En avril 2020, HEC Stories a proposé aux alumni de partager leur expérience du confinement. Voici le témoignage envoyé par Éric.

Parmi les femmes et les hommes qui sortent de Jouy-en-Josas munis d’un diplôme prestigieux et pensent qu’il les oblige, il y a ceux qui veulent être des leaders et ceux qui veulent être des moteurs. Dans la première catégorie, le tableau d’honneur regorge de noms connus, de Jean-Paul Agon à Jean-Luc Allavena, en passant par Alain Dinin, Valérie Pécresse, François-Henri Pinault et tant d’autres, qui ont la fibre pour cela. Les seconds, peut-être aussi nombreux, ne sont pas les plus connus, mais on peut évidemment citer Tristan Lecomte, fondateur d’Alter Eco, Amélie de Montchalin, HEC de l’année en 2019, Vincent Beaufils, un de mes amis d’enfance devenu la vigie du journal Challenges, ou encore Jean-Paul Vesco, évêque d’Oran. Je fais incontestablement partie de la seconde catégorie.

À vrai dire, ayant lancé huit entreprises et trois associations en vingt-cinq ans, selon des principes managériaux très personnels mais qui me valent des relations ou des amitiés durables avec des nombreux anciens collaborateurs, je suis sans doute un leader à ma façon. Mais je m’en fous, ce qui m’intéresse, c’est de faire avancer les choses dans le sens d’un mieux sociétal, tant humain qu’environnemental. Je ne suis pas une tendance, je suis comme ça depuis toujours. Bien avant que mon petit-cousin François ne devienne ministre de l’Environnement, le premier bulletin de vote que j’ai mis dans une urne en 1974 était pour l’écologiste René Dumont, l’homme qui prédisait qu’un jour, un verre d’eau coûterait plus cher qu’un verre de pétrole (le cours récent de celui-ci lui donne d’ailleurs raison…). Je suis attaché à la notion de progrès, dans son sens le plus inclusif : scientifique, intellectuel, moral, culturel, social, environnemental… Tout ce qui fait qu’une société désormais mondiale peut avancer sans avoir honte de ce qu’elle devient, en évitant de se perdre dans une avidité pitoyable ou de patauger dans un ostracisme vis-à-vis de tout ce qui est étranger ou différent. Hélas le mot « Progrès » a perdu de son sens aujourd’hui, comme j’ai pu m’en rendre compte lors d’une réunion sur la raison d’être d’HEC Alumni, où personne ne semblait comprendre ce que je voulais dire lorsque j’ai suggéré qu’il soit inclus dans les valeurs dont les HEC pouvaient se réclamer. Cela ne m’empêche pas de creuser mon sillon, à ma manière, imperméable aux inévitables échecs qui renforcent l’expérience, à la résignation ou à l’égoïsme de certains.

Aussi, lorsque le hasard de retrouvailles avec un de mes anciens étudiants de Sciences Po m’a amené à envisager de transposer mon métier dans l’univers du spectacle vivant et de la culture, sous la forme d’une start-up (Delight conçoit des outils de marketing digital basés sur la data), je n’ai pas hésité une seconde. Pourtant, je me refuse philosophiquement à avoir un compte Facebook ou à faire le moindre achat sur Amazon et, même si j’ai un MacBook, je me méfie du système fermé d’Apple. Mais heureusement les réseaux sociaux ne résument pas la modernité, et l’idée d’adapter un univers aux générations d’aujourd’hui, de contribuer à le rendre accessible au plus grand nombre, était un challenge trop tentant.Alors, en pleine crise du Covid-19, alors que je porte Delight à bout de bras financièrement, je n’ai aucun doute sur la direction à prendre et j’ai rarement été autant stimulé et aussi peu stressé. Nul ne peut dire si les bonnes résolutions d’oublier le « monde d‘avant » seront tenues ou pas, dans le monde culturel comme ailleurs, mais il y aura toujours de l’espace pour les gens moteurs, ceux qui proposeront des solutions nouvelles à ceux qui les jugeront opportunes ou indispensables. Sinon, autant rester confiné…

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