Lucie Basch (Too Good To Go) reçoit le prix de l’Audace
Posée dans la piscine à balles d’une terrasse perchée au-dessus des Champs-Elysées en ce mardi 31 mai, Lucie Basch savoure les derniers rayons de soleil de la journée… Et sa nouvelle victoire. Cette victoire est collective, c’est celle de la start-up Too Good To Go qui lutte contre le gaspillage alimentaire depuis 2015 et vient de remporter le prix de l’Audace HEC Alumni 2022 décerné par le Hub Marques & Médias. Rencontre avec la fondatrice de l’application qui sauve 280 000 repas par jour.
HEC Stories : Vous venez de remporter le prix de l’Audace HEC Alumni 2022, qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
Lucie Basch : J’en suis très heureuse, c’est un prix que j’ai envie de partager avec toute l’équipe. Le mot « audace » m’a toujours beaucoup plu. Je considère qu’il est très important d’oser et j’ai pour habitude de dire qu’en osant on ne risque finalement pas grand chose, et qu’on apprend toujours beaucoup. Nous sommes nombreux à être audacieux chez Too Good To Go et ce n’est que comme ça que nous arriverons à déplacer des montagnes et changer les choses.
HEC Stories : Ce prix récompense l’audace des marques, qu’il y-a-t-il d’audacieux dans la démarche de Too Good to Go ?
Lucie Basch : Nous montrons qu’il est possible de créer une entreprise qui a une vocation d’impact. Notre KPI principal est le nombre de repas sauvés par jour. Les objectifs des salariés sont basés sur ce chiffre que nous analysons quotidiennement et cet indicateur de performance est beaucoup plus parlant pour eux que les indicateurs financiers. Nous avons construit notre modèle économique avec pour seul objectif de maximiser cet impact sur le monde pour lutter contre le gaspillage alimentaire. Too Good To Go se réinvente en permanence, nous n’avons pas vocation à faire ce que toutes les autres entreprises font. Par exemple, plutôt que de mener des campagnes de communication classiques sur Google et dans le métro pour ramener un maximum d’utilisateurs et de commerçants sur l’application, nous avons préféré lancer le Pacte sur les Dates de consommation (ndlr : coalition d’acteurs engagés à clarifier la signification des dates de consommation), et un programme d’Ecole Anti Gaspi. Notre pari est de dire que si les gens entendent parler de ces initiatives à valeur ajoutée, ils auront envie de s’engager et donc de télécharger l’application.
HEC Stories : Et ça marche ? Où en est l’application Too Good To Go aujourd’hui ?
Lucie Basch : Nous sommes présents dans 17 pays en Europe et en Amérique du Nord. Au total plus de 130 millions de repas ont été sauvés de la poubelle grâce à une communauté de 55 millions de consommateurs, dont 12 millions en France. Plus de 150 000 commerçants utilisent l’application au quotidien.
HEC Stories : Pouvez-vous nous en dire plus sur le programme éducatif Mon école Anti Gaspi ?
Lucie Basch : En créant l’application, notre volonté était de permettre à tous de pouvoir agir de façon efficace contre le gaspillage alimentaire. Pour être vraiment honnêtes dans notre démarche, il fallait aller plus loin que la création d’une application, il fallait créer un véritable mouvement. Un grand nombre de nos initiatives découlent de ce constat et ont pour objectif d’embarquer toute la société dans cette démarche anti gaspi. Quand on parle de changer la société, les écoles ont évidemment un rôle clé à jouer pour changer les mentalités en profondeur. Avec ce programme qui sera déployé au sein de milliers d’écoles dans le pays à la rentrée 2022, nous donnons les clés aux instituteurs pour parler gaspillage alimentaire de façon efficace.
HEC Stories : Too Good To Go fait partie du Collectif de l’Alimentation Durable Pour Tous qui a pour ambition de pousser les politiques à apporter plus d’attention au sujet de l’environnement. Comment comptez-vous procéder ?
Lucie Basch : Ce collectif a été initié au moment de la campagne présidentielle. Nous trouvions qu’on ne parlait pas assez d’alimentation et notamment du changement nécessaire du système d’alimentation d’aujourd’hui. Avec 9 autres acteurs du secteur nous allons mettre en valeur les bonnes pratiques observées par chacun et faire en sorte qu’elles soient déployées à large échelle, voire même normalisées. Une fois que les législatives seront passées, nous contacterons les députés concernés en ce sens pour transformer ces bonnes pratiques en véritable proposition de loi afin de les intégrer dans la réglementation française.
HEC Stories : Cela veut dire que la transition alimentaire n’avance pas dans la bonne direction selon vous ?
Lucie Basch : Oui, clairement. Nous pensons que ça ne va pas du tout assez vite. Ni les pouvoirs publics, ni les entreprises privées n’ont pris un rôle assez actif pour orienter les choix des consommateurs et les informer. Entre le bio, le local, le Français, le sans OGM, le consommateur se retrouve aujourd’hui totalement perdu et ne sait plus trop ce qui compte réellement alors même que nous avons besoin de nous lancer dans de nouvelles habitudes alimentaires.
HEC Stories : Quel est votre modèle économique ? L’entreprise est-elle rentable ?
Lucie Basch : Nous avons choisi de définir un modèle économique parfaitement en lien avec nos intérêts écologiques. L’un ne va pas sans l’autre. Pour chaque repas sauvé, nous prélevons une commission d’environ 1 euro, ce qui veut dire que ces repas sauvés sont directement liés à notre chiffre d’affaires. Quand on met le sens au cœur de l’entreprise tout devient plus simple : il n’y a pas de contradiction entre notre mission et nos objectifs. Plusieurs des marchés de Too Good To Go sont déjà rentables et génèrent un profit chaque année, c’est le cas pour la France, la Norvège, la Suisse, le Danemark et les Pays-Bas… Ce profit est toujours utilisé pour permettre notre développement dans davantage de pays puisque l’idée est de créer un mouvement mondial de lutte contre le gaspillage alimentaire. Quand on se lance dans un nouveau pays, nous savons que cela prendra un certain temps avant d’atteindre la rentabilité ce qui explique pourquoi nous ne sommes pas encore rentables au niveau du groupe.
HEC Stories : Comment se passe l’introduction récente de l’application sur le marché américain ?
Lucie Basch : Le lancement est intervenu dans un contexte très spécial, en plein Covid… Mais la problématique du gaspillage alimentaire était toujours là et le lancement a finalement été plus rapide que dans n’importe quel autre pays. Nous sommes présents dans plusieurs villes aux Etats-Unis et au Canada et ce, même si ces pays ont une conscience écologique moins développée qu’en Europe. La force de Too Good Too Go est aussi d’être une des rares solutions qui allie le pouvoir d’achat à l’écologie et ces idées de bons plans et de sens ont fait leur effet dans ces pays.
HEC Stories : Sur quels projets futurs travaillez-vous en ce moment ?
Lucies Basch : L’idée principale est de continuer à avoir de l’impact dans chacun de nos pays à la fois de manière directe avec l’application, mais aussi de manière indirecte en remontant un peu la chaîne. Nous aimerions travailler de plus en plus avec les industriels, les fermes et les producteurs pour apporter une solution complète à nos partenaires de la grande distribution.
HEC Stories : Avez-vous un message pour nos alumni, entrepreneurs et autres simples citoyens ?
Lucie Basch : Ne manquez pas d’audace. On ne regrette jamais de s’être lancé, même quand on se plante !
Published by Flavia Sanches