Durant la première période de confinement, j’ai été contacté par un ami ayant un mandat judiciairelors d’une succession d’un bureau de gestion de patrimoine aux Philippines, mon pays d’origine. Le but est de proposer un plan de développement durable de terres agricoles plus ou moins exploitées.Je pensais d’abord aux moyens de faire une première transformation permettant le stockage et la distribution des aliments. Par réflexe, j’ai songé aux unités industrielles assez grandes pour assurer une certaine disponibilité auprès de marchés locaux. Le seul problème, c’est qu’il y avait à la fois une trop grande variété de produits et pas assez de volume pour alimenter des usines. Je me demande donc jusqu’où on peut intensifier les cultures, où à partir de quels critères la conception d’un régime industriel devient raisonnable. D’un point de vue opérationnel, du moins à ce que j’ai appris, il vaut mieux avoir une culture sur cent hectares qu’une centaine de cultures sur un hectare. Et je n’ai même pas abordé les critères d’investissement des banques. Je ne pense pas non plus qu’elles soient au courant des écarts de rendement importants d’une seule espèce selon l’endroit où elle se trouve.

À vrai dire, je ne connais pas encore la capacité de production historique des parcelles en question. Bien qu’elles aient déjà vu plusieurs générations d’agriculteurs, personne n’a noté d’estimation de récoltes annuelles, ne serait-ce que pour assurer un déploiement adapté des efforts à fournir. Mon ami a juste trouvé un chiffre global des dizaines de millions d’unités, sans précision ni périmètre. Un décalage qui m’a marqué par rapport à ce que j’ai vu en France : des archives détaillées jusqu’au nombre de moutons gardés au grenier. Cela dit, la mémoire est parfois longue et, en impliquant les travailleurs sur place, on a eu des surprises.Bref, autant des choses qui ne facilite pas l’établissement d’un prévisionnel et par défaut, des investisseurs externes.Récemment j’ai échangé avec un ancien responsable monde d’un service transverse d’une grande enseigne de distribution. Il m’a déconseillé de me lancer dans une course vers plus de volume : cela m’obligerait à concentrer mes forces pour baisser les coûts et les prix pour, de toute façon, me heurter à la concurrence de plus grands acteurs capables de proposer des produits moins chers. Alors comment donc dimensionner l’activité ?La même personne m’a conseillé la lecture de La Révolution d’un seul brin de paille, œuvre fondatrice de la permaculture, de l’auteur japonais Masanobu Fukuoka. Jusqu’ici, mon parcours n’avait pas formellement abordé le volet « durable ».

HEC proposait un cursus allant en ce sens, mais je n’ai pas su identifier les leviers d’action. Puis je n’ai pas fait une école de commerce pour me perdre dans des questions théoriques.C’est évident que c’est plus intéressant d’exporter les orchidées à Singapour que de cultiver du manioc pour la consommation locale. Dans l’impasse, j’ai décidé de me tourner vers les consommateurs finaux. Quelles sont les filières qui valorisent une production éthique ? La cosmétique me semble une réponse à haute valeur ajoutée. J’ai peaufiné l’idée et un ancien de la Banque mondiale l’a validée. La prochaine étape serait d’assainir la structure et d’optimiser les financements. J’ai identifié d’autres axes de développement, dont un concernant la gestion de forêts tribales. Il était très difficile de proposer une feuille de route ambitieuse qui protège le domaine et permette de sécuriser les habitants sans que j’intègre pleinement la sobriété dans ma propre conception de progrès. J’apprends chaque jour.

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