En 2020, la Première ministre néo-zélandaise, Jacinda Ardern lançait l’idée d’une semaine de quatre jours payée cinq pour relancer le tourisme et booster la productivité des salariés.

Pour

“ Un puissant levier pour repenser le travail et son organisation ” Laetitia Vitaud (H.02), présidente de CNVC Research GmbH

Sur cette question, les Néo-Zélandais font figure de pionniers. Je me suis intéressée au livre blanc publié par l’entreprise Perpetual Guardian. Il met en avant un meilleur équilibre de vie des salariés et une meilleure productivité dans toutes les entreprises qui ont mis en place la semaine de quatre jours. Mais son bénéfice repose sur un pari : celui du gain de productivité. Comment arriver à faire en quatre jours ce que l’on fait en cinq, tout en garantissant une meilleure qualité de vie au travail ? La semaine de quatre jours n’est ni un temps partiel déguisé, ni celle consistant à faire en quatre jours ce que l’on fait en cinq, au prix de plus de pression. Elle demande une réorganisation structurelle. J’apporterais donc une nuance : cette réorganisation dépend du type d’activité que l’on exerce. Pour des métiers d’astreinte qui demandent à être derrière un guichet ou à faire des gardes, ce n’est pas simple. Si on enlève des heures, comment les finance-t-on ? Les gains de productivité ne sont pas magiques. Pour des métiers créatifs, les métiers intellectuels, cela est prouvé, les personnes reviennent plus reposées, elles ont un temps de cerveau qui s’est libéré et permet d’être plus productives.

Sortir d’un rapport au temps anachronique

Réfléchir à la semaine de quatre jours, même sans gain de productivité, est un puissant levier pour repenser le travail et son organisation, envisager des embauches et maintenir l’emploi des seniors. Depuis un siècle, la diminution du temps de travail est un mouvement logique de l’histoire. Aujourd’hui, alors que la révolution numérique modifie les pratiques, nous restons ancrés dans un fonctionnement hérité de la révolution industrielle et du secteur automobile : la pointeuse est toujours là. Les horaires sont toujours comptés et mentionnés dans les contrats de travail. Le présentéisme a aussi lieu « en ligne », dans une hyperconnexion de tous les instants. Nous l’avons vu pendant les confinements. Tout ceci doit évoluer. Pour les tâches cognitives, j’utilise cette métaphore agricole : le cerveau, comme le sol, a besoin d’être mis en jachère, d’être régénéré. Pour les métiers du relationnel, celui des enseignants, des commerciaux, des médecins, la valeur du travail se situe dans la qualité de la relation, dans un temps qualitatif qui demande une attention soutenue. En fonction des métiers et des secteurs, des adaptations doivent être envisagées. Travailler moins, travailler mieux et sortir d’un rapport au temps industriel, c’est l’avenir.

Laetitia Vitaud (H.02)

Présidente de CNVC Research GmbH et experte du Lab du média B2B Welcome to the Jungle, Laetitia Vitaud est l’auteure de Du Labeur à l’ouvrage (Calmann-Levy, 2019) et Faut-il avoir peur du numérique ? cosigné avec Nicolas Colin (Armand Colin, 2016). Cette auteure et conférencière spécialiste de l’avenir du travail et de la consommation, intervient en entreprise régulièrement.

 

Contre

“ Une baisse de la qualité de vie au travail pour les salariés ” Driss Ibenmansour (H.11), cofondateur et CEO de Motto

Cette réduction du temps de travail ne conviendrait pas du tout à une entreprise comme la mienne. J’ai créé Motto en 2021, à la sortie du second confinement. Il s’agit d’une plateforme d’abonnement à la micromobilité. Nous dessinons et fabriquons des vélos électriques en Europe. Nous les distribuons ensuite à leurs utilisateurs avec une formule d’abonnement sans engagement. Cet abonnement comprend le vélo, mais aussi un service de réparation, de conciergerie et une assurance. C’est un service complet qui regroupe différentes compétences. Chez Motto, nous sommes une vingtaine de personnes. Nous avons des métiers dits « cols blancs », c’est-à-dire assurant les fonctions bureau avec le marketing, la direction informatique, les opérations-services et le développement hardware. Mais il y a aussi l’atelier avec les mécaniciens qui gèrent les réparations.

Augmenter les coûts pour conserver le niveau de qualité ?

La semaine de quatre jours soulèverait plusieurs problèmes. Nous proposons un service de réparations 6 j/7 qui implique d’être en mesure de faire ces réparations 6 j/7. Passer à quatre jours nécessiterait de recruter plus de collaborateurs, plus de mécaniciens, augmenterait les coûts, entraînant un risque inflationniste et une augmentation des prix. Passer à la semaine de quatre jours, sans recruter, dégraderait la qualité de nos services, obligerait à augmenter la cadence journalière, entraînant une baisse de la qualité de vie au travail, voire une vraie pénibilité. Enfin, les conséquences pourraient être difficiles à gérer comme nous l’avons vu au moment de la réforme des 35 h. Contrairement à ce qui était attendu, la réduction du temps de travail hebdomadaire n’a pas entraîné la création de nouveaux postes. Il y a donc certains types de secteurs pour lesquels la semaine de quatre jours ne convient pas. Je reste persuadé que le travail permet les échanges et le lien. Il est, pour certains, un lieu de socialisation. À l’heure de la généralisation du télétravail, nous sommes de moins en moins présents dans l’entreprise. Si nous passons quatre jours sous pression, nous risquons de ne plus prendre le temps de l’échange avec nos collègues. Dans une semaine classique, cet espace-là existe. Réorganiser le travail en semaines de quatre jours me semble être un processus vraiment complexe.

Driss Ibenmansour (H.11)

Après avoir commencé sa carrière en tant que consultant chez Roland Berger, Driss Ibenmansour a rejoint Uber en 2014. Il a ensuite dirigé la filiale française de Bird, leader mondial de la trottinette en libre-service. Devenu expert du secteur de la micro-mobilité, il a cofondé Motto en 2021.

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