Certains de nos camarades s’alarment d’une tendance croissante de notre communauté à utiliser l’anglais pour s’adresser à certains de ses membres, sur son site, dans sa revue, au cours de ses événements, etc. Dans un premier temps, il est peut-être utile de rappeler que le français est loin d’être une langue en péril. Elle fait partie des quatre langues les plus parlées au monde et son usage s’accroît d’année en année, entre autres grâce au travail formidable effectué par nos Instituts français quele monde entier nous envie. Ce faisant, nous nous différencions fortement de la Chine, dont le « soft power » (excusez l’anglicisme) se développe irrémédiablement, sur le plan économique, mais aussi dans les arts et la culture, sans qu’à aucun moment leur langue soit un instrument de cette influence… Quelle langue utilisent-ils ? L’anglais, bien sûr, ou plutôt ce globish utilisé dans le monde entier, et qui n’a de commun avec l’anglais qu’une partie de son vocabulaire et une partie de ses formes syntaxiques. Le globish est une langue pauvre, laide, bâtarde. D’ailleurs, est-ce bien une langue ? C’est avant tout un médium, un moyen de se faire plus ou moins comprendre du plus grand nombre sans forcément posséder les subtilités de chaque langue. C’est juste un instrument, un outil, pauvre de quelques centaines de mots seulement, qui n’a pas plus d’ambition que la table de multiplication.

Il n’existe pas une version de cette dernière pour chaque pays ou chaque culture, c’est un outil universel. C’est le même rôle que joue ce globish, qu’on appelle à tort l’anglais, et dont les vrais anglophones s’alarment tout autant que nos vigilants camarades, car ce sabir (excusez l’arabisme) n’a pas grand-chose à voir avec la langue de Shakespeare ! C’est une sorte d’esperanto que l’on n’a pas eu besoin d’inventer, car une langue commune assez répandue s’y prêtait déjà. Le français aurait-il pu prétendre à cette place ? Non, sans aucun doute : notre langue est trop riche et trop complexe pour se prêter à cette simplification radicale. Et tant mieux !Cela dit, le français a de tout temps fait des emprunts à l’anglais, depuis les très chics « paquebot » (packet boat), « redingote » (riding coat) ou « cocktail », aux plus triviaux « bifteck » ou « club », en passant bien évidemment par « leader » ou « business » qui résonnent fortement au sein de notre communauté. De leur côté, les Anglais ne se sont pas privés de nous faire de nombreux emprunts, de « budget » ( bougette = petite bourse portée à la ceinture) à « ticket » (étiquette), « boutique » et même… « entrepreneur », emprunt que même l’éminent linguiste George W. Bush ignorait. Dieu merci, au-delà de l’anglais, le français s’est enrichi de moult emprunts à d’autres langues aussi lointaines de ses racines que l’arabe, le persan ou le swahili. Honnêtement, il faut espérer que cette tendance perdure, sous peine que le français ne devienne… une langue morte.Cela justifie-t-il de s’exprimer en anglais ou d’utiliser des termes anglo-saxons dans la vie quotidienne de notre communauté HEC ? Le ver est entré dans le fruit à partir du moment où notre très française et républicaine école HEC a accepté d’accueillir des étudiants non Français. Ce phénomène existe de longue date mais, depuis le début de ce siècle, une proportion de plus en plus grande de ces visiteurs a l’impertinence de ne pas maîtriser notre belle langue. Incroyable ! C’estle revers de la médaille de la formidable réputation mondiale de notre école, qui attire désormais des étudiants bien au-delà de nos frontières hexagonales. Que faire ? Imposer à tous les étudiants étrangers à Jouy-en-Josas une formation préalable au français avant d’avoir l’honneur de profiter de l’excellence de l’enseignement de notre école ? Difficile à imaginer, car notre belle langue ne s’apprend pas en quelques semaines, contrairement au globish (c’est d’ailleurs là sa force). En outre, ladite excellence est, soit dit en passant, désormais nourrie du savoir de professeurs internationaux… qui ne maîtrisent pas notre langue. Beaucoup ne viendraient pas si on leur imposait de faire leur cours en français.

Devrions-nous ignorer leur apport, leur culture et leur vision professionnelle différente, pour nous replier sur un entre-soi francophone ? Ce serait peut-être rassurant pour certains anciens, mais peu engageant pour beaucoup d’autres, et parmi eux notre jeunesse, qui ne se prive pas d’aller voir ailleurs si l’air sent un peu moins le renfermé que dans certains de nos milieux bien français…À vrai dire, cela s’inscrirait même en contradiction avec la tradition française. Même si le français a été pendant longtemps la langue de la diplomatie dans le monde, l’aristocratie de notre pays a toujours mis son point d’honneur à s’ouvrir sur le reste du monde, s’intéressant à d’autres langues et à d’autres coutumes… en assimilant souvent le meilleur, tout comme beaucoup de ses écrivains, philosophes et ses artistes d’ailleurs qui voyageaient dans toute l’Europe et au-delà. Qui s’offusque outre-Manche que la devise de la cour d’Angleterre soit « Honi soit qui mal y pense » (in French in the text), un legs du roi Edouard III et non de Guillaume le Conquérant comme certains pourrait en le penser ? Une cour où, soit dit en passant, on a longtemps prisé la langue de Rabelais…Cette « élite » aristocratique française, ayant la chance de posséder d’autres langues que la sienne de par son éducation (un peu comme l’« élite » HEC), mettait son point d’honneur à accueillir ses visiteurs dans leur langue natale, pour peu qu’elle la maîtrisât, tant en signe de bienvenue que par noblesse de comportement. Ainsi, dans ma famille, on maîtrisait l’allemand, vu que Rugy est situé à 35 km de la frontière luxembourgeoise, puis l’anglais lorsqu’un ancêtre désargenté a trouvé un parti mieux nanti en Normandie au milieu du XIXe siècle. Et on a utilisé ces langues avec nos visiteurs, même après que le château familial a été occupé par l’armée allemande pendant la Seconde Guerre mondiale, puis bombardé par la Royal Air Force en juin 1944 ! Le repli sur le français et la légendaire incapacité des écoliers français à apprendre les langues étrangères sont hélas un héritage républicain, le même qui a amené des générations d’enfants africains ou asiatiques à ânonner que leurs ancêtres étaient des Gaulois.

La culture et l’art de vivre à la française remontent à beaucoup plus loin…Pour clore ce billet, et pour rassurer ceux de nos camarades qui ont l’impression qu’HEC contribue à un abâtardissement de la culture française, je pense qu’au contraire, notre école et notre communauté HEC portent haut l’étendard de la fierté française, et ce dans un domaine où l’hégémonie anglo-saxonne est particulièrement patente. C’est un fait que nous utilisons les armes de la concurrence pour étendre notre influence française, mais c’est de bonne guerre. Pour mémoire, les Français sont la deuxième nationalité la plus représentée parmi les patrons ( j’ai failli écrire CEO !) des grands groupes mondiaux, après les Américains. Et sans doute ces « leaders » transnationaux s’expriment-ils plus souvent en anglais (ou du moins en globish !) qu’en français. Sont-ils pour autant des traîtres à la patrie ? Devrions-nous en avoir honte ? Nous sommes nombreux dans la communauté HEC à ne pas le penser.

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