai prochain, « la bulle » Mozaik fêtera ses quinze ans d’existence. Pour l’occasion, un grand événement sera organisé. Candidats et dirigeants déambuleront aux côtés de politiques et d’artistes. JoeyStarr sera là. Comme d’habitude, Saïd Hammouche joue son rôle de médiateur. Son conseil aux élèves HEC tentés par les ressources humaines ? « C’est un très bon moyen pour mettre l’économie au service de l’intérêt général. Il ne tient qu’à eux.»

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