À 30 ans, Marc-Arthur Gauthey (H.12) a mis de côté une carrière d’entrepreneur pour gravir les sommets des Andes. Une ascension qui l’a conduit à s’engager dans l’humanitaire et à écrire un roman. Itinéraire d’une reconversion.

La ligne avait l’air toute tracée. Parents entrepreneurs, grand frère diplômé de l’EDHEC, master de management à HEC… À la sortie d’HEC, Marc-Arthur Gauthey s’était montré prolifique dans la création de start-up : marketplace de cours entre particuliers avec Cup of Teach, think-tank d’économie collaborative avec OuiShare ou encore salon de l’innovation avec Startup Assembly. Mais ce parcours exemplaire était jalonné d’hésitations et de détours : il avait failli embrasser une carrière universitaire après un master d’histoire (enfant, il voulait être prof ), puis avait envisagé de suivre une formation de journalisme au terme d’une prépa littéraire. Pas une pure vocation d’entrepreneur. Découragé par la faillite de sa première entreprise, Cup of Teach, et par l’activité drainée par Startup Assembly, qui réunit chaque année un millier de jeunes entreprises, Marc-Arthur jette l’éponge en 2016. Il cède sa boîte gratuitement, met son appart parisien en sous-location et parvient à convaincre sa petite amie du bien-fondé de sa soudaine folie : s’envoler vers l’Amérique latine. Le prétexte de ce voyage, c’est l’escalade. Féru d’alpinisme, il s’est mis en tête de se mesurer aux plus hauts sommets de la cordillère des Andes. Un challenge qui confine à la quête filiale, puisque dans son histoire, l’alpinisme est à l’origine d’un drame. « Mon père est mort en tentant une ascension dans les Pyrénées. J’avais 15 ans. J’ai longtemps eu peur de la montagne, mais arrivé à l’âge adulte, j’ai voulu l’apprivoiser. »

Prendre de la hauteur

Entre deux ascensions, les vallons et les plaines sont l’occasion de rencontres. « Je me souviens d’un couple de fermiers qui cultivait du café en Colombie. Lui avait d’abord quitté le pays, plusieurs années auparavant, pour échapper à la menace des narcotrafiquants. Il s’était exilé au Canada. Là, il avait fait la connaissance de sa future femme. Avec leurs deux enfants, ils avaient choisi de revenir en Colombie pour vivre de leur petite exploitation. Il faut parfois beaucoup de courage et de ténacité pour réaliser ses rêves. » Le woofing (qui consiste à travailler au sein d’une ferme en échange du gîte et du couvert) permet au couple de s’imprégner de la culture des pays qu’il traverse, du Brésil au Pérou. La nature démesurée, celle qui s’admire depuis le sommet des pics, mais aussi celle qui coule le long du fleuve Amazone, ajoute à la magie de cette parenthèse. Que referme brusquement un heureux événement. La venue d’un enfant interrompt le tour du monde : alors qu’ils envisageaient de traverser le Pacifique jusqu’au Népal pour toucher les sommets de l’Himalaya, les futurs parents bifurquent pour se rendre à l’évidence de leurs nouvelles responsabilités. Quelques semaines avant le terme, les deux voyageurs rentrent en France. Mais avant de devenir père, Marc-Arthur entreprend une dernière ascension, celle du pic du Midi d’Ossau, où son propre père s’était tué seize ans plus tôt. «Cela peut paraître étrange, mais j’en ressentais le besoin, à la fois pour tourner la page de la disparition de mon père et pour me projeter dans la parentalité. Quelque part, si je réussissais là où mon père avait échoué, j’aurais eu l’impression d’être prêt à être moi-même un bon père. »

SOS Méditerranée mène une mission nécessaire. Le simple fait qu’elle ait été fondée par des citoyens européens, donc par la société civile, montre à quel point les États ont abdiqué. Il est inexcusable et intolérable de savoir et de laisser faire.

 

Revenir à l’essentiel

D’un long voyage et d’un curieux rite de passage, le couple revient transformé. « On a vite compris qu’on ne pouvait plus vivre à Paris, dans cette oppression permanente et ce manque de nature, mais aussi qu’on voulait faire quelque chose qui nous tenait vraiment à cœur, que l’on juge important. » La famille emménage dans le port de Marseille, et, quelques mois plus tard, Marc-Arthur décroche un poste de directeur de communication dans une ONG créée pour secourir les migrants en haute mer, SOS Méditerranée. Chaque jour, des centaines de personnes s’entassent sur des embarcations de fortune pour fuir leur pays, au péril de leur vie. La traversée de la Méditerranée depuis la Libye vers l’Europe est devenue la route migratoire la plus dangereuse au monde.

«Cette association mène une mission nécessaire. Le simple fait qu’elle ait été fondée par des citoyens européens, donc par la société civile, montre à quel point les États ont abdiqué. Il est inexcusable et intolérable de savoir et de laisser faire, de relayer un discours abject qui consiste à dire : “À force de mourir, ils vont se décourager“ ». Mais cette expérience riche de sens se révèle aussi terriblement difficile : le contexte politique, le nombre de morts comptés chaque jour et l’impression que la situation ne fait qu’empirer finissent par avoir raison de son engagement. Après un an et demi, il quitte SOS Méditerranée pour se tourner vers l’écriture. Avant même de rejoindre l’ONG, il avait envoyé un manuscrit qui avait retenu l’attention d’un éditeur. Mais les délais de traitement des maisons d’édition, « un monde qui ne fonctionne pas au rythme des start-up », et la crise du Covid ajournent le projet. Finalement, son tout premier roman, Irresponsables, paraît en 2020 aux éditions de La Rémanence. «Ça parle d’amour, de montagnes, d’aventure, de deuil et de paternité. Le titre interroge ce que l’on s’autorise à faire, et à quel prix ? » Deux autres manuscrits attendent dans ses tiroirs. Écrire aide parfois à vivre, mais rarement à gagner sa vie. L’ex-entrepreneur envisage donc d’ouvrir un organisme de formation en alpinisme, s’appuyant sur des compétences chèrement acquises. Et désormais père de deux enfants, il espère pouvoir leur transmettre le goût du voyage. « Nous avons gardé un sentiment d’inachevé en abandonnant notre idée d’aller au Népal. Souvent, je me demande si l’on ne devrait pas tenter cette aventure en famille… »

Non-assistance à migrants en danger

SOS Méditerranée est une ONG fondée en 2015 par des citoyens de toute l’Europe pour pallier la défaillance des États. Depuis 2014, date de l’arrêt de l’opération militaire Mare Nostrum (lancée en 2013 après le drame de Lampedusa), aucune mission étatique n’était mise en place pour secourir les embarcations en détresse en Méditerranée, pourtant de plus en plus nombreux. À partir de 2016, l’ONG a pu affréter le navire Aquarius, remplacé par l’Ocean Viking en 2019, grâce à un financement participatif de plus de 300 000 euros. L’ONG a ainsi pu secourir en mer plus de 30000 personnes.

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