Lorsqu’il était encore étudiant, Théo Lion (H.21) a fondé Coudac, son agence de publicité ciblée en ligne, ou ads en language marketing. Cette année, la boîte va fêter 4,5 millions d’euros de chiffre d’affaires, quelques rachats et une cinquantaine d’employés. Son fondateur a tout documenté dans un podcast sur la réussite et pratique l’art de l’influence LinkedIn à haut niveau. HEC Stories a passé un après-midi avec ce phénomène du web.

 

Avenant, accessible, Théo Lion, 25 ans, nous accueille dans le quartier tranquille de Porchefontaine, à Versailles. Aujourd’hui, c’est mercredi. Et tous les mercredis, il transforme la maison de sa mère en studio de podcast, et accessoirement, en un lieu de rencontre entre start-uppeurs, acteurs du business et les collaborateurs de Coudac. On y croise aussi sa famille : frère, sœur, mère. Ce soir, il reçoit Alexandre Mulliez, le petit-fils du fondateur d’Auchan, et tout nouvel actionnaire du FC versaillais. Assis à la table de la cuisine, il révise son interview.

“– Tu sais ce qu’on dit sur la famille Mulliez ?
– Non.
– Que tu ne viens pas du Nord si tu ne connais pas un Mulliez !”

Mélangeant business et privé, Théo Lion se comporte avec une forme d’authenticité qui a fait son succès en ligne – et en affaires. Né à Paris dans le 15e arrondissement, le jeune homme est un petit phénomène sur YouTube (plus de 50 000 followers) et pratique l’influence LinkedIn (74000 abonnés). Il donne des masterclass en ligne sur le personal branding, le buzz et les algorithmes. Adoubée par Meta, son agence Coudac (pour “coût d’acquisition”) est une agence spécialisée dans l’ads (campagnes de publicité ciblée sur les réseaux) et l’accompagnement de e-commerces.

Sa boîte est un succès, avec 4,5 millions de CA après trois ans et demi d’existence. Une route vers les millions que Théo Lion a choisie, très tôt, de documenter dans un podcast baptisé “Road to 1 million” puis “Road to 10 millions”. La boîte compte une cinquantaine de salariés, surnommés « les brutes », et trois filiales, qui proposent divers services allant de la production de contenu vidéo au ghostwriting sur LinkedIn.

 

Les États-Unis nous tabassent dans toutes les catégories

 

La source de son ascension, Théo la doit en partie à « l’asymétrie d’information ». Il est de cette génération d’entrepreneurs formée sur YouTube, et repère pendant ses études à HEC une expertise américaine sur les ads, qui n’est quasiment pas appliquée en France. Ce sera son créneau. “Les États-Unis nous tabassent dans toutes les catégories. Si tu veux créer une start-up française qui fonctionne bien, en fait tu n’as qu’à copier un truc aux États-Unis.” L’entrepreneur a chopé le virus de l’american dream lors d’un échange à l’Université de Californie du Sud, en 2017. “Le next step de Coudac, ça sera aller se foutre là-bas, à San Francisco.”

 

Théo Lion recevant William Montagu, de la start-up Boku, pour l’émission de sa chaîne « Les brutes du e-commerce », à Versailles.

 

Miser sur des “pépites” de 15 ans

 

La méthode de Théo Lion, c’est aussi de travailler avec de jeunes, voire de très jeunes “pépites”. “Les talents dans ce milieu n’ont pas 35 ans, mais 15 ans. Il fallait créer un environnement pour que ces gens l’acceptent de travailler avec [moi].” Comprendre, 100% télétravail, et une autonomie quasi totale, à l’opposé du micro-management. En échange de leur expertise, il leur apporte de la crédibilité… et des clients. Et “je leur fais produire un contenu similaire au mien, pour fédérer une communauté”, explique-t-il. Une mainmise sur sa niche, donc.

L’influenceur, qui avoue « avoir du mal à évoluer dans un cadre restreint », tire sa maîtrise de YouTube mais est également passé par la case classe préparatoire de Notre-Dame du Grandchamp à Versailles et la Grande École à HEC. Une période dont il parle sans langue de bois dans ses vidéos. Un épisode, en particulier, le décidera à devenir son propre patron : “une expérience de merde”, un stage raté dans une agence de communication, en Australie. Il finit par démissionner par mail en plein festival de musique électro, “comme un sagouin”. C’est aussi une année durant laquelle il se prend de passion pour le poker, un univers dont il goûtera la vie noctambule et dissolue. Pas pour lui, finalement : en 2020, il fera sa rentrée en Master Entrepreneurs à HEC.

 

« La création de contenus n’est pas un travail d’extravertis »

 

Dans ses émissions filmées et ses publications sur YouTube, Théo Lion apparaît bien entouré. Sur son profil Instagram (39k), il partage des vacances sur un yacht, à Tenerife, à Mykonos, ses soirées avec amis entrepreneurs et mannequins. On n’est pas loin des clichés de la réussite véhiculés par les influenceurs dubaïotes… “Je ne me reconnais pas dans cette image-là. Limite, c’est tout ce que je déteste. Ce n’est pas ce que je vends. De mon point de vue, je suis juste partie en vacances avec des potes”, se défend-il, surpris par le rapprochement.

D’ailleurs, dans ses vidéos, l’entrepreneur se dit souvent introverti. Lorsqu’on lui fait remarquer que, pour un introverti, sa vie ressemble à tourbillon de réseautage et d’exposition médiatique, il répond : “Ce que les gens ont du mal à comprendre sur les créateurs de contenu, c’est que ce n’est pas un travail d’extraverti. L’intimité que j’ai avec la caméra, quand je tourne seul, c’est quelque chose que je n’arrive pas à reproduire avec les gens.” Un trait de personnalité qui ne cadre pas avec l’organisation d’événements. “On m’a reproché de ne pas faire de discours, de ne pas faire se présenter les gens. Donc, maintenant, je me fais violence.”

En revanche, très détendu devant la caméra, il ouvre souvent ses vidéos avec un “Salut, les p’tits potes !”. Une familiarité voulue, selon lui plus moderne et moins hypocrite, que l’on retrouve également dans ses publications LinkedIn efficaces, truffées d’anglicismes et de familiarités. “Je suis sûr que je perds plein de prospects à cause de ça, et qu’ils ne s’imaginent pas confier leurs budgets publicité à quelqu’un qui dit ‘enfoiré’ dans ses publications. Mais je ne veux pas mettre de barrières. Si je commence à guinder mon expression, c’est la porte ouverte à tout. Dois-je continuer à faire des vidéos tout seul dans ma chambre ?

Et HEC ? Il s’y verrait bien y donner des cours. “À 100%. C’est mon dream.” Il dit vouloir “redonner à l’école” après une période où il s’est construit “en opposition”. Il se souvient un peu amèrement de sa première opération presse qui avait achevé de lui coller l’image d’un alumni en rébellion. Une tribune écrite pour les Echostart et titrée en interne : “À HEC l’entrepreneuriat n’est une priorité que sur des brochures”.  “Un bout de phrase rafistolé que je ne peux pas faire supprimer. C’est impossible, j’ai essayé des milliards de fois.”

 

 

Reconnaissant avoir évolué dans un environnement qui pousse à l’ambition, et de faire partie d’un réseau d’alumni qui répondent présents “90% du temps”, il souhaiterait aujourd’hui une modernisation de l’approche à l’entrepreneuriat. “Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’il y a une nouvelle génération d’entrepreneurs qui est en train d’arriver via le contenu et qui a été formée par les réseaux sociaux. Ils ont énormément de choses à apprendre du programme d’entrepreneuriat des écoles. C’est des gens qui ont commencé très, très jeunes. Si HEC se met à la page, on peut faire émerger une génération d’entrepreneurs monstrueuse.” Histoire de rattraper les États-Unis.

 

Photos ©Estel Plagué

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