Dans le pire, on ne sait que choisir… Les prévisions économiques ? le taux de dépression des jeunes étudiants ? La réticence à la vaccination ? L’explosion des violences conjugales ? Celles concernant les enfants ? L’apocalypse politique ? La souche anglaise, brésilienne, sud-africaine ? La condition de vie des aînés dans les Ehpads ? La fermeture des théâtres, musées, opéras, cinémas ? Le voisin de bus qui met mal son masque ? La fête qui semble battre son plein dans l’immeuble d’en face ? Dans cette crise, il y a des moments de peur, de stress, d’angoisse, de petites joies, de grandes joies, de solidarité, d’entre-aide. On est tous, depuis plusieurs mois, sous le choc. Économique, social, culturel, individuel, collectif… on croule sous les chocs. CHOC du pouvoir d’achat. CHOC des réductions d’effectifs. CHOC de l’assistanat. CHOC des vacances annulées. CHOC d’une nouvelle vie sans projet. CHOC des réponses qu’on ne peut pas apporter : on les voit quand, papi et mamie ? CHOC des pénuries de masques, de vaccins. CHOC des gouvernants sans gouvernail. CHOC des chocs. Se pose alors la question de tous les intervenants de la sphère quotidienne et, c’est le propos ici, des marques. Certaines ont décidé durant cette crise de nous aider dans notre nouveau quotidien.

Le Decathlon Coach pour m’initier à tous les sports à domicile, les cours de Fit Ballet de Repetto, Ikea qui révèle sa recette de boulettes à la viande ou qui crée un catalogue pour occuper les enfants, Orange qui pro-pose d’enregistrer des messages pour les grands-parents isolés et de les diffuser à la télévision. D’autres ont mis leur exposition au profit des messages sanitaires : Zara, Mac Do, Burger King, Google… Sous forme souvent de clin d’œil rafraîchissant. Il y a eu aussi de la vraie solidarité : Yves Delorme, Damart, le Slip Français et des centaines d’entreprises qui se sont mobilisées dans la confection de masques, Coca-Cola qui a réalloué l’ensemble de ses investissements média aux personnes mobilisées face au Covid. Et puis une dernière catégorie s’est plongée dans les abîmes d’une empathie scénarisée et, disons-le, totale-ment déplacée. Un film publicitaire d’un distributeur français de haut rang : l’histoire d’une famille de français moyens (comprendre ni trop riches, ni trop pauvres) dans laquelle le père attrape le Covid-19, est hospitalisé, intubé puis revient à la vie. La famille décide alors de remercier le personnel soignant avec un déjeuner confectionné… Avec les produits de ce distributeur. Volonté de quoi ? De faire pleurer les Français et de les inciter à courir chez lui parce qu’ils sont plus gentils que les autres. C’est inconvenant. Opportuniste. Les marques, et de façon générale les entreprises françaises, ont été à la hauteur de la situation : faisant front comme elles pouvaient, cherchant le bon liant avec leurs employés. Et maintenant ? La sortie n’est pas là. Demain. Ni même après-demain. Mais une chose est certaine : on va s’en sortir. Alors, on ne va quand même pas passer notre vie à applaudir sur les balcons !

Les marques doivent commencer aujourd’hui à réengager leurs consommateurs. Un par un. Avec leurs traumatismes. Leurs états de choc. Tout d’abord, les marques doivent accélérer leur transformation. Elles doivent tourner le dos aux fausses promesses de construction d’un monde meilleur. Elles doivent affirmer leur charisme, leur implication dans le monde de demain. Le Covid-19 a accéléré les nécessaires transformations car il démontre qu’on n’a pas le temps d’attendre. Qu’il y a toujours urgence à réaliser des choses plus grandes que soi, qui nous dépassent aujourd’hui mais qui nous obligent au dépassement. Des industries vraiment plus propres, l’ère du consommer moins et consommer mieux, des process industriels cohérents voire éthiques. Les marques vont devoir prouver réellement, sincèrement, à cœur ouvert qu’elles prennent soin de ce monde dont nous sommes aujourd’hui privés. Chacun a l’irrésistible envie de le réinvestir : la nature, les voyages, bouger librement. Aimer, toucher. Goûter. Peut-être même transgresser. Tout cela est possible. À portée de volonté. À portée de stratégie. En restant précisé-ment légitimes, les deux pieds ancrés sur leur territoire d’origine et le cœur tourné vers un avenir optimiste et l’en-vie d’y croire. Et puis les marques, pour rester des partenaires du quotidien, vont devoir reconstruire ce quotidien. Pierre par pierre.

La culture est en berne. La jeunesse est en berne. L’entrepreneuriat est en berne. Les marques doivent prendre leur part dans la reconquête de l’enthousiasme français. Elles doivent permettre de générer le contre-choc de l’état de choc des consommateurs.Redécouvrir le monde, réenclencher la curiosité, susciter l’émerveillement. Nous allons vivre au final plus d’un an d’incantations, de vraies peurs, de fausses peurs et de chiffres catastrophiques. Alors les marques doivent être les « déclencheuses de bonnes nouvelles ». On l’a dit, les terrains de jeu sont vastes. Le « c’était mieux avant » doit laisser place à la joie et la détermination de préparer un avenir possible, plausible, fédérateur. Un avenir de cultures, d’émotions, d’envies et d’ouvertures. Un avenir où la somme des projets individuels construit un collectif louable et réjouissant. Cet avenir auquel les marques vont contribuer, nous oblige. Nous, les agences de communication. Nous avons un rôle déterminant pour permettre la visibilité de la transformation de nos clients. Nous devons être volontaires et ne pas céder aux sirènes d’un certain opportunisme. Il va falloir être plus que jamais dans le projectif tout en tenant compte de la réalité économique de nos clients. Être stratégique et créatif. Savoir penser et produire. Être convaincu et savoir écouter. Favoriser la transformation e nos clients passera par une nouvelle posture. Avoir le courage de ne pas savoir : ce que les gens pensent, ce qui les fait rêver, les problèmes qu’ils rencontrent…

Notre mission sera plus que jamais de fédérer des publics autour d’un projet en apportant un discours de preuves mais aussi d’ambition. La place du prix, l’équilibre du retail par rapport au e-commerce, le dis-cours produit, la fidélité… toutes les composantes sur lesquelles nous, agences, avions tant de certitudes, sont à revoir. Dans cette perspective nous devons entrer en mode projet, en co-construction avec nos clients. Être dans la discussion quotidienne en oubliant les effets de show off qu’on adore tant cultiver. Deuxième virage des agences : réconcilier réflexion, création et production. Ne plus être seulement de bons penseurs, mais aussi de bons faiseurs. Les agences ne doivent plus raisonner en livrables mais bien en solutions. Solution créative car il va falloir miser sur un décloisonnement total des espaces : réseaux sociaux, éditorial, présentiel, distanciel… Nous devons permettre à nos clients d’être bavards. Partout. Chaque fois que c’est utile. Chaque fois que les consommateurs en ont envie. Les enjeux de volume en termes de création de contenus vont devenir cruciaux. Là aussi, les agences doivent prendre leurs responsabilités en apportant de réelles solutions de production à leur client. De nouveaux modèles économiques doivent être mis en place. La flexibilité et la compétitivité ne doivent pas être des sujets tabous. Bien au contraire. C’est le sujet de nos clients sur lequel nous devons répondre présents. Nous autres, agences, devons aussi profondément muter. Provoquer la transformation. Avaler nos égos et nos a priori pour déployer un nouveau savoir-faire. Et surtout un nouveau savoir-être. Au boulot ! Descendons de nos balcons…

Christophe Poisson (H.97) christophe@et-nous.com

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