Le mot d’Eugénie Dufour-Fan (M.04)
Face aux crises sanitaires, économiques, sociales et sécuritaires, nous sommes nombreux à être impactés moralement, et à nous poser la question : « Que se passe-t-il ? Est-ce que la Terre ne tourne plus rond ? » Inutile de s’appesantir sur les effets néfastes de ces coups de blues, voire des dépressions, ce billet vise surtout à chercher des solutions.
Commençons par une fable taoïste (à noter que le taoïsme n’est pas une religion, mais une philosophie). Il était une fois, un vieux sage nommé Sai qui habitait dans un village isolé. Un jour, un beau cheval de race vient s’installer chez lui. Tandis que tous les villageois le félicitent, Sai répond sobrement : « C’est bien, mais ce n’est pas forcément une bonne chose. » Trois mois après, son fils perd une jambe en tombant du beau cheval. Tous les voisins lui présentaient leur compassion, mais le vieux Sai réagit impassiblement : « C’est douloureux, mais ce n’est pas forcément une mauvaise chose. » Six mois après, une guerre éclate. Tous les jeunes hommes du village sont appelés au front et beaucoup périssent. Seul le fils du vieux Sai, auquel il manque une jambe, n’est pas parti à la guerre. Cette fable invite à réfléchir sur l’évolution du cours de la vie. L’enjeu comprend deux volets : garder calme et espoir quand on est au fond du désastre ; garder la tête sur les épaules et les pieds sur terre quand on est au sommet de la gloire. La deuxième dimension est plus facile que la première. Il existe deux adages chinois qui disent que toute tendance se renverse quand son apogée approche, et toute malchance poussée à l’extrême annonce la venue de la bonne fortune. En réalité, cette idée n’est pas spécifiquement taoïste ou chinoise. On trouve des expressions équivalentes dans la culture française : « Un mal pour un bien » ; « Après la pluie, le beau temps » ; « La vie n’est pas un long fleuve tranquille » ; « Chaque médaille a son revers », etc.
Les temps sont durs en ce moment. Face à cela, il est tout à fait normal de ressentir de la peur, de la lassitude, de la morosité voire de la détresse. Il est important de reconnaître et d’accueillir ses émotions, qui ne sont ni mauvaises ni bonnes. Si on les refoule, elles reviendront vers nous comme un boomerang. Nous ne devons pas juger nos émotions, mais essayer de comprendre leurs messages pour les transformer en positivité. Et si l’on s’inspirait un peu de la sagesse du vieux Sai pour relativiser nos difficultés ? En français, ne dit-on pas « Prendre son mal en patience » ?
Je crois profondément qu’il n’y a pas d’époque parfaite, et que le passé n’est pas meilleur que le présent. Si nous connaissons les crises multiples et subissons des attaques terroristes à répétition au XXIe siècle, nous avons été épargnés des maux des siècles précédents : guerres incessantes, famine, exode, sans compter les pandémies bien plus meurtrières que le coronavirus, telles que la peste ou la tuberculose, l’obscurantisme et l’absolutisme monarchique ou impérial.Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la science et la technologie n’ont jamais fait autant de progrès, nous n’avons jamais connu autant de confort de vie, autant de libertés, et autant de loisirs… Regardons tout simplement l’allongement des espérances de vie.Chaque époque a son lot de biens et son lot de maux.En idéogrammes chinois, le mot « crise » signifie aussi « opportunité ». Beaucoup de facteurs prévisibles et imprévisibles lors d’une crise provoquent des dégâts, mais apportent aussi des transformations. C’est sans doute le cas de la crise causée par le Covid depuis mars dernier. Il y a plusieurs aspects positifs.– La terre a pu se reposer un peu, car nous avons prélevé moins de ressources naturelles. Depuis de nombreuses années, l’humanité vit à crédit, en 7/8 mois, nous consommons plus de ressources naturelles que la Terre peut renouveler en 12 mois.– La qualité d’air que nous respirons s’est significativement purifiée, notamment en Chine.– Le confinement a rapproché les familles : beaucoup ont pu faire de vraies activités ensemble, au lieu d’être chacun devant son écran, en temps normal.– Beaucoup de salariés ont découvert les avantages du télétravail : moins de transports, moins de fatigue, moins de stress donc plus d’efficacité dans la plupart des cas…
La crise sanitaire a changé notre rapport au temps, à la mort, à l’immédiateté, à la superficialité, au travail, au collectif, et aux autres…Attention, je ne suis pas en train de plaider pour le confinement, mais puisqu’on ne peut pas faire autrement, autant en voir les aspects positifs.Quant aux entreprises, si elles reçoivent moins de commandes depuis la crise, c’est l’opportunité d’effectuer les travaux de fond : améliorer les process, réparer les outils, tester les nouveaux modes organisationnels, concevoir de nouveaux produits, ou bien mener une réflexion approfondie sur sa culture, son identité, ses avantages compétitifs et ses faiblesses, construire les scénarios du futur… Toutes ces choses que l’on ne peut pas faire (ou très difficilement) lorsque l’entreprise tourne à plein régime.
Published by La rédaction