Abstract

Nous construisons un modèle social et structurel de la notoriété; à partir d’une vue « atomistique » qui découle de la littérature antérieure où la créativité serait l’unique moteur de renommée. Le modèle est testé dans un contexte empirique significatif. 90 pionniers du début du mouvement de l’art abstrait au XXe siècle (1910-1925). Nous avons découvert qu’un artiste « intermédiaire » (brokerage) plutôt qu’en position de « fermeture » (closure) était plus susceptible de devenir célèbre; indépendamment de sa créativité (que nous avons mesurée à l’aide de méthodes objectives computationnelles et d’évalutations subjectives d’experts). Ce sont en réalité les réseaux de sociabilité incluant des identités cosmopolites ; davantage issues de nationalités différentes – qui créent le moteur social, structurel et principal de la notoriété. HEC Paris Research Paper No. SPE-2018-1305 (août 2018) Columbia Business School Research Paper No. 18-74

3 questions à Mitali Banerjee, professeure assistante à HEC

Mitali Banerjee Professeure assistante à HEC en stratégie et politique d’entreprise. Ses recherches portent sur la renommée, les réseaux sociaux, la créativité et l’innovation. Dans sa thèse, elle étudie de quelle manière les réseaux sociaux modèlent la renommée des innovateurs.

Selon vous, la créativité ne détermine donc pas la notoriété d’un artiste ?

En effet, la notoriété d’un artiste n’est pas principalement déterminée par son niveau de créativité; mais par la structure de son cercle social. Ce qui est important pour lui, c’est d’avoir des amis issus de differents univers sociaux. Plus cosmopolite il est, plus il a des chances de devenir célèbre. Notre article compare deux peintres : la Britannique Vanessa Bell (soeur de l’écrivaine Virginia Woolf) et la Française Suzanne Duchamp (soeur de Marcel Duchamp). Toutes deux faisaient partie de familles en vue et avaient des niveaux de créativité similaires. Elles étaient étrangères aux États-Unis, pourtant Vanessa y était bien plus célèbre que Suzanne. Nous l’expliquons par le fait que Vanessa, qui était proche de Gertrude Stein et de Picasso notamment, avait un réseau bien plus cosmopolite que Suzanne, dont le cercle de sociabilité était restreint à son époux et à quelques amis proches.

Comment avez-vous mesuré la notoriété et la créativité ?

Nous avons utilisé Google Books pour rechercher le nom des artistes dans la littérature en histoire de l’art, et ainsi évaluer leur notoriété. Nous avons ensuite demandé à des historiens de l’art d’évaluer la créativité des artistes et utilisé le machine learning : à l’aide d’algorithmes, nous avons ainsi pu analyser un immense corpus d’oeuvres. Les descriptions numériques ainsi obtenues nous ont aidés à apprécier la nouveauté d’une oeuvre, entendue comme le degré de différence qu’elle entretenait par rapport aux autres créations de l’époque.

Un artiste doit-il davantage se concentrer sur la qualité de son réseau ?

Il ne suffit pas d’avoir plus d’amis ou d’être en relation avec des personnes au statut social élevé pour devenir célèbre : il faut s’entourer de personnes de différents univers. D’autant plus qu’il existe une tendance à former des « cliques » dans le monde de l’art. Pourtant, notre univers social façonne également la manière dont les autres nous perçoivent : plus les artistes s’inscrivent dans un réseau de personnalités cosmopolites, plus ils sont vus comme originaux, et finissent ainsi par gagner en notoriété. Cela étant dit, il reste d’autres variables à étudier. Je cherche aujourd’hui à comprendre comment les pics de créativité des artistes peuvent également influer davantage sur leur notoriété que le fait d’avoir une créativité moyenne tout au long de leur carrière.

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