Après un brillant parcours universitaire, Issa Sidibé (H.10) a pour ambition d’introduire des filières agricoles à haut rendement en Afrique afin de répondre aux enjeux économiques et démographiques.

 

Sidibé est un nom peul… Pas étonnant qu’Issa, qui a « la bougeotte dans le sang », vive entre Abidjan, pour le business, le nord du pays, où réside sa famille, et Yamoussoukro, ville-campus où il habite désormais.

Une terre qu’il a d’abord connue d’abord en tant qu’élève ingénieur. « Je suis issu d’une famille assez modeste, donc mon premier réflexe a été de postuler à l’école polytechnique après le bac, raconte-t-il. L’hébergement est pris en charge. C’est le meilleur ascenseur social qu’on ait localement. » Intégré sur dossier après un bac à Abidjan, où jadis se rencontrèrent ses parents, il obtient son diplôme d’ingénieur en mécanique à l’Institut national polytechnique Houphouët-Boigny de Yamoussoukro en 2007.

Il prépare le concours HEC dans la foulée et se souvient encore du moment où la réponse lui est revenue positive. « J’étais en stage d’ingénieur dans l’industrie du cacao lorsque j’ai appris la nouvelle : je n’ai pas pu bosser de la journée ! » Il obtiendra une bourse de l’école après son admission, ainsi qu’une aide de l’ONG Fondation Benianh International et une bourse du ministère de l’Enseignement supérieur ivoirien.

Outre les bourses, « je n’ai pu avoir les fonds que grâce à un appui de la communauté HEC. Plusieurs diplômés HEC dont l’actuelle ministre la culture Françoise Remarck (E.04), Abou Kassam (H.74), le dirigeant du premier distributeur ivoirien Prosuma, et Benjamin Kouakou (H.94), qui dirige le fonds d’investissement Yeelen, ont contribué à financer ma scolarité. »

En master of science du programme Grande École, il se rend régulièrement à Boulogne chez son camarade Daouda Coulibaly (H.96), l’actuel président du Chapter HEC en Côte d’Ivoire, « car le week-end, il n’y avait plus personne sur le campus. C’était un peu triste. Il ne restait que les étrangers. » Il s’implique aussi dans plusieurs associations, comme Fleur de Bitume, avec laquelle il donne des cours dans les cités de Trappes, ou encore HEC Football Club.

Lors de son cursus, Issa choisit un échange universitaire à Ahmedabad, en Inde. « Cela m’a permis de voir à quoi pourrait s’attendre un pays comme le Nigeria dans quinze ans, si jamais il se développe, décrit-il. Il y a cependant plus d’inégalités perceptibles. C’est un pays à deux vitesses, avec des systèmes de castes difficiles à franchir. » Après trois ans en tant qu’analyste dans le conseil et la banque auprès d’institutions comme la Société Générale Bank & Trust au Luxembourg, il commence une carrière dans le private equity chez Cauris. L’occasion de rentrer à Abidjan, et de s’immerger dans le milieu des PME ivoiriennes.

 

« Irriguer le pays avec des fonds »

Sa première expérience d’entrepreneur se fait en 2015 aux côtés de deux alumni : Ange Pete (H.10) et Amos Ouattara (H.09). Ils lancent ensemble le « Uber ivoirien », qu’ils nomment TaxiJet. Un concept qui ne prend pas à l’époque. « C’était trop tôt pour le marché, les smartphones n’étaient pas encore vulgarisés, analyse-t-il. Les gens ne voulaient pas payer des services en ligne de peur que le véhicule ne vienne pas. Il fallait qu’on fasse un call center pour prendre des commandes, donc c’était un peu lourd. »

Issa Sidibé (H.10) à son arrivée à HEC en 2007 aux côtés de son futur associé Ange Pete (H.10) et d’un conseiller du ministère de l’économie de la Côte d’Ivoire.

C’est finalement sa rencontre avec I&P (Investisseur et Partenaires), un fonds qui investit massivement en Afrique depuis Paris, qui l’amène à l’agriculture. Il s’associe à l’investisseur pour créer Comoé capital, du nom d’un fleuve qui traverse la Côte d’Ivoire. « On s’est dit qu’on allait irriguer le pays avec les fonds. » Sur place, à Abidjan, il finance des projets dans l’éducation, l’artisanat, la santé… Puis, une entreprise qui produit des mangues séchées, qui réveille en lui « une vieille passion ». Il se rend alors compte que le pays perd plus du tiers de sa production de mangues du fait de sa faible capacité de transformation et de conservation.

Terre fertile et bien irriguée, autosuffisante en maïs, la Côte d’Ivoire est déjà le premier producteur africain de cacao et de cajou. « Le premier président, Félix Houphouët-Boigny, était passionné d’agriculture, explique Issa. Ici, tous ceux avec qui tu parleras ici te diront qu’ils ont une petite activité agricole. » Les deux tiers de la population active du pays sont agriculteurs, mais c’est une population vieillissante. La jeunesse, elle, explose. « Une bombe à retardement », estime Issa Sidibé, qui veut limiter les coûteuses importations, de riz notamment.

 

L’idée, c’est de partir de la semence et d’aboutir au produit transformé.

 

En partenariat entre Comoé Capital et la GIZ (l’agence de coopération internationale allemande pour le développement), Issa Sidibé met en place, depuis 2022, ce qu’il appelle un « cercle vertueux ». Son ambition ? Créer et maîtriser des chaînes de valeur agricole durables de A à Z, de la semence à la transformation, tout formant de jeunes producteurs à l’agriculture à haut rendement. « L’idée, c’est de partir de la semence et d’aboutir au produit transformé. »

Avec ses associés Daouda Coulibaly (via la holding familiale Rehobot) et son ami de campus Ange Pete, il cofonde Neper Ventures, qu’il définit comme « un studio dédié à l’agriculture ouest-africaine ». Cette start-up chapote Neper Farmers, l’entreprise qui accompagne les producteurs agricoles ivoiriens, ainsi qu’une école, SupAgro Afrique.

Les étudiants en BTS de SupAgro Afrique en visite chez les producteurs de palmiers à huile dans la région de Dabou, en Côte d’Ivoire, 2023.

Pour rajeunir la population agricole et répandre un savoir-faire en agriculture à haut rendement, l’entrepreneur a choisi d’attaquer la problématique « en amont ». « Nous avons un très beau fleuve, qui passe à 25 km de Yamoussoukro. On a acheté un terrain en jachère et on a construit l’école là-bas, explique l’entrepreneur. On y fait tous les tests possibles et imaginables. »

Issa Sidibé rencontre des semenciers et visite des centres de recherche en Côte d’Ivoire, en Europe, au Burkina, au Bénin ou encore au Mali et rapporte ce matériel végétal à l’école pour un travail de recherche et de développement. « Quand ça marche, on teste dans les champs, puisque nous travaillons avec des producteurs-semenciers, explique l’entrepreneur. Lorsque c’est bon, la semence retenue est rachetée à ces testeurs et redistribuée aux producteurs du réseau de Neper Farmers sur la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso. »

Des semences non hybrides. « Nous nous battons contre les semences hybrides qui créent une dépendance des producteurs alors qu’ils ont un faible pouvoir d’achat », précise le cofondateur de Neper Ventures.

 

Soja et sorgho

Il se targue ainsi d’avoir introduit la filière tournesol en Côte d’Ivoire. « Nous faisons aussi du soja, du sésame. On est actuellement en train de faire des tests sur le sorgho, une céréale qui pousse en territoire aride et nécessite 30% d’eau en moins que la culture de maïs. » Vouloir améliorer le rendement sur une surface donnée grâce une semence performante est aussi un moyen d’endiguer la déforestation, qui fait des ravages en Côte d’Ivoire. Très regardé sur la production de palmier à huile, l’entrepreneur dit sensibiliser sur le sujet dès l’école.

Un savoir-faire est ainsi inculqué aux producteurs ou futurs producteurs en formation à SupAgro Afrique. « Le but est de les aider à mieux produire et en plus grande quantité, explique Issa Sidibé. Avec notre société Neper Farmers, nous rachetons ensuite leur production afin de la transformer via un réseau de PME et de la commercialiser. Par exemple, le soja est transformé en tourteaux et vendus pour l’alimentation animale. L’huile brute est vendue aux savonneries pour faire du savon. »

Issa Sidibé (H.10) s’adressant à des producteurs d’oléagineux du réseau Neper Farmers dans le cadre d’un séminaire, Yamoussoukro, Côte d’Ivoire, 2023.

L’école, elle, est payante, Neper Farmers proposant des prêts d’études. Ces frais peuvent être pris en charge dans le cadre de programmes particuliers. « Nous formons actuellement 1 500 jeunes pour la Banque mondiale et 250 jeunes pour la GIZ, énumère Issa Sidibé, au sujet de ces organismes mondiaux, également bailleurs des terres agricoles. Nous avons également formé, début 2023, 200 jeunes sur la production d’oléagineux pour le compte du ministère de la Jeunesse. L’objectif est de former et insérer 10 000 jeunes en cinq ans à travers ces différents programmes. »

Supagro Afrique propose une alternance en agriculture, une première dans le pays. « Deux semaines à l’école, six semaines dans les champs. Les élèves ont aussi accès à des conférences et des cours en ligne pendant les périodes en plantation. » Une fois formés, ils sont chargés d’encadrer d’autres producteurs à leur tour.

Une attention particulière est portée sur le recrutement de femmes, avec une bourse spécifique. « La parité est un gros sujet dans ce secteur. Les femmes ne veulent pas faire d’agriculture. Elles ont donc une bourse systématique de 50%. » Un dispositif financé par la Fondation Neper qui a permis de passer de 4% de filles dans les effectifs à 29% sur la dernière rentrée. »

En deux ans, Neper Farmers a travaillé avec 5 000 producteurs. « On augmente leur revenu, leur niveau formation, et on leur fournit de la bonne semence et un accompagnement. » Un rôle quasi… institutionnel. Issa Sidibé, qui a trouvé « le bon projet » de vie, en est certain : « L’agriculture, c’est le levier pour changer le pays et contribuer à relever les défis démographiques à venir. »

 

Photos : ©Neper Ventures/Issa Sidibé

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