Alexandra Bigot (H.90), Xavier Farde (H.90) et Alexander Crosthwaite (H.05), associés au bureau parisien de LATHAM & WATKINS, nous livrent leurs premières analyses et conclusions relatives à la crise de la Covid-19 alors que la pandémie se poursuit et que la crise économique se renforce.

Comment les entreprises ont-elles fait face à la crise qui se prolonge d’ailleurs actuellement ?

Les entreprises qui n’ont pas pu traverser la crise sont celles qui étaient déjà en situation de difficulté et de fragilité. Ce sont ces mêmes entreprises qui n’ont pas pu bénéficier des aides mises en place par le Gouvernement, comme le PGE. Nous avons donc assisté à un accroissement des redressements judiciaires concernant de grosses entreprises. En effet, l’attribution des PGE a été subordonnée à un certain nombre de conditions, la principale étant que l’entreprise soit saine avant la crise. Dans ce cadre, des entreprises du retail et notamment de l’habillement qui connaissaient déjà des difficultés, comme La Halle, Camaïeu ou encore Célio se sont retrouvées en redressement judiciaire. Cela a aussi été le cas dans le monde de la restauration avec notamment la chaîne Courtepaille. Pour ces entreprises, qui faisaient face à un important besoin de trésorerie, aucune action à titre préventif ou négociations bilancielles ne pouvaient plus être menées, les banques n’étaient pas prêtes à accorder de nouveaux prêts. Pour d’autres entreprises sur lesquelles nous travaillions avant la crise, nous nous sommes retrouvés dans des situations paradoxales. Un accord avait été trouvé avant la crise avec l’ensemble des partenaires, créanciers et actionnaires, mais au moment de la signature, la donne avait changé et la pertinence du business plan, sur lequel était fondé l’accord, s’est posée. C’est un cas de figure auquel nous avons été confrontés notamment dans le domaine de l’aéronautique qui jusque-là bénéficiait de très beaux carnets de commandes. Au fur et à mesure que les semaines avançaient, toutes les prévisions de chiffre d’affaires devenaient incertaines. Or, toute restructuration bilancielle suppose un diagnostic et des prévisions partagées par l’ensemble des partenaires de l’entreprise. Nous sommes dans de nombreux secteurs face à un contexte compliqué qui oblige à se reposer sur des hypothèses, lesquelles font difficilement consensus, parce qu’à ce stade il est très difficile de poser le bon diagnostic. Cela est accentué par le fait que la crise a un impact conjoncturel mais également structurel sur certains modes de consommation et d’organisation du travail.

Qu’en est-il pour les entreprises qui ont pu obtenir un PGE ?

Les PGE ont énormément aidé les entreprises qui allaient bien. Ils ont permis de lisser les difficultés. Sans ce dispositif, nous aurions eu une succession de faillites simultanées et il aurait été impossible pour les praticiens et les tribunaux de traiter l’ensemble des dossiers en même temps. Les PGE ont permis de reporter la difficulté. Ils sont venus combler les pertes d’exploitation. Néanmoins, il est important de préciser que c’est un mécanisme différent d’un emprunt qui est utilisé pour investir ou développer l’activité. C’est assez inédit de voir un prêt mis en place pour « combler un trou ». De manière générale, les financements sont accordés pour répondre à des besoins de fonds de roulement, pour des investissements, des acquisitions, la création de nouvelles usines, lignes de productions… des actions, qui in fine, vont créer de la valeur, générer de la richesse et du cash-flow qui seront utilisés notamment pour rembourser de la dette. Dans le contexte actuel, le PGE est utilisé pour combler les pertes de chiffre d’affaires et payer les salaires. Par la suite, les entreprises vont devoir rembourser une dette qui n’aura pas contribué à créer un bénéfice supplémentaire. Les entreprises les plus solides pourront le rembourser dès la reprise. Les autres, notamment celles qui vont être affectées durablement par la crise, ont la possibilité d’étendre la durée de remboursement entre 1 et 5 ans. Le gouvernement a récemment annoncé l’extension de la période de franchise de remboursement d’un an supplémentaire. Nous nous attendons aussi à des renégociations entre la Fédération des Banques Françaises et l’État sur la question du coût des PGE pour les entreprises et des taux d’intérêt. En parallèle, l’ensemble des mesures prises en urgence par le gouvernement (chômage partiel, moratoire social et fiscal) vont aussi créer de la dette. Et tout comme le PGE, ces dispositifs n’ont pas vocation à générer de la valeur.

En votre qualité de leader sur le marché large cap notamment, vous êtes en première ligne pour observer les effets de la crise sur le M&A. Qu’en est-il ?

Globalement, nous avons réussi à clôturer les opérations signées avant que la crise n’affecte la France et l’Europe au prix, toutefois, de quelques renégociations. En parallèle, il y a eu très peu d’opérations signées sur le second trimestre. Les bons actifs, dont la mise en vente avait été reportée, sont en revanche partis très rapidement cet été. Dès qu’un secteur est touché par la crise, il devient plus difficile de faire des deals du fait du manque de visibilité, aussi bien pour le vendeur que l’acquéreur, malgré des opportunités de consolidation évidentes. C’est le cas dans le domaine de l’énergie, du transport, de l’immobilier commercial et de bureau, et la restauration collective. Pour traiter des dossiers particulièrement difficiles, nous capitalisons sur la complémentarité de nos expertises : M&A, restructuring, finance, social et fiscal. Ces expertises nous permettent de poser le bon diagnostic et d’utiliser les outils les plus pertinents en déterminant, par exemple, pour un dossier s’il est plus pertinent d’acheter in bonis ou au contraire dans le cadre d’une procédure collective afin de potentiellement racheter les actifs sans dette, tout en préparant cette procédure en amont avec l’entreprise afin de minimiser les impacts négatifs sur l’activité.

“Pour traiter des dossiers particulièrement difficiles, nous capitalisons sur la complémentarité de nos expertises : M&A, restructuring, finance, socialet fiscal.”

Aujourd’hui, nous disposons d’outils efficaces pour préparer la reprise en amont dans le cadre d’une procédure de conciliation confidentielle avec un conciliateur nommé par le tribunal. Il est aussi possible d’intervenir en amont même du redressement judiciaire et de discuter avec l’ensemble des parties prenantes. Ce travail en amont permet d’éviter la destruction de valeur qui intervient malheureusement à chaque ouverture d’un redressement judiciaire et de limiter l’impact social.

Aujourd’hui, quels sont les principaux enjeux ?

Actuellement, nous accompagnons certaines entreprises en difficulté dans leur processus de renégociation avec leurs partenaires financiers ou encore pour obtenir un PGE. D’autres clients nous consultent pour investir dans des entreprises en difficulté, soit dans le cadre de procédures collectives, soit dans le cadre de renégociations de structure de dettes complexes avec pour objectif de prendre le contrôle en rachetant de la dette pour la convertir ensuite en capital. Les besoins de nos clients sont différents en fonction de leur nature et de leurs objectifs. Néanmoins, nous avons une ligne directrice forte qui guide nos interventions : trouver la solution qui permettra de préserver au mieux la valeur des entreprises et les salariés. L’enjeu est vraiment de pouvoir intervenir en amont, avant que les difficultés ne soient trop importantes, de sorte à pouvoir déployer l’ensemble des outils à notre disposition. Nous sommes face à une crise très discriminante avec des secteurs qui ne sont pas impactés, voire favorisés par la situation actuelle. Elle est très différente des crises que nous avons traversées dans le passé. C’est une situation qui demande de l’imagination de la part des praticiens et des conseils afin de trouver des mécanismes et des solutions qui s’accommodent du caractère incertain de la situation actuelle qui va se prolonger.

Alexandra Bigot (H.90) est associée au bureau de Paris de Latham & Watkins. Elle intervient principalement sur des opérations de restructuration d’entreprises en difficulté domestiques ou avec une dimension internationale.
Xavier Farde (H.90) est associé au bureau de Paris de Latham & Watkins. Il intervient principalement sur les opérations de financements d’acquisitions, LBOs, de refinancements et de restructuration de dettes.
Alexander Crosthwaite (H.05) est associé au bureau de Paris de Latham & Watkins. Il intervient principalement sur des opérations de fusions-acquisitions notamment en private equity ainsi qu’en droit boursier.

LATHAM & WATKINS a été créé en 1934 sur la côte ouest des États-Unis. Le cabinet a entamé dans les années 1990 une internationalisation avec l’ouverture d’un premier bureau à Londres, puis dans les principaux centres financiers d’Europe, du Moyen-Orient et d’Asie. Aujourd’hui, le cabinet compte plus de 2 800 avocats dans le monde, dont près de 800 associés.

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