Ses nombreuses années à pratiquer la danse prédestinaient-elles Laurence Levy à prendre la tête de Repetto ? En juillet 2022, cette ex-L’Oréal rejoint la maison de chaussons par excellence, aujourd’hui emblématique d’un vestiaire poétique. La marque, un temps chahutée par les mouvements sociaux et la pandémie, a su créer, au fil des années, un vestiaire complet autour du monde de la danse jusqu’à en faire un style de vie. Sa nouvelle directrice générale œuvre depuis son arrivée à associer de nouveaux talents et à relancer la marque sur la scène internationale. Rencontre avec une femme qui a fait du luxe son terrain de jeu.

La ballerine Repetto et Laurence Levy ont en commun d’être parisiennes. La première naît rue de la Paix en 1947, lorsque Rose Repetto, excellente couturière, a l’idée de fabriquer dans son atelier des pointes pour son chorégraphe de fils, Roland Petit, qui rentrait de l’Opéra de Paris les pieds ensanglantés. Laurence Levy, elle, est une touche-à-tout. Ne pensant jamais être prise à HEC, elle se dit qu’avec un peu de chance, ça sera l’ESSEC et tente toutes les écoles de commerce. Coup du destin, acceptée partout sauf à l’ESSEC, elle obtient son sésame pour Jouy-en-Josas. « Je me souviendrais toute ma vie du jour où j’ai été admissible, et de l’émotion dans la voix de mon père. Lui-même n’y croyait pas. » Une respiration après le tourbillon de la prépa, entre rires, souffrances, travail acharné et rencontres. « Une nouvelle vie, mais un peu hors du temps. J’étais surprise de plein de choses. Je n’étais pas le genre d’étudiante campagne et BDE. J’avais un engagement associatif dans l’association Haute Couture, » se souvient-elle amusée. Sa boussole interne la mène aussi vers des missions avec la Junior Entreprise. À l’époque, Laurence Levy ne se ménage pas. Après les cours, la Parisienne donne des cours d’anglais et sert dans un restaurant japonais jusqu’à 1h du matin, même le dimanche, avant de reprendre le chemin des cours le lendemain. Puis, lors de son stage en vente chez Céline, elle intègre l’idée qu’un dirigeant à succès doit connaître ses boutiques. « J’avais toujours la visite de quelqu’un de la famille Arnaud, se souvient-elle de son expérience avenue Montaigne. Donc je garde toujours en tête d’être hyper connectée au terrain. Si on n’est pas connecté au terrain, on n’est plus connecté à la vie. »

Carrière

De Céline à Repetto, il n’y a qu’un pas, ou presque. Toute une vie. Son conseil aux stagiaires ? « Une première expérience professionnelle, il faut bien la choisir. » Pour Laurence Levy, c’est son départ à New York, lors de son année de césure, qui la lance. Dans un monde de managers américains bardés de MBA, la Française fait valoir son expérience HEC et, au culot, entre en stage marketing chez Coty, géant américain du produit de beauté. Mais avant de jurer fidélité au secteur, elle veut faire son expérience en consulting. Ça sera au bercail, et à Jouy. Optant pour une  Majeur Stratégie, elle multiplie les missions de conseil. Chez Oliver Wyman, elle travaille sur le futur de la Samaritaine. Chez Prisma, en stratégie média, elle délaisse le monde des firmes pour se frotter aux egos créatifs des rédactions de Voici ou du magazine Femmes. Après Danone, finalement, elle formule ses envies de management dans le luxe ou la beauté. On l’envoie chez L’Oréal. À 30 ans et enceinte, elle passe un entretien et c’est le coup de cœur. Elle se spécialise dans le travel retail : duty free, magasins détaxés et aéroports sont ses attaches. Pendant dix ans. « J’aurais pu y rester toute ma vie ! », déclare-t-elle. Responsable commerciale et marketing chez Armani puis directrice générale adjointe de Yves Saint-Laurent Beauté, elle dirige des marques emblématiques du luxe et affronte avec résilience la longue période Covid. La résilience d’être mère, aussi. Mère de trois enfants, elle met un point d’honneur à rentrer le soir, « pour être là avant le coucher », après des journées à l’agenda ministériel.

Repetto et la famille Gaucher

C’est finalement une rencontre faite chez L’Oréal qui la mène sur le chemin de Repetto. En travel retail, elle travaille avec Charlotte Gaucher, qui deviendra une amie. Cette dernière quitte le groupe après plus de dix ans pour œuvrer auprès de son père, Jean-Marc Gaucher, PDG de la maison Repetto, aussi connu pour avoir lancé la marque Reebok en France. Il cherche un successeur. Contre toute attente, Charlotte, sa fille, propose le challenge à Laurence. « Là, je tombe de ma chaise, parce que j’avais un très beau job à ce moment-là chez L’Oréal, mais l’idée me tentait énormément. » Rencontre avec Gaucher, le père. Ancien journaliste de TF1 et grand autodidacte, il finira par redresser la marque Reebok dans les années 1990. Chez Repetto, on lui doit le regain d’intérêt à la fin des années 2000 pour les ballerines de ville. C’est lui aussi, qui a mis en place des collaborations novatrices avec Issey Myake ou Yohji Yamamoto. Laurence Levy apprend beaucoup de cet homme d’affaires aux mille vies et travaille en lien étroit avec sa fille. Un cerveau pour l’image de la marque, un cerveau pour le business. Cependant, le challenge est gros : rendre la marque désirable aux yeux d’une clientèle plus jeune. La maison, très axée sur la féminité, n’a « jamais pris la parole » au milieu du tapage incessant des campagnes de pub luxe.

Et pour cela, Laurence Levy compte sur les influenceuses, mais aussi et surtout sur la scène artistique actuelle. Outre son lien étroit avec le milieu de la danse, c’est grâce à un lien unique et historique avec les artistes que Repetto a gagné ses lettres de noblesse. La jeune Brigitte Bardot avait fait appel aux talents de Rose pour danser avec une paire de ballerines de ville dans le film de Roger Vadim qui a marqué les fifties Et Dieu… créa la femme. Et Rose créa donc le modèle Cendrillon, un des modèles les plus vendus encore aujourd’hui. Dans les années 1970, Serge Gainsbourg devient ambassadeur de la marque en tombant amoureux de la Zizi, des derbies dessinées pour sa belle-fille, et toujours un grand succès auprès des clientes. Aujourd’hui, la nouvelle DG compte bien capitaliser sur ces classiques, et bien plus encore, aux côtés de Clara Luciani ou du chanteur M, pour lesquels Repetto crée des modèles sur mesure. Très proche de la marque, Matthieu Chedid avait même téléphoné à Jean-Marc Gaucher pour inviter tous les artisans de l’usine historique, située en Dordogne, à son concert de Périgueux.

Objectifs internationaux

Les produits « danse » de Repetto, fournisseur de l’Opéra de Paris, ne représentent que 20% des ventes de la marque, très présente à l’international et notamment en Asie (Chine, Corée et Japon) : 40% de son chiffre d’affaires est réalisé hors de l’Hexagone. Les projets d’expansion de Laurence Levy sont ambitieux : l’un de ses objectifs est de partir à la conquête des États-Unis. Repetto avait dû fermer ses boutiques à New York pendant le Covid et ne les a jamais rouvertes. La reconquête que la DG compte mener en s’appuyant sur la distribution en ligne. « Le digital représente aujourd’hui 15% des ventes. Mon objectif est d’augmenter cette part à 25 ou 30% du chiffre d’affaires. » À Paris, le recentrage sera japonais et américain. Grâce à cette stratégie axée sur l’international, Laurence Levy espère multiplier par cinq les performances du groupe. Et conserver sa place sur les podiums : lors de la dernière fashion week automne-hiver 2023/2024 à Paris, Repetto a présenté sa dernière collaboration avec Kei Ninomiya, designer de Comme des Garçons. Laurence Levy insiste également sur les recherches en cours pour développer une offre luxe respectueuse de l’environnement. « Sur notre ballerine vegan, la semelle est en écorce de riz », indique-t-elle, soucieuse de contribuer au développement de projets à impact.

Après une rencontre dans la boutique iconique de la rue de la Paix, où l’on a croisé une clientèle parisienne, japonaise et chinoise – son quotidien –, la DG prend la direction du Printemps où Repetto a un joli corner. Le terrain reste un impératif dont elle ne s’est pas départie.

Published by