Notre système est condamné… mais ce n’est pas forcément une mauvaise nouvelle! Pionnier de l’économie solidaire et sociale, Nicolas Hazard (M.08) anticipe le monde du travail de demain et appelle à une révolution éducative. Des bancs d’HEC à la Commission européenne dont il est conseiller, portrait d’un entrepreneur iconoclaste.

Certains enfants rêvent de devenir cosmonaute ou chef d’orchestre. Nicolas Hazard (M.08), à 9 ans, voulait « résorber le chômage ». « Ça étonnait mes parents, mais j’étais très sérieux ! nous raconte-t-il trois décennies plus tard. J’ai toujours eu envie de changer le monde, ou en tout cas de l’améliorer. » Avec de telles ambitions, celui qui est devenu l’une des figures majeures de la finance durable et de l’économie sociale et solidaire, à la tête du groupe INCO (ex-Comptoir de l’innovation), a longtemps cherché la meilleure voie pour se rendre utile. « La politique m’a toujours passionné, mais pas celle de la confrontation, de l’idéologie, des beaux discours et des oppositions stériles qui étouffent nos sociétés, surtout en France. Ce qui me passionne dans la chose publique, ce sont les réalisations et le goût du résultat : démontrer que ce que l’on fait fonctionne, puis essaimer les bonnes pratiques. »

Fils de médecin, le jeune homme envisage une carrière dans l’administration, avant de comprendre qu’il est taillé pour le secteur privé, convaincu qu’une entreprise a aussi une mission sociale et d’intérêt général. Ces idéaux plein la tête, il vit comme un choc son premier cours en classe prépa d’écoles de commerce. « D’emblée, le professeur nous a expliqué que le principe élémentaire de l’économie était la seule maximisation du profit. Autant dire que je suis resté sur ma faim… » Cette quête d’une économie plus éthique et solidaire, il la fait au sein d’HEC, « une boîte à outils extraordinaire pour comprendre les enjeux du xxie siècle », lors d’un double cursus avec Sciences-Po Paris en Master affaires publiques. À 26 ans, il profite de son année de césure pour partir en Italie et collaborer avec Romano Prodi, le leader de centre-gauche nommé président du Conseil après le long règne berlusconien. Conseiller en charge des questions européennes, le stagiaire travaille sur la liaison ferroviaire transalpine Lyon-Turin. « Un chantier titanesque, handicapé par les lenteurs de la politique et de l’administration. Cette expérience m’a convaincu que le vrai pouvoir se trouvait du côté des entreprises. »

De retour en France, il surprend ses professeurs en consacrant son mémoire à la finance islamique. « Au-delà de la dimension religieuse, je trouvais passionnant que, dans ses principes, il faille reverser une partie des dividendes à des associations. En outre, dans le monde arabo-musulman, la propriété directe n’existe pas : une banque investit toujours avec l’empruntant, même pour les achats d’immobilier. Je n’ai pas considéré ce système comme un modèle à suivre, mais cette dimension sociétale m’a intrigué, tout en me faisant comprendre que la finance n’était qu’un outil. Et qu’il était possible de changer notre modèle. »

Pionnier de l’impact investing

Après avoir décroché son diplôme en 2008, il crée un fonds d’investissement consacré au développement des entreprises sociales en France et dans le monde. Un projet culotté alors que Nicolas Hazard n’a aucune expérience dans la finance… De fait, les prémices du Comptoir de l’innovation sont semées d’embûches, à une époque où l’on parle peu d’économie solidaire et sociale (ESS). « J’ai mis presque deux ans à lever les premiers fonds. Les investisseurs trouvaient le principe intéressant, mais n’avaient d’yeux que pour le taux de rentabilité interne. Il a fallu faire énormément de pédagogie pour expliquer les bénéfices indirects de financer des entreprises respectueuses de l’environnement, de leurs salariés et de l’ensemble de la société. » Parallèlement, et parce qu’il faut bien être rémunéré, il intègre le groupe SOS, pionnier des entreprises sociales en France, et continue à défendre la promotion de son fonds d’investissement. Le travail paie : au bout de trois ans d’existence, le Comptoir de l’innovation séduit AXA ou Amundi, qui injectent une vingtaine de millions d’euros pour soutenir des coopératives et des entreprises solidaires. Pédago et photogénique, le jeune trentenaire devient l’un des visages d’un secteur en plein boom : à partir de 2013, il organise à l’Hôtel-de-Ville le Salon Impact2. L’événement réunit banquiers, dirigeants, représentants des pouvoirs publics et des ONG de plus de 50 pays. « En voyant ces milliers de personnes venues d’horizons différents, je me suis dit qu’on avait remporté une bataille, mais qu’on ne gagnera la partie que lorsqu’on arrêtera de considérer l’ESS comme un secteur, alors que toute l’économie devrait être empreinte de pratiques inclusives. »

Cette vision holistique nécessitait une complète refonte interne… « Pour transformer nos pratiques, on ne peut pas se restreindre à la finance. Il était donc nécessaire d’élargir la structure et de l’internationaliser. » En 2016, le Comptoir de l’innovation devient INCO, un groupe de 450 salariés qui balaie tout le spectre de l’économie éthique : opérations de financement (INCO Ventures), création d’écosystèmes pour soutenir les entrepreneurs (INCO Incubators), éducation (INCO Academy, qui revendique avoir formé plus de 400 000 personnes aux métiers de demain)… « Notre système d’éducation est dépassé. Il faut repenser la formation dans un monde où chaque individu va exercer une vingtaine de fonctions au cours de son existence et où un poste devient très vite obsolète. Le triptyque linéaire études-travail-retraite a volé en éclats, et chacun doit prendre conscience qu’il faut s’occuper de sa formation comme de sa santé. » À 40 ans, Nicolas Hazard n’a pas renoncé à changer le monde. On l’a vu conseiller la maire de Paris, Benoît Hamon ou encore Valérie Pécresse, avec qui il a lancé le premier programme de formation au métier de pilote de drone. Comme un aboutissement de son engagement, l’entrepreneur a rejoint en 2020 la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen afin de développer l’économie à impact et l’entrepreneuriat social dans les 27 pays de l’Union. Et ce n’est pas sans fierté qu’il voit certaines de ses propositions adoptées au Parlement.

Nicolas Hazard (M.08)

1982 Naissance à Paris

2008 Master Management à HEC

2010 Fonde le Comptoir de l’innovation

2013 Crée Impact2, le Salon de l’entrepreneuriat social à Paris

2016 Le Comptoir de l’Innovation devient le groupe INCO, pour accompagner les entreprises et les collaborateurs de l’économie sociale

2020 Conseiller spécial à la Commission européenne

2022 Publie Qu’est-ce qu’on va faire de toi ? (Flammarion)

La 4e révolution industrielle

Sa vision du monde, Nicolas Hazard la présente dans des livres où il déroule son talent pour la prospective, et la provocation. Dans Le bonheur est dans le village (Flammarion, 2021), il brocarde la culture jacobine et appelle à relocaliser. « 80 % des Franciliens affirment qu’ils quitteraient la région s’ils le pouvaient ! Il faut prouver que les bonnes pratiques et la réussite se trouvent aussi dans les campagnes », raconte celui qui, au sein d’INCO, a développé un réseau de tiers lieux pour repenser l’économie en milieu rural. Basée à Saint-Bertrand-de-Comminges (Haute-Garonne), une ancienne ferme a réouvert ses portes en 2020 pour accueillir des start-up green et sociales. Cette « Villa Médicis » des Pyrénées devrait bientôt faire des petits. « La crise sanitaire a produit un effet accélérateur, avec le développement du télétravail, des circuits courts, et des nouvelles manières de penser son rapport à l’emploi ou à la société.

C’est le rôle des entreprises de suivre les talents, et non plus l’inverse

C’est le rôle des entreprises de suivre les talents, et non plus l’inverse », assène-t-il, bien conscient que les « courants telluriques de l’ancien monde » sont encore difficiles à endiguer. « Il va pourtant bien falloir s’adapter. Et vite. Pour répondre aux enjeux de la 4e révolution industrielle, il est nécessaire de revoir notre économie et nos manières de travailler. Si on n’agit pas, la technologie va détruire plus d’emplois qu’elle ne va en créer. » Nicolas Hazard a lu Schumpeter, et il demeure convaincu que si des millions d’emplois vont disparaître, d’autres vont émerger, selon le principe de la destruction créatrice. Il estime que 85 % des métiers qui seront exercés dans trente ans n’existent pas encore. Dans son dernier ouvrage, Qu’est-ce qu’on va faire de toi ? (Flammarion, 2022), il égraine 21 de ces métiers du futur : des « nostalgistes » qui utiliseront la réalité virtuelle pour aider les personnes âgées à travailler sur leurs souvenirs, des « éthiciens d’intelligence artificielle » qui détermineront la manœuvre la plus juste à opérer pour les véhicules autonomes lors de décisions critiques. Et aussi des « réensauvageurs » qui réimplanteront des espèces disparues dans des écosystèmes, des éleveurs de criquets dans des fermes verticales, des nanomédecins… Il est temps d’aller jeter un œil sur son compte formation.

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