C’est avec regret, qu’atteint par la limite d’âge de 75 ans, j’ai dû quitter ma fonction de président de chambre au tribunal de commerce de Créteil, après quarante ans de carrière bancaire.C’est alors qu’un article de journal intitulé « La conciliation de justice, une alternative au procès » m’a incité à présenter ma candidature. Cet article, en effet, expliquait en quoi consiste cette fonction et comment s’y prendre pour postuler. J’y ai donc lu que lorsqu’un litige surgit entre deux personnes, le recours au conciliateur de justice est un moyen simple, rapide, gratuit et souvent efficace de déboucher sur un accord amiable sans passer par la case procès. Que faiseur de paix et démineur de conflits, le conciliateur de justice est un homme d’écoute, qui s’efforce de dédramatiser les situations. Que son rôle est de faciliter l’obtention d’un compromis entre deux parties en litige, dans une totale impartialité et en veillant à ce que le compromis obtenu soit le plus équitable possible. Qu’il met de l’huile là où ça coince, arrondit les angles de relations parfois distendues et désamorce les conflits avant qu’ils ne débouchent devant un tribunal.Cette description m’a plu et j’ai donc préparé mon dossier de candidature, qui devait, comme toujours, comporter un certain nombre de pièces et être adressé au président du tribunal d’instance.

Ce dernier, après l’avoir instruit et m’avoir reçu, avait à le communiquer au premier président de la cour d’appel, qui a procédé, par ordonnance, à ma nomination, sur avis conforme du procureur général. La procédure s’est terminée par une prestation de serment devant la cour d’appel de Paris.Il faut tout d’abord noter que depuis la loi du 18 novembre 2016 sur la modernisation de la justice, la conciliation est un passage obligé pour tous les petits litiges inférieurs à 4 000 €, et elle est fortement recommandée pour les autres litiges.Ma première source est le tribunal d’instance de Paris, où je tiens une permanence le lundi matin. J’ai chaque fois cinq dossiers que je peux venir chercher à l’avance si je le peux. Sinon, je les découvre sur place. L’audience se tient dans une salle spécialement affectée du tribunal.En ce qui me concerne, on me donne des dossiers « article 830 » du Code de procédure civile, c’est-à-dire des dossiers qui ne sont pas encore passés devant un juge.

Dans cette procédure, les parties, demandeur et défendeur, ont été préalablement convoquées par le greffe du tribunal à une audience de conciliation.Certains collègues ont d’autres types de dossiers, affectés à l’avance par un juge ou encore affectés sur place pendant une audience.La deuxième source est le tribunal de commerce de Créteil, qui me connaît bien, et qui me donne des dossiers de conciliation le deuxième mardi du mois, en moyenne trois ou quatre à chaque fois. Soit je vais les chercher à l’avance pour les étudier tranquillement chez moi, soit je les découvre sur place, ce que je n’aime pas tellement faire.La troisième source est la mairie du 15e arrondissement de Paris (où j’habite) où je tiens une permanence tous les lundis après-midi. Les personnes qui ont un litige viennent s’inscrire à la mairie pour prendre rendez-vous. Je les reçois, me fais expliquer de quoi il s’agit et les convoque ensuite en même temps que leur contradicteur pour une audience ultérieure.

J’ai cinq affaires à chaque fois. Certains conciliateurs tiennent leurs permanences dans des « Points d’accès au droit » (PAD).Bien entendu, je ne peux tenter de concilier que si les deux parties sont présentes. C’est malheureusement loin d’être le cas général. En effet, bien souvent, le défendeur est absent. Dans ce cas, je dois délivrer un « certificat de carence » au demandeur, certificat qui sera exigé du tribunal s’il veut ensuite aller plaider en justice.La conciliation peut parfois se faire par internet, dans laquelle, les parties échangent par mails sous le contrôle du conciliateur.Les grandes sociétés (par exemple SFR ou Orange) ont généralement un collaborateur du service juridique désigné comme interlocuteur des conciliateurs. Prenons le cas, heureusement réel, où les deux parties sont présentes devant moi.Il y a des techniques pour la conciliation que l’on apprend dans les formations dispensées par l’École nationale de la magistrature.

J’en ai suivi plusieurs et ce n’est pas dans ce court exposé que je peux entrer dans les détails. J’en resterai donc aux généralités.La première chose que je fais est de mettre les parties en confiance en étant le plus accueillant possible, car au début, l’ambiance est toujours un peu tendue. J’explique que je ne suis pas un juge et que mon rôle est seulement de voir si les points de vue peuvent se rapprocher pour déboucher sur un accord.Je dis que pour concilier, il faut avoir envie de le faire, à savoir que chaque partie doit être disposée à faire un pas en direction de l’autre, en acceptant d’avance de réduire ses prétentions.Je rappelle l’adage bien connu : « Un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès ». J’indique également que la conciliation, par rapport au procès, permet d’aller vite, d’être gratuite et d’être acceptée par les deux parties, ce qui n’est pas le cas des procès. J’indique aux parties que je serai tout à fait neutre, et seulement là pour les aider à trouver une solution. Je précise enfin que les débats sont confidentiels.Je demande alors au demandeur d’expliquer ce qu’il voudrait obtenir, puis je demande au défendeur quelle est sa position.

Sans le dire, j’applique la formule « IBPVM » apprise en formation : Intérêts de chacune des parties, Besoins des parties, Préoccupations des parties, Valeurs, Motivations, pour tenter de déboucher sur une reconnaissance réciproque.Je reformule. Le cas échéant, je m’entretiens séparément avec chacune des parties. Ensuite vient la recherche en commun de la solution. Il faut aller vite, car on n’a que trente minutes par affaire, en y incluant le temps de rédaction des documents.De deux choses, l’une, soit la conciliation réussit, soit elle échoue. Dans le premier cas, je délivre un « constat d’accord », dans le second cas un « constat d’échec ». Ces documents sont rédigés en plusieurs exemplaires : pour chacune des parties, pour le tribunal (si l’affaire est venue du tribunal), pour les archives du conciliateur.

En cas de succès, l’une des parties peut demander l’homologation par un juge, et cela doit être noté dans le procès-verbal.Je sais que notre gouvernement pousse très fortement à la généralisation de la conciliation-médiation. Il y a environ 2 000 conciliateurs en France. Cela désengorge les prétoires et génère des économies, puisque les conciliateurs sont bénévoles. Mon sentiment est que la fonction de conciliateur est à la fois frustrante et utile. Frustrante pour au moins trois raisons. D’abord, le conciliateur attend parfois pour rien, car personne ne vient à l’audience, ou au moins le défendeur ne vient pas, ce qui, bien entendu, exclut toute conciliation. Ensuite, parce que le compromis n’est pas dans nos gênes nationales, à la différence des pays du nord. Le cas est hélas fréquent où chacune des parties, sûre de son bon droit, est convaincue qu’un tribunal lui donnera raison. Il y a donc beaucoup d’échecs.

Enfin, parce que les dossiers, à l’exception des dossiers du tribunal de commerce, touchent à la vie quotidienne et sont rarement d’un grand intérêt intellectuel.Mais c’est une fonction utile, car bien souvent les gens ne savent pas à qui s’adresser pour tenter de régler un litige et, en la personne du conciliateur, ils trouvent un interlocuteur disposé à les écouter, à les aider et à les renseigner. Le conciliateur joue un rôle fortement social. J’ai reçu moi-même de nombreux témoignages de reconnaissance. Si certains ou certaines d’entre vous se sentent une vocation de conciliateur après avoir lu ce papier, je me ferai un plaisir de leur apporter tous les éclaircissements souhaitables.

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