Pour éviter le gâchis alimentaire et permettre aux agriculteurs africains de maîtriser la chaîne de valeur, Victor Nono (MBA.97) a conçu des usines agroalimentaires mobiles.

 

C’est une usine qui tient dans un container de 45 pieds. Une mini-unité mobile de 10 tonnes qui a fait le voyage depuis la France pour arriver en Côte d’Ivoire en septembre dernier. À l’intérieur, des cuves, un pasteurisateur, une raffineuse… Le matériel nécessaire aux agriculteurs ivoiriens pour transformer en jus, sauces ou purées une partie de leurs productions. Voilà une solution pour combattre un fléau en Afrique, où 40% des récoltes de fruits et légumes dépérissent.

Cette ingénieuse idée mûrît dans l’esprit de Victor Nono (MBA 1997) depuis des décennies. Fils d’agriculteurs camerounais installé à Grenoble, il poursuit, avec son entreprise à mission AS Food, son objectif de toujours : valoriser la production agricole africaine.

Victor est né en 1965 dans le petit village de Manengolé, au Cameroun. « On dit des gens de cette région qu’ils sont très entrepreneurs. » Son père cultive le café. Sa mère, des végétaux pour la consommation familiale. « Elle m’envoyait souvent vendre de la noix de cola pendant les cérémonies », se souvient-il. L’expérience lui a donné le sens des affaires. À l’école, il loue l’appareil photo d’un camarade de Terminale et vend des portraits aux élèves de l’établissement.

 

Victor Nono présentant sa mini-usine à l’Ambassadeur de France lors du salon de l’agriculture d’Abidjan, septembre 2023.

 

Choqué par le prix d’une tasse de café

Après un baccalauréat scientifique en 1985, Victor Nono part faire ses études en France. Il est bénéficiaire d’une bourse, et est accueilli à bras ouverts par des élèves de la prépa Sainte-Geneviève rencontrés l’été d’avant dans son lycée jésuite. Il passe son premier été en France « à faire du tourisme et découvrir Paris » avant de rejoindre Montpellier pour son diplôme d’ingénieur en informatique.

Alors qu’il réalise un premier stage sur la Côte d’Azur, il se trouve à Saint-Tropez et commande un café en terrasse. Le tarif le sidère. « C’était le prix auquel mon père vendait deux kilos de café en gros. » Le futur entrepreneur se jure alors d’œuvrer pour l’agriculture africaine. « Si je devais transformer le café au Cameroun, il fallait que je sache ensuite l’exporter, explique Victor Nono. Il me fallait un troisième cycle en gestion et en management pour apprendre à gérer les affaires internationales. » Il feuillette les pages du magazine Challenges à la recherche du classement des meilleurs MBA. HEC et l’INSEAD sont en tête.

Après trois ans à travailler en tant que responsable informatique dans une entreprise et à approfondir son anglais pour avoir un niveau GMAT, il est admis à HEC en 1995. « C’était la première fois que j’étais content de ce que je faisais, de ce que j’apprenais. Les cours étaient utiles. »

Culture de manguiers dans le nord de la Côte d’Ivoire ©Agence Ivoirienne de Presse

Récompensé par Rokhaya Diallo

C’est lors d’un voyage organisé par HEC Alumni en Côte d’Ivoire, en 2014, que Victor Nono renoue avec ses projets pour l’agriculture africaine. Il rencontre un ingénieur en agroalimentaire qui a travaillé sur la fabrication des sauces à base de légumes locaux. Ce dernier lui ouvre les yeux sur le fonctionnement de la FAO et les pertes agricoles, sur les écarts de prix entre les périodes de fortes récoltes et le reste de l’année. Ensemble, ils décident de fonder African Sustainable Food, avec le projet de construire plusieurs usines sur place. Faute de financements, la société périclite, avant de renaître avec un concept novateur.

« En Afrique, on n’a pas encore les traditions industrielles qui existent en Occident », précise l’entrepreneur. Avec une approche inspirée des transformateurs d’huile de palme itinérants des villages camerounais, l’équipe se concentre sur de petites structures et des équipes réduites « plus faciles à former localement ».

Une première mini-usine itinérante voit finalement le jour en 2023. Elle permet la transformation des récoltes au plus près des exploitants, notamment pour les ananas, les tomates et les mangues. Elle a été conçue par le Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) à Montpellier et assemblée l’été dernier par l’entreprise IMeBio à Fontaine, près de Grenoble.

Arrivée à Abidjan à temps pour le Salon de l’Agriculture cette année, l’innovation de Victor Nono s’est déjà vu gratifiée de plusieurs prix, dont un PKD Awards reçu des mains de la journaliste Rokhaya Diallo lors d’une cérémonie organisée dans la capitale ivoirienne. « Les producteurs, les experts, les politiques… Tout le monde a trouvé que c’était une solution vraiment adaptée au contexte. »

AS Food est particulièrement soutenu par la Côte d’Ivoire et par la région Rhône-Alpes, qui disposent d’un partenariat. La mini-usine partira en road-trip ivoirien pendant un an, se déplaçant selon le calendrier des récoltes.

 

« Que l’on mise sur les personnes et non les activités à la mode ! »

« L’Afrique dépense des milliards chaque année pour importer des produits, y compris des produits qui se cultivent dans le pays, pointe Victor Nono. Mon espoir est de réussir à valoriser les récoltes sur place et de nous associer à des partenaires publics ou privés et à des ONG afin de former les agriculteurs à la gestion de leur activité, de leurs revenus et de leur exploitation, et ainsi améliorer leurs conditions de vie. » Une solution permettrait in fine de limiter de l’exode rural, voire l’exode vers les pays occidentaux.

 

 

Seul bémol, le prix : transport compris, le coût d’une mini-usine avoisine les 500 000 euros. Mais Victor Nono planche en parallèle sur des pistes de financement pour les acheteurs privés et les coopératives. « Nous sommes notamment en discussion avec une banque ivoirienne pour mettre en place des solutions de leasing », précise-t-il.

Pour concevoir un maximum de mini-usines, Victor Nono est donc toujours à la recherche de fonds, notamment sur le volet recherche et développement. Il lance un appel aux alumni : « HEC encourage beaucoup l’entrepreneuriat. Mais en tant qu’entrepreneur, je n’ai pas trouvé de solution de financement au sein de la communauté. Nous sommes sur une activité industrielle nécessitant beaucoup de financements et considérée comme ‘’peu sexy’’. L’Incubateur HEC semble privilégier la finance parisienne, la data ou l’IA. Il est temps que l’on mise sur des projets, des entrepreneurs et non pas sur des secteurs d’activité qui sont à la mode ! »

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