«Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme…» Et si la formule d’Antoine Lavoisier, chimiste observant le vivant, pouvait s’appliquer à nos consommations ? Si, pour résoudre l’impossible équation entre notre besoin de sobriété et nos soifs d’opulence, on commençait juste par soustraire le neuf ?

Défendre l’objectif humanitaire

Nicolas Bluche (H.73), administrateur chez Emmaüs France et Emmaüs Alternatives

«Le modèle économique Emmaüs s’est construit dans les années 1950 sur un travail de chiffonnier. Mais la réalité a changé. L’économie du déchet est dominée par le secteur privé. Détourné par la vente en ligne de produits d’occasion, le geste du don d’objet est moins spontané. Emmaüs se retrouve au cœur d’un domaine devenu concurrentiel. Son action humanitaire, sociale, environnementale – un peu oubliée du public – est menacée par l’évolution du secteur de la seconde main. Emmaüs réagit, clame sa différence et s’adapte à la situation : on travaille l’accueil du donateur, le lien social, l’ancrage local, la diversité des activités, la présence sur Internet, la création de tiers lieux…»

Limiter le gaspillage alimentaire

Lucie Basch (prix de l’Audace HEC Alumni 2022), cofondatrice de Too Good To Go

« J’ai cofondé Too Good To Go en 2016 avec l’ambition de donner à chacun les moyens de lutter contre le gaspillage alimentaire, en engageant l’ensemble de la société en ce sens. Notre application compte plus de 13 millions d’utilisateurs en France, 35000 commerces partenaires et, ensemble, nous avons déjà sauvé plus de 45 millions de paniers ! Au quotidien, nous cherchons à prouver qu’un nouveau modèle d’entreprise, où l’impact est notre moteur central, est possible. Chaque repas sauvé sur l’application allie les intérêts écologiques, économiques et sociaux. Et nous allons encore bien plus loin avec l’ensemble de nos initiatives engagées. Construire un nouveau modèle de société plus juste et plus durable, c’est notre enjeu à tous, entreprises, citoyens et politiques. Nous avons tous des actions à portée de main, mettons-les en place ! »

Lutter contre l’obsolescence programmée

Amandine Durr (H.07), cheffe de produit chez Back Market

« Notre entreprise, créée il y a huit ans, est spécialisée dans le reconditionnement de devices (smartphone, ordinateurs portables, tablettes, consoles de jeux, écouteurs) que nous remettons en circulation sur notre plateforme une fois remis à neuf. Nous luttons ainsi contre l’obsolescence programmée. Notre mission est de démontrer qu’il n’y a aucune raison d’acheter des produits neufs. Il y a quelques mois, nous avons mené une étude avec l’Ademe pour connaître notre impact : en moyenne, l’achat de nos appareils reconditionnés permet de réduire de 90 % les émissions de CO2 , de 94 % l’utilisation de matières premières et de 95 % la consommation d’eau (requise en grande quantité dans les processus de production) par rapport à la fabrication de produits neufs. Nous sommes déjà présents dans seize pays et nous allons prochainement nous lancer en Asie. Nous voulons également élargir notre offre à l’électroménager. Notre ambition est de parvenir à transformer les modes de consommation pour que l’achat de produits de seconde main devienne un réflexe.»

Une plateforme internationale

Bernard Osta (H.06), directeur de la stratégie chez Vestiaire Collective

«Notre société, créée en 2009, est leader mondial sur le marché de la revente de vêtements et d’accessoires de mode de luxe. Avec un positionnement haut de gamme, le panier moyen sur notre plateforme se situe entre 300 et 400 euros. Et nous avons un volume d’affaires proche de 1 milliard d’euros, réparti entre l’Europe (environ 60 %), les États-Unis (environ 30 %) et l’Asie (environ 10 %). Cette année, nous avons réalisé notre première acquisition en rachetant Tradesy, le numéro un du secteur aux États-Unis qui n’est pas présent sur le marché français. Nous venons aussi de lancer Vestiaire Collective en Corée du Sud et ça a été un vrai challenge de tout traduire en coréen, d’ajuster l’application et l’expérience client pour s’aligner aux habitudes des utilisateurs locaux, notamment en intégrant certaines solutions de paiement. Notre industrie a moins de 15 ans, nous sommes encore au début de l’aventure ! »

Attirer les stocks de produits de luxe dormants avec du cash et du service

Charles-Albert Gorra (H.07), fondateur et CEO de Rebag

« Nous vendons essentiellement de la maroquinerie de seconde main, des sacs Chanel, Hermès ou Louis Vuitton. Et nous avons récemment étendu notre offre aux montres et aux bijoux. Notre ticket moyen est proche de 2000 dollars. Nous sommes basés à New York, et la plupart de nos investisseurs sont américains. Nous avons levé autour de 100 millions de capital-risque depuis la création il y a sept ans. Nous réalisons près de 200 millions de chiffre d’affaires et nous comptons environ 200 personnes dans l’équipe. Notre business model est spécifique car nous achetons les produits, nous les auditons, nous les stockons et nous les mettons en vente sur notre site. Nous ne fonctionnons pas comme un dépôt-vente ou une plateforme pear-to-pear. Pour l’acheteur, c’est la garantie que nous avons contrôlé le produit, et pour le vendeur, c’est plus simple. Nous opérons comme un retailer mais nos suppliers sont des particuliers. Nous avons même créé un software qui permet aux vendeurs d’envoyer une photo de leur produit sur notre appli pour connaître le prix auquel nous pouvons l’acheter. »

L’économie circulaire pour le B to B

Dominique Mercier (E.12), CEO de Kheoos

« J’ai créé ma plateforme d’économie circulaire destinée aux pièces de maintenance industrielle en 2019. Je suis parti du constat que, pour assurer la maintenance de leurs lignes de production, les industriels constituent des stocks de pièces (moteurs, automates, matériel électrique) qui, au bout d’un certain temps, ne sont plus utilisés (environ 20 % à 30 %). À l’échelle européenne, ce stock dormant représente plusieurs milliards d’euros. C’est pourquoi nous avons développé des algorithmes qui permettent de reconnaître les pièces et d’automatiser le processus pour les remettre sur le marché par l’intermédiaire de plateformes d’achat et de vente comme Kheoosmarket, notre propre plateforme. Nos business models sont innovants car les pièces que nous achetons restent dans les stocks chez les industriels. Nous les rendons visibles et quand une pièce est vendue, nous l’achetons au vendeur et nous nous occupons de la logistique jusqu’à l’acheteur final, où qu’il se trouve dans le monde. Nous travaillons avec des grands groupes comme Michelin, EDF, Renault Trucks, Sanofi , etc.

Mixer le neuf et le reconditionné

Martin Aunos (H.13), directeur de la business unit Seconde Vie – Fnac Darty

« Je dirige la business unit Seconde Vie, créée il y a trois ans, pour développer l’offre en produits reconditionnés du groupe. Nous avons des équipes opérationnelles et des ateliers qui remettent en état une partie des produits. Nous en achetons également à des partenaires ou à des fournisseurs. Ensuite, nous stockons les produits nous-mêmes, nous opérons, nous les mettons en service et nous les livrons : nous ne sommes pas seulement une plateforme mais un vrai distributeur. Il y a quelques années, il y avait des réticences sur la seconde vie, on pensait que cela risquait de cannibaliser le neuf. Mais ça n’est pas du tout ce qui se passe. Le reconditionné est une offre complémentaire qui nous permet aussi de recruter d’autres clients, notamment plus jeunes, avec des aspirations écologiques et d’autres niveaux de pouvoir d’achat. C’est une vraie arme de recrutement et de fidélisation. Bientôt, dans nos magasins, il y aura un espace seconde vie dans chaque rayon.»

Éviter la destruction de produits

Olympe Chabert (H.21), cofondatrice de SmartBack

« Il y a environ un an, avec Ariane Varale (H.21), nous avons lancé SmartBack, une solution tech et logistique pour les e-commerçants, principalement dans le secteur du mobilier, qui vise à donner une seconde vie aux produits retournés par les clients. Ceux-ci ne peuvent pas être remis en stock directement, et les entreprises ne savent pas quoi en faire. Nous avons donc monté un réseau de 250 acteurs de la seconde main partout en France, avec des magasins d’occasion et des boutiques solidaires, qui remettent en vente ces produits retournés. Nous avons déjà une dizaine de clients, comme Camif et ManoMano, dont nous gérons les retours. 95 % des meubles que l’on nous confi e trouvent une seconde vie à environ trente kilomètres, il n’y a donc plus de destruction de produits. En France, 2 millions de meubles correspondent à des retours de e-commerce et sont mal valorisés. Et 190 millions de meubles usagés sont jetés chaque année par les Français. Notre objectif est d’atteindre 20 000 meubles réemployés d’ici l’année prochaine.»

La seconde main entre particuliers

Sara Eraso (MBA.21), program manager chez Vinted

« À l’origine, Vinted a été créé pour permettre aux consommateurs de gagner de l’argent en revendant leurs vêtements, et pour réduire l’impact négatif de l’industrie de la mode sur l’environnement. Cette dernière est responsable, entre autres, de 20 % des eaux usées dans le monde. Aujourd’hui, notre principale mission est de faire de la consommation responsable un premier choix dans le monde. C’est aussi pour cette raison que nous avons racheté, il y a peu, la start-up allemande Rebelle, une plateforme de vente de produits de mode de luxe de seconde main concurrente directe de Vestiaire Collective, présente partout en Europe. Nous sommes présents dans 16 pays. Nous avons récemment lancé nos services en Suède. Et nous venons de lancer Vinted Go, un système de consigne pour déposer et retirer ses produits et, ainsi, limiter les émissions carbone générées par le transport de ces derniers. »

Financer la chaîne du recyclage

Théo Miloche (H.20), chef de projet financement à l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie)

« Au sein de l’équipe chargée des financements de projets sur le programme France 2030, le grand plan d’investissement doté de 54 milliards d’euros sur cinq ans pour développer des activités sur le territoire, nous travaillons sur la stratégie nationale “Recyclabilité, recyclage et réincorporation des matériaux”. L’objectif est de lever les verrous sur la chaîne du recyclage pour que nous soyons en mesure de produire des matières recyclées à un niveau de qualité permettant leur utilisation en remplacement de matières vierges. De nombreux matériaux peuvent être recyclés et ne le sont pas suffisamment aujourd’hui, car il y a des blocages à différents niveaux de cette chaîne de valeurs parfois complexe, qui implique beaucoup d’acteurs, à la fois en amont et en aval du recyclage, de la collecte des déchets jusqu’à la remise sur le marché. Le dispositif se décline sur le recyclage des plastiques, des métaux stratégiques, des papiers, des cartons, des textiles, des matériaux composites et sur de développement de nouvelles technologies de tri robotisées. »

Des vélos électriques comme neufs

Tanguy Lastennet (M.21), cofondateur CPO de Loewi

« L’empreinte carbone d’un vélo électrique neuf est relativement importante. Le reconditionnement permet donc de limiter les émissions de CO2 . Notre ambition est d’industrialiser de manière verte le process de reconditionnement pour proposer des vélos électriques fi ables, à des prix accessibles, à tout type d’acteur sur le marché, professionnels et particuliers. Nous proposons un service de reconditionnement pour les entreprises qui possèdent des flottes de vélos et souhaitent les remettre en état pour les recommercialiser ou les réutiliser. Nous réalisons aussi du reconditionnement à destination de la vente aux particuliers via différentes marketplaces. Nous sommes déjà présents sur des plateformes telles que Back Market, Decathlon et Cdiscount, ce qui nous permet d’exister à l’international. Notre objectif, à court terme, est de monter en volumétrie. »

Mettre la réparabilité au cœur de la stratégie

Juliette Sicot-Crevet (H.91), chief Sustainability Officer chez Groupe SEB

« L’économie circulaire est présente depuis les origines de notre groupe, qui a fêté ses 165 ans. En effet, la société a été fondée par des rétameurs qui passaient dans les villages pour réparer les ustensiles. Nous vendons environ 350 millions de produits par an, petit électroménager et ustensiles de cuisine confondus. Nous nous sommes engagés à ce que les produits soient réparables à partir des années 2000, à une époque où on parlait peu de développement durable et pas encore d’économie circulaire. Nous nous étions engagés à ce que nos produits soient réparables pendant dix ans. Depuis 2021, 92 % le sont pendant quinze ans. D’ailleurs, le mot réparabilité est entré dans le dictionnaire, car le groupe SEB l’employait. Nous garantissons que les pièces qui constituent les appareils achetés soient produites pendant quinze ans et nous nous organisons pour que les acheteurs trouvent des points pour les faire réparer à un juste coût. Nous avons 50 000 références de pièces, soit 7,5 millions de pièces dans des hangars. Et un réseau de près de 6 800 réparateurs agréés à travers le monde. »

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