À 32 ans, la française installée dans la Silicon Valley fait entrer Front dans le cercle très restreint des licornes après une levée de fonds de 65 millions de dollars qui porte la valorisation de la start-up qu’elle a co-fondée à 1,7 milliards de dollars. Rencontre avec une entrepreneure qui voit loin, sans perdre de vue le triptyque bien-être au travail, famille, bonheur.

HEC Stories : Il y a 1360 licornes dans le monde, seulement 10 sont fondées par des femmes. Vous faites partie de celles-ci, qu’est-ce que ça vous inspire ?

Mathilde Collin : Ça ne change rien pour moi. Je suis quelqu’un qui pense au futur, pas au passé. Mon tempérament est de me dire, « voilà où on en est aujourd’hui mais qu’est-ce qu’on va faire demain » ? Ces 9 dernières années {Front a été créée en 2013, NDLR}, j’ai gardé les pieds sur terres. Je sais que j’ai eu beaucoup de chance. Énormément de gens m’ont aidée, mon co-fondateur est incroyable et le marché est en croissance. Avec mon équipe, on a très bien bossé – d’ailleurs, on aurait pu plus célébrer en interne – et ça donne une certaine humilité. C’est d’ailleurs une des valeurs de Front et on la vit au quotidien. Il y a 5 ans, mon co-fondateur a eu un cancer dont il s’est totalement remis aujourd’hui. J’ai beaucoup vécu cette phrase : « it’s just a job ! ». Mon identité n’est pas seulement d’être la CEO de Front. J’ai d’autres centres d’intérêt que la technologie. J’ai une famille. J’aime donner de mon temps et de mon argent à d’autres qui ont eu moins de chance que moi {Mathilde Collin a investi dans une centaine de start-up de software à Paris et à Londres notamment ; elle est aussi au board de Welcome To The Jungle}.

HEC Stories : Vous êtes diplômée d’HEC Entrepreneurs, que gardez-vous de ces années d’études ?

M.C. : Avant même le campus, ça a commencé dès la prépa où j’ai appris à travailler et à réfléchir à énormément de sujets en même temps. Mais je suis convaincue que la prépa n’est pas adaptée à tous les profils. Tout le monde n’a pas la capacité d’ingurgiter autant d’informations en même temps et ça n’est pas grave ! J’étais forte à l’école et j’ai travaillé dur en sachant que je pouvais y arriver. La prépa m’a appris à travailler dur et à savoir gérer des tonnes de sujets à la fois. Ensuite, à HEC Entrepreneurs, j’ai appris qu’au fond, on ne pouvait apprendre qu’en faisant, concernant les métiers qui m’intéressaient. Rencontrer des entrepreneurs et m’en inspirer, voilà ce qui m’a aidée. Pendant mon année de césure, j’ai travaillé huit mois à la direction financière de Bouygues puis chez Shopcade avec Nathalie Gaveau, à Londres. Là-bas, j’ai eu le sentiment que c’était aussi marrant que des vacances. L’équipe était sympa, on avait une grande autonomie et tout à faire. C’est important d’avoir un job où on est content d’aller, je n’aurais pas pu le dire chez Bouygues.

HEC Stories : Avez-vous des mentors ?

M.C. : Pas un en particulier. Plein de gens m’ont appris plein de choses. À HEC, j’ai aimé la diversité des professeurs, chacun avec son lot d’expériences. À mon époque, le dean était Bernard Ramanantsoa, j’ai toujours été très impressionnée par lui et par son calme. L’ancien directeur et fondateur d’HEC Entrepreneurs était Robert Papin, il m’a beaucoup drivée.

HEC Stories : Pourquoi la Silicon Valley ?

M.C. : Aujourd’hui, la situation est très différente de ce qu’elle était il y a 9 ans. Quand j’ai créé Front, un outil d’emails collaboratif, la capacité des gens à nous faire confiance était moindre en Europe qu’elle ne l’était aux États-Unis. Il y a 9 ans, les grosses entreprises de là-bas étaient petites, alors qu’en France, elles étaient déjà très grosses il y a 50 ans. Là-bas, on a pu aller plus vite pour vendre le produit. Il faut savoir que je suis très compétition. Je fais beaucoup de sport, j’aime gagner, pas perdre. Alors j’ai pensé que Front irait plus vite en s’installant aux États-Unis car on serait plus proche de nos clients. J’ai beaucoup aimé l’enthousiasme américain, qui a aussi ses limites bien sûr. Quand tu créés une société, tu as beaucoup de « non ». Alors dans ce monde où il y beaucoup de rejet, être entourée de gens positifs me rendaient plus heureuse.

HEC Stories : Quelle place accordez-vous à votre rôle de mère de famille ?

M.C. : J’ai une fille de 2 ans et j’aurais un autre enfant à la fin de l’année. Ça met le temps en perspective.  Avec les enfants, on réalise beaucoup plus ce que l’on perd quand le temps file. Je vais chercher ma fille à la crèche tous les jours à 17H. Ça fait partie de mon équilibre. Je ne serais pas une bonne CEO si j’étais frustrée. Or, comme ça, je suis une femme heureuse. J’ai compris que Front était une longue journée alors j’évalue mes priorités.

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