Avec Artpoint, Laurie Bonin (H.19), 29 ans, expose l’art numérique dans les lieux de passage, des endroits parfois prestigieux. Un nouveau rapport à l’art. Rencontre au pied de la Tour First à La Défense.

Un lourd soleil de rentrée tape sur le quartier d’affaires de La Défense. Émergeant de ce décor urbain, une immense fleur stylisée et mouvante, est visible à travers les vitres de la Tour First. De l’art. Laurie Bonin (H.19), cofondatrice d’Artpoint, une start-up spécialisée dans la mise en valeur d’artistes et d’œuvres numériques, reçoit HEC Stories dans le hall du plus haut gratte-ciel de France, qui est l’un de ses clients.

Elle nous entraîne dans une visite de l’exposition en cours : des objets culturels dématérialisés, diffusés en vidéo sur deux écrans géants et quelques totems disséminés ici et là dans les lieux de passage. Les végétaux géants de l’artiste Mei Tamazawa surplombent ainsi les allées et venues des employés. En haut d’un escalator, le menu de la cafétéria a cédé la place aux animations en 3D de Laura Alonso.

 

 

Nous prenons place sur le mobilier de designer installé dans le hall. Avant d’entrer à HEC, la jeune entrepreneure voulait faire des études de théâtre. Refus parental catégorique. Elle prend donc la direction de la classe préparatoire de son lycée de Meaux, sans jamais se défaire de l’idée de travailler dans la culture. « À HEC, ce qui m’a le plus plu, ce sont les cours d’entrepreneuriat. J’y voyais vraiment un moyen de mettre mon énergie créative au bon endroit. »

 

Un art encore marginalisé

 

C’est en 2018, en Master Entrepreneurs, qu’elle rencontre sa future associée, Julie Corver (M.19), qui a déjà un parcours en droits d’auteur, en droit du marché de l’art et en propriété intellectuelle. Elles prennent pour modèles les fondateurs de la société Yellow Korner, Alexandre de Metz (M.05) – passé lui aussi par le Master Entrepreneurs – et Paul-Antoine Briat (H.05). Eux ont trouvé le succès dans la vente d’impressions de photos d’art et gèrent aujourd’hui une centaine de galeries à travers le monde.

« Notre ambition était de rendre la culture accessible au plus grand nombre. À HEC, les élèves ont quasiment tous un bagage culturel important, hérité de leur milieu social. Mais comment décloisonner ? Comment rendre ces connaissances accessibles à des personnes tenues éloignées de la culture ? »

Assez vite, Laurie et Julie s’intéressent à l’art numérique. « C’est un art qui restait très marginalisé dans les plus grandes institutions, où les artistes avaient peu d’opportunités de s’exposer et vivre de leur travail, se souvient Laurie Bonin. Nous avons voulu créer un modèle qui leur permettrait d’émerger, et de faire la promotion de ce courant auprès du public. »

La construction de ce projet est l’occasion de rencontres décisives. À l’image de Damien Perrot, directeur du design du groupe Accor, nombreux sont les professionnels qui soulignent le besoin de redonner vie aux espaces hôteliers. « Certains lobbys d’hôtels peuvent paraître hyper froids. Leur seule et unique fonction, c’est de pouvoir faire le checking. » Laurie et Julie lancent Artpoint en octobre 2019, se positionnant ainsi en « intermédiaire entre artistes et clients ». Un premier contrat est signé en novembre avec le prestigieux l’hôtel Pullman Paris Tour Eiffel. Au départ, elles s’appuient des noms connus, « approuvés par la communauté numérique » comme Luigi Honorat, Matthew Biederman ou Yoshi Sodeoka.

 

« Ne peut-on pas se servir du côté duplicable de l’art numérique ? »

 

Les œuvres sont laissés en location, grâce à un système d’abonnement mensuel qui « ressemble à un abonnement Spotify, avec des thématiques : écologie, nature, relaxation, calme ». Les artistes perçoivent une rémunération à la projection, sous forme de droits d’auteur. Le prix, non fixe, dépend du nombre de site et de la taille des écrans du client.

Et puis il y eut mars 2021 : lors d’une vente aux enchères chez Christie’s, une œuvre de l’artiste Beeple est adjugée pour 69,3 millions de dollars. Du jamais-vu. Et un événement qui provoque un débat médiatique sur la toile et IRL. Intangible, duplicable et donc difficile à valoriser, l’art numérique interroge. C’est avec l’émergence des NFT (jetons non fongibles), qui permettent de certifier l’authenticité et la propriété d’objets numériques, qu’il est devenu possible d’acheter et de collectionner ces œuvres. Et donc, de les vendre.

 

 

Si le système d’abonnement mensuel, qui se distingue des traditionnelles expositions en galerie, constitue le gros du chiffre d’affaires d’Artpoint, les œuvres sont également accessibles à l’achat. « Les NFT ont permis à une toute nouvelle génération d’artistes de pouvoir se vendre et vivre de leur travail. C’est pour ça que l’on adore cette technologie, précise Laurie. Mais ne peut-on pas se servir du côté duplicable de l’art numérique ? Cela ne permettrait-il pas de démultiplier les revenus d’une seule œuvre, en la diffusant un peu partout dans le monde ? »

Avec 5000 références dans leur catalogue, Artpoint compte plus de cinquante clients parmi lesquels BPCE, Sanofi, Accor, Unibail ou encore SNCF. Les œuvres sont visibles en France, mais aussi aux États-Unis, à Singapour, et bientôt à Sydney et Kuala Lumpur. Leur art n’est pas réservé qu’aux cadres de la Tour First ou à la clientèle business des hôtels de luxe. Il orne aussi certaines galeries commerciales et viendra, bientôt, égayer des endroits tristement célèbres pour leur caractère anxiogène : les hôpitaux.

 

En photo: Les oeuvres de BonjourLab, Laura Alonso, et Mei Tamazawa exposées dans les halls de la Tour First, La Défense. ©EstelPlagué/HECStories

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