Le 10 février, Emmanuel Macron a annoncé son intention de construire d’ici à 2050 six nouveaux réacteurs nucléaires EPR. Le monde de demain sera électrique. Pour ou contre ?

POUR

Une stratégie responsable

Matthieu Crappier (H.04), vice-président Opérations internationales, Orano Projets

Depuis dix ans chez Orano (ex-Areva), Matthieu Crappier a occupé les fonctions de directeur de la stratégie groupe, puis directeur du LEA (unique fabricant français de sources radioactives étalons). En 2021, il prend la direction des Opérations internationales de l’ingénierie du groupe, Orano Projets.

Rappelons d’abord que le plan annoncé par Emmanuel Macron à Belfort ne concerne pas uniquement le nucléaire : il participe d’une stratégie énergétique globale, qui prévoit d’investir à la fois dans le nucléaire et les énergies renouvelables (EnR), afin de doter la France d’un mix énergétique robuste et cohérent. Sur le nucléaire, l’investissement ne portera pas uniquement sur les réacteurs de puissance (six nouveaux réacteurs EPR à l’horizon 2035, voire huit supplémentaires à horizon 2050) : 1 milliard d’euros seront investis dans de nouvelles technologies de réacteurs, les SMR (Small Modular Reactors) également à eau pressurisée mais de plus faible puissance (~200 MWe), et des AMR (Advanced Modular Reactors), des réacteurs non pressurisés et dont certains types permettraient de brûler des matières radioactives dites HAVL (haute activité vie longue), ces déchets peu importants en volume mais qui sont le principal reproche formulé à l’encontre de la fission nucléaire.

Concilier enjeux climatiques et économiques, véritable enjeu du développement durable

Est-il besoin de rappeler trois atouts fondamentaux du nucléaire : faible empreinte environnementale (très faibles émissions de CO2 et occupation des sols), coûts de production électrique compétitifs et prévisibles (et ce malgré des coûts de construction élevés, surtout pour les premiers réacteurs de troisième génération) et, ne l’oublions pas, grande disponibilité. Car c’est bien la problématique posée par le solaire et l’éolien : ce sont des énergies intermittentes, qui ne peuvent répondre aux besoins des systèmes électriques sans solutions de stockage d’électricité. Ces solutions sont coûteuses et n’existeront pas à grande échelle (régionale ou nationale) dans un avenir proche. Peut-on miser sur notre avenir économique, donc notre indépendance stratégique, sur des technologies en R&D ? Les conséquences du choix de l’Allemagne sur le nucléaire sont plus que jamais visibles : des émissions de CO2 bien plus importantes qu’en France, des coûts de l’énergie plus élevés, et une dépendance stratégique au gaz dont on entrevoit aujourd’hui tragiquement les conséquences. Il n’existe pas de solution miracle : toute stratégie suppose des choix, et le choix d’un mix énergétique reposant à la fois sur les renouvelables et le nucléaire, filière française d’excellence, d’innovation et d’emplois qualifiés (plus de 200 000 sur le territoire), me paraît être un choix de raison face aux défis climatiques, socioéconomiques et stratégiques d’aujourd’hui et demain.

CONTRE

Ne soutenons pas une industrie du passé!

Patrick Hubert (H.84)

Après plus de quinze ans passés dans la finance internationale, dont dix ans à Londres, Patrick Hubert (H.84) a cofondé en 2008 la société Solarnet, opérateur d’énergie solaire. En 2018, il a rejoint l’agence Beyond Ratings, aujourd’hui intégrée à l’activité Investissement responsable du groupe London Stock Exchange.

De nombreux arguments militent contre de nouveaux investissements dans le nucléaire. La France est le pays au monde le plus dépendant de l’atome pour son électricité : -70 % en 2020. Refuser de diversifier les sources, c’est exposer le pays en cas de problèmes systémiques de la filière. Cet hiver, des centrales ont été arrêtées par l’Autorité de sûreté. Et la temporalité n’est pas la bonne. Selon le GIEC, il reste trois ans pour éviter le pire, un intervalle qui ne permet pas de déployer de capacité nucléaire – qui nous enchaînerait dans des investissements d’au moins cinquante ans. Le nucléaire fait peser sur les générations futures un risque disproportionné. Les déchets radioactifs restent toujours aussi problématiques : même enterrés, ils demeureront toxiques pendant des millénaires. La guerre en Ukraine nous rappelle que la sécurité des installations nucléaires repose sur l’hypothèse hasardeuse que les pays concernés constituent des sociétés stables aux moyens de contrôle robustes. Et la vérification de l’usage dual du nucléaire – fission explosive pour produire des bombes ou fission ralentie pour faire tourner des réacteurs –reste soumise au bon vouloir des parties contrôlées.

Un manque de compétitivité face aux énergies renouvelables

L’Agence internationale de l’énergie atomique a du mal à faire respecter les engagements pris. Il n’y a pas eu de débat démocratique sur le choix du nucléaire dans les années 1970 ; aucune véritable consultation nationale n’a eu lieu. Économiquement, le nucléaire n’est pas un choix judicieux : plus faciles à moduler et démanteler, les énergies renouvelables sont moins chères et leurs coûts vont continuer à baisser grâce aux améliorations incrémentales et aux effets d’échelle. Elles parviennent à un niveau de compétitivité inégalé par rapport aux autres sources d’énergie en dépit de niveaux d’investissements bien plus faibles. Avant d’investir davantage dans la production énergétique, mieux vaudrait réduire et adapter la consommation. Les pays avancés peuvent optimiser leur production sans la faire croître, en supprimant le gaspillage et en réorientant la demande. L’essentiel de la croissance de la demande énergétique devrait venir des pays moins bien dotés : imagine-t-on transférer les technologies nucléaires vers ces pays qui ne disposent parfois même pas des infrastructures adaptées ? Il est temps de ne consacrer au nucléaire que la part d’investissements qu’il mérite, c’est-à-dire très minoritaire. Ne dilapidons pas l’argent public en soutenant une industrie du passé !

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