Il a su flairer, dès la fin des années 2000, un besoin d’indexer les œuvres sur les plateformes de vidéo en streaming. Gabriel Mandelbaum (H.08) gère aujourd’hui Spideo, société experte dans les outils de recommandation. Rencontre.

Le cours de yoga hebdomadaire touche à sa fin lorsque Gabriel Mandelbaum ouvre les portes de ses locaux du nord-est parisien à HEC Stories. Les collaborateurs de ce grand open space retournent à l’élaboration d’outils aujourd’hui déterminants pour notre consommation de culture : les algorithmes de recommandation sur les plateformes de vidéo à la demande. Une niche dont l’entrepreneur, un précurseur, s’est emparé il y a plus de dix ans.

Paris à mobylette

Enfant de Paris, Gabriel Mandelbaum grandit dans le 9e arrondissement, celui des grands boulevards et des néons. Après le lycée Condorcet et une classe prépa à Jacques Decour, ce cinéphile entre à HEC avec comme intention de travailler dans l‘industrie du septième art et opte pour la majeure culture. Il y apprécie particulièrement les cours d’histoire du cinéma de son professeur Christian Oddos.

Son premier stage dans la boîte de production Les Films à Un Dollar (devenue depuis Cinéma Defacto) ne déçoit pas. Il sillonne son terrain de jeu à mobylette pour aller livrer des affiches au cinéma Le Balzac. « C’était une économie de bouts de ficelle, des films confidentiels et des montages financiers compliqués, se souvient-il. On tournait parfois encore à la pellicule. Il y avait une vraie passion des gens qui travaillaient autour de ces projets. » Déjà à l’époque, il réalise également une étude sur les balbutiants services de VOD. « Ça m’intéressait dès le départ. C’était très innovant. »

 

Dans la production de cinéma, il y avait clairement un aspect entrepreneurial

 

Stagiaire chez Mars Distribution au sein du groupe Canal+ en 2006, Gabriel Mandelbaum découvre un environnement plus carré. Il est en charge d’une opération de sensibilisation auprès des professeurs d’histoire-géo et de français autour de la sortie du film Indigènes, de Rachid Bouchareb, et organise une avant-première au Rex avec 3000 personnes.

La ruée vers le streaming

« Dans la production de cinéma, il y avait clairement un aspect entrepreneurial », commente Gabriel Mandelbaum, qui intègre, après HEC, les productions Marathon, rachetées depuis par le groupe Banijay et connues notamment pour la série Sous le soleil.

En 2008, le streaming en peer-to-peer explose dans l’industrie musicale, avec des plateformes comme Napster. Alors chargé de projet digital, Gabriel Mandelbaum se dit qu’une « vague terrible » arrive pour l’industrie de la télévision. Après un rapprochement avorté avec Youtube, « superbe leçon de stratégie », il démissionne avec la volonté de créer sa boîte. « C’était très difficile pour moi de travailler dans une entreprise dans laquelle je n’étais pas le patron », précise-t-il.

L’idée de Spideo naît dans la foulée, lors d’un apéritif du vendredi soir avec son associé actuel et ami Thibault D’Orso. « Étudiant à Sciences Po, il me dit avoir besoin d’une idée pour son cours de business plan », raconte Gabriel Mandelbaum. Les services de replay existaient déjà mais « l’expérience pour l’utilisateur est laborieuse ». Les deux compères pensent alors à élaborer des outils aidant à la navigation et à la découverte sur les plateformes de VOD. » Le projet entre à l’incubateur Sciences Po en 2010.

Comme une conversation au vidéoclub

Les cofondateurs sont rejoints par un troisième larron, Paul de Monchy (M.06), ancien de Bouygues Telecom diplômé de HEC Entrepreneurs et de l’École des Mines. Il leur suggère de cibler les opérateurs télécom, qui vendent des box TV. « C’est avec Canal+ qu’on a signé en premier pour fournir une technologie pour le lancement d’un service  »à la Netflix ». C’était le premier à le faire en France. »

Ensemble, ils mettent sur pied un moteur de recommandations basé sur la science de la classification – ou taxonomie, en jargon plus scientifique. Spideo, maintenant commercialisé sous forme de SaaS (software as a service), fonctionne selon les envies et intérêts du téléspectateur. C’est un système de traduction des œuvres par des mots-clés, une description des films qui permet de les relier entre eux et enrichir les métadonnées. La concurrence, elle, base ses recommandations sur des statistiques et des données démographiques, type « ceux qui ont acheté ceci ont aussi acheté cela. »

« On voulait être capable de faire une recommandation qui ait l’air d’une conversation avec un employé du vidéoclub », explique Gabriel Mandelbaum. Spideo est ainsi capable de vous recommander des films parce que « que vous aimez les œuvres old school des années 70 ou la musique punk anglaise, et de vous l’expliquer par le langage. »

« Au début, on se faisait traiter d’artisans », se souvient-il en riant. Mais lorsque Netflix débarque en France en 2014 avec « un vrai moteur de recommandation et cette approche sémantique, on s’est dit que c’était la preuve qu’on était sur quelque chose. Ils n’ont même pas eu besoin de faire de pub. »

Si sa société est spécialisée dans les films, les séries et les programmes de télévision, elle compte également un deuxième produit, Rumo, outil plus accessible qui s’applique à « toutes les industries culturelles et créatives » mais qui laisse l’enrichissement en métadonnées à la charge du client.

 

 

Préoccupations éthiques et réglementation

Les algorithmes de recommandation sont aujourd’hui au cœur de débats liés ç la prise de conscience des dangers d’enfermement et de biais inhérents à ces outils. En août dernier, l’Union européenne a annoncé une loi baptisée Digital Service Act permettant aux utilisateurs de désactiver ces algorithmes sur les réseaux sociaux. De quoi se faire du souci? « Ça me rassure, en tant que citoyen, qu’il y ait une législation, réagit l’entrepreneur. Automatiser les processus qui vont créer les connexions et suggérer à l’utilisateur de regarder une œuvre n’est pas anodin. »

 

Mon message au régulateur, c’est : si vous avez besoin de réguler, régulez !

 

Il se dit protégé par le design de son service, non basé sur la récolte de données démographiques ou géographiques. « Lorsque le RGPD (règlement général de protection des données) a été mis en place il y a six ans, on ne pouvait plus exploiter les données personnelles, explique-t-il. Mais nous n’avons jamais utilisé ces données-là. De par sa conception, notre service est en conformité. Nous créons du langage sur les contenus pour que les algorithmes puissent expliquer la recommandation. Notre technologie amène une grande transparence. Ce n’est pas juste du marketing. »

 

« Les algorithmes, ce n’est pas le mal ! »

Selon Gabriel Mandelbaum, il s’agit davantage de se servir d’un outil d’exploration intelligente. « Il peut y avoir du biais là-dedans, mais grâce à une interface et un algorithme, on redonne le pouvoir à l’utilisateur d’aller chercher exactement ce qui lui fait envie. Il a la liberté de prendre le contrôle de son profil et d’interagir avec le catalogue d’une façon active. Les algorithmes, ce n’est pas le mal. Mon message au régulateur, c’est : « si vous avez besoin de réguler, régulez ! » »

Aujourd’hui, Spideo compte 50 millions d’utilisateurs actifs, génère un CA annuel de 3 millions d’euros et affiche une trentaine de clients, dont Canal+ et France Télévisions, jusqu’à la Pologne et la Suisse. La société a réussi à percer au Brésil, qui représente un tiers de leur chiffre d’affaires. Parmi leurs clients, le mastodonte de la télénovela, Globo. Au total, la société a émis plus de deux milliards de recommandations depuis sa création. Peut-être celle de votre samedi soir ?

 

 

Photos: ©Estel Plagué/HEC Stories

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