De nombreux exemples, dans la nature comme dans les organisations, nous montrent qu’on peut créer du mieux en cassant les codes. Les dirigeants s’accordent pour dire qu’il faut de l’audace, de l’esprit critique, qu’il faut penser « out of the box », et donc finalement que l’impertinence peut favoriser la créativité, l’innovation, le feed-back, etc. Et qu’il faut donc la permettre. Du moins, en théorie. Car, dans la pratique, rares sont ceux qui sont prêts à en payer le prix, c’est-à-dire à accepter les conséquences d’un système qui permet vraiment de casser les codes, et donc de créer du « dissensus », du désaccord, du chaos, de la remise en question et de la désobéissance.Alors que peut-on faire ? C’était le sujet du webinar HEC au Féminin « Osons l’impertinence », organisée avec la formidable Emmanuelle Joseph-Dailly, le 29 septembre dernier.

L’impertinence, à travailler depuis l’enfance.

Comme toute compétence, l’impertinence s’apprend, se pratique et est en lien avec l’entourage. Pour cela, il faut dès l’enfance encourager l’enfant à casser les codes, à exprimer sa créativité. Le revers de la médaille, plus difficile, consiste à accepter d’une part le risque pour l’enfant d’aller explorer au-delà des limites établies et d’autre part le jugement social que l’enfant va provoquer par son comportement ou ses paroles « non pertinentes ». Donc, permettre l’impertinence c’est d’abord et avant tout prendre sur soi.

Sortir de l’école de la verticalité.

Le système scolaire français, très vertical même dans l’organisation de la classe en « rangs » (en opposition à certains systèmes scandinaves), amène une construction émotionnelle de peur de l’impertinence et de la désobéissance vis-à-vis de l’autorité, qui va marquer pour toujours nos esprits. Or, comme le montrent les études en neurosciences, nos décisions sont liées à nos émotions. Notre expérience de l’école, qui se réactive inconsciemment dans les systèmes très verticaux des entreprises, va directement influer sur nos décisions d’exprimer ou non une « impertinence ». Car l’impertinence ne peut pas exister sans une forme de désobéissance. Travailler sur cette sémantique, faire attention au poids des mots peut être une première étape.

L’impertinence, une injonction souvent paradoxale.

Intellectuellement, toutes les organisations veulent de l’esprit critique, de l’audace, de l’entrepreneuriat, de l’erreur, etc. Mais cela veut dire ouvrir la porte au non-respect de leurs règles. Le système entier doit être modifié pour accepter que toutes les règles puissent être transgressées, pour vraiment aller vers le dissensus, favoriser le débat, vouloir diverger.Or le conformisme est tenace. Il y a souvent une peur de l’impertinent qui met en péril l’harmonie d’une relation, d’un groupe, d’une dynamique. On va toujours plus facilement vers le conformisme, et même en tant que manager, on tend à dévaloriser ou éviter les comportements impertinents. Cela présente un risque : le biais de conformisme amène souvent des groupes à faire des erreurs parce que personne n’ose être impertinent et dire : « le roi est nu ». Il faut donc casser ce conformisme. Et là, chacun peut jouer son rôle et être impertinent.

L’impertinence élégante, le pouvoir du tact.

Pour que l’impertinence puisse bien fonctionner, il faut donc qu’elle ne soit pas une menace pour la relation ou le groupe. Pour cela, le tact et le timing sont des éléments clés. Comment développer cette « impertinence constructive » ? En maintenant la relation avec l’autre ou le groupe dans le désaccord ou le dissensus, par exemple en pratiquant l’autodérision. En maîtrisant parfaitement les règles, les codes et leurs contours, pour pouvoir jouer avec. En restant à l’écoute pour sentir à quel moment il sera pertinent d’être impertinent. En se focalisant sur le message qu’on veut transmettre plutôt que sur le regard des autres.En acceptant l’émotion que cela peut générer. Et, bien sûr, en recherchant une culture dans laquelle l’impertinence est autorisée et même encouragée, par exemple en regardant si le dirigeant lui-même est impertinent et aime qu’on le soit avec lui.

Oser l’impertinence, ça commence par accepter celle des autres.

Avant de critiquer le système qui « ne nous permet pas d’être impertinent », prenons le temps d’une introspection pour se poser quelques questions. Quelle a été notre éducation, notre enfance, notre rapport à l’école ? Comment accepte-t-on les dissensus au sein d’un groupe ?Comment gère-t-on la pression sociale et le groupe ? Quelle peur cela peut-il réveiller dans notre relation aux autres ? Et ainsi voir comment nous-mêmes réagissons face à l’impertinence, la nôtre ou celle des autres. Car c’est à chacun d’entre nous qu’il appartient de « casser les codes » et faire évoluer le système, en favorisant l’impertinence autour de nous.À vous de jouer !

Quelques références inspirantes.

Les Habits neufs de l’empereur, conte d’Andersen ; Solomon Asch et son travail sur le conformisme social… Et aussi deux références de recherche sur le poids des émotions dans la prise de décision : Neurosciences et affects, de Bénédicte Giffard et Bernard Lechevalier, paru dans Champ psychosomatique 2006/1 n°41 ; The Somatic Marker Hypothesis : A Neural Theory of Economic Decision, d’Antoine Bechara et Antonio R.Damasio, paru dans Games and Economic Behavior, 52, 2005, 336-372.

Hélène de Saint Front (H.09)

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