Elle accompagne le gouvernement pour revaloriser et féminiser l’industrie française. Fondatrice de My Job Glasses, Émilie Korchia (EM.15) a fait de sa plateforme de mise en relation entre jeunes et professionnels un outil d’intérêt public. Rencontre.

 

Son métier, c’est le réseau. Accessible et motivante, Émilie Korchia enchaîne ce matin-là les rendez-vous dans les locaux de sa start-up du 11e arrondissement à Paris. « J’adore les gens », déclare-t-elle d’ailleurs pendant l’interview. Au fil des rencontres, cette ancienne de l’écurie Disney a fondé sa société il y a huit ans, avec l’idée de créer un lien entre l’école et le monde professionnel.

Sur sa plateforme My Job Glasses, démarrer une conversation avec un professionnel de n’importe quel secteur est un luxe à portée de clic. Un moyen pour les curieux comme pour les désœuvrés d’avoir accès aux métiers qui recrutent. « En sortant d’un CAP chaudronnerie, on gagne 3 000 euros par mois, explique Émilie Korchia. Mais ça, on ne le sait pas forcément, alors qu’on manque de chaudronniers ! » Pas étonnant que son initiative ait retenu l’attention des ministères.

Cette Marseillaise brillait déjà par ses notes en école de commerce. Ses professeurs de l’IPAG la voyaient future trader. Matheuse, fille de comptable et d’entrepreneur, elle est davantage attirée par le marketing. « J’ai souvent entendu ma mère dire qu’à force de passer son temps derrière un écran, elle préférait être davantage dans la relation à l’autre », explique-t-elle. En double spécialité marketing et finance, elle décide de donner une dimension internationale à sa carrière, qui commence en effet dans la capitale britannique.

Elle pensait préférer l’Espagne à l’Angleterre, mais son semestre à Barcelone en 2003 lui laisse un souvenir mitigé. Elle a dû notamment suivre des cours de finance en catalan. « Le prof ne voulait pas d’étrangers dans sa classe sous prétexte qu’ils ne pourraient pas suivre. J’ai décidé de lui donner tort et Je me suis donné pour objectif d’être majeure de ma promo, et j’ai fini majeure de ma la promo », se rappelle-t-elle. Après avoir travaillé en agence de communication dans un climat « un peu machiste », elle débarque à Londres pour son dernier semestre à l’université de Westminster. Une ville qui l’enchante. Son campus est en plein centre et « le fait d’être une femme n’était pas un sujet. Je n’ai plus voulu rentrer ! »

Un « bébé Disney »

En 2004, alors jeune diplômée, elle voit son destin scellé en une journée. Une agence de recrutement lui indique une grosse opportunité chez Disney, qui cherche une Française pour son département finance. À 21 ans, elle rencontre les équipes de Londres et se retrouve dans le bureau du « big boss »… qui lui offre le poste. Sur le coup, elle refuse. « Un peu naïvement, je lui ai dit que je voulais faire du marketing pour être tournée vers les gens. Il m’a répondu qu’il n’y avait pas mieux que Disney pour faire du marketing, et qu’il m’aiderait. » Elle signera finalement et reste dix années chez Disney, dont plusieurs en finances, à Londres puis à Paris.

« J’ai eu beaucoup de chance au sein de ce groupe. On m’a donné toujours plus de responsabilités et d’opportunités », détaille Émilie Korchia. Elle qui a occupé une position managériale dès ses 22 ans remarque qu’« à Londres, être une femme jeune n’était pas un problème. Ils regardaient deux choses : la compétence et la capacité à simplifier la vie de l’équipe. C’était une promotion, mais je peux assurer que le discours que j’ai eu des RH était plus axé sur la responsabilisation que sur la promotion, et je trouve ça très bien. »

« Jamais je ne serai entrepreneure »

L’idée de reprendre des études à HEC lui est soufflée par son ancien patron à de Disney France, qui s’étonne qu’elle soit toujours dans la même entreprise après près de dix ans. Lui-même récemment diplômé d’un executive master à HEC, il lui conseille de suivre la même formation : « Si ce n’est pas à 30 ans qu’on prend des risques, on n’en prend jamais », lui lance-t-il alors. Des mots qui resteront gravés. Elle quitte donc Disney et arrive à Jouy-en-Josas en Exécutive Master spécialisé Direction Marketing et Stratégie commerciale.

Alors que l’ensemble de ses camarades de classes l’incite à fonder sa propre société, elle n’est pas franchement conquise par cette idée « J’ai un papa entrepreneur qui m’a fait rater des vacances parce qu’il fallait rentrer, parce qu’il y avait un problème, explique Émilie Korchia. Je me suis construite en disant : jamais je ne serai entrepreneure. »

Déléguée de sa promo, elle choisit de mettre ses cours en application au sein d’une association nommée Joséphine pour la beauté des femmes, qui aide les femmes précarisées à reprendre confiance en elle. « Un salon de coiffure solidaire où tu payes trois euros pour avoir ta couleur et obtenir des conseils, explique-t-elle. Si tu vas à un entretien d’embauche avec les racines apparentes et toute décoiffée, tu as zéro chance qu’on te file un boulot. » Bénévole pendant sa reprise d’études, elle élabore un plan marketing et un plan commercial pour la structure.

 

Découvrir des métiers en tension

C’est en décembre 2015, au cours d’un déjeuner avec son futur associé Frédéric Voyer, qu’elle rencontre alors pour la première fois, que naît l’idée de s’associer pour créer My Job Glasses, une plateforme mettant en relation des étudiants avec des professionnels de tous horizons. « En fonction de qui sont tes parents, quelles sont tes études, où tu vis sur le territoire et si tu es un homme ou une femme, tu n’as pas les mêmes opportunités professionnelles. »

 

Émilie Korchia (EM.15) aux côtés de Jean-Noël Barrot (H.07/PhD.13), ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications.

 

Visant à « démocratiser l’accès à l’information et favoriser l’égalité des chances », My Job Glasses prend la forme d’un site permettant de démarrer une discussion avec un professionnel. « La personne peut expliquer son quotidien, ses conditions de travail, combien il gagne, expliquer les opportunités d’évolution, à quoi ça sert… Cela permet de se projeter. » Du cadre du CAC 40 au technicien industriel, ces ambassadeurs acceptent de donner en moyenne deux heures de leur temps chaque mois. Certains sont là pour représenter leurs entreprises dans le cadre d’un partenariat en B2B.

Selon sa fondatrice, l’outil peut aider à découvrir des professions en tension ou à féminiser des métiers historiquement masculins, tels que l’armée. « En tant que lycéenne, on peut aller demander à une femme de l’armée : “Mais ce n’est pas trop dur ?” On peut même amener ses parents pour les convaincre que ça peut être une bonne idée d’entrer dans l’armée. »

Le réseautage, vecteur d’anxiété

Une idée vertueuse pour ceux qui se cherchent et n’ont pas la « culture du réseautage »… Encore faut-il oser. « Au départ, on pensait que les jeunes allaient nous sauter dans les bras, explique-t-elle. On pensait avoir du mal à trouver des professionnels. Ça a été l’inverse. Les jeunes ont tendance à repousser le réseautage, parce que ça leur fait peur. Aucune école ne formait ses jeunes à la démarche réseau. Même pas HEC, même pas Polytechnique. »

Depuis l’année dernière, l’entreprise propose aussi ses services aux collèges et aux lycées, et ce, « dès la classe de 5e », et propose aux professeurs d’utiliser la plateforme pour faire intervenir des professionnels en classe. « On forme beaucoup les profs », indique l’entrepreneuse, dont l’équipe se déplace aussi lors de « tours de France » pour des cours de démarche réseau, à destination des élèves de l’enseignement supérieur.

 

Désamorcer une « bombe à retardement »

Figurant parmi les 125 entreprises lauréates du programme French Tech 2030, qui accompagne des start-ups dont les actions répondent aux enjeux majeurs du pays, My Job Glasses est désormais soutenue par le gouvernement dans le cadre de France 2030.

L’année risque donc d’être chargée pour cette société, qui aide le ministre Roland Lescure à redorer le blason de l’industrie. La France déplore actuellement « 50% des jeunes qui sont formés dans les métiers d’industrie mais n’y vont pas. Dans l’inconscient collectif, c’est Zola, mais cela ne reflète pas la réalité », explique la fondatrice.

Le pays a notamment d’énormes besoins dans l’aéronautique et le spatial. « Comme c’est une industrie d’élite, on a l’impression que si on n’a pas fait Polytechnique, ce n’est pas la peine d’aller y bosser. Ce sont des entreprises qui ont des beaux noms : Thalès, Airbus, Safran… Ça fait peur de l’extérieur. »

 

 

Autres secteurs visés par le plan France 2030 : l’agroalimentaire, l’agriculture et la pêche. « 50% des agriculteurs partiront à la retraite dans les dix prochaines années. Si nous ne sommes pas capables de passer la main et d’aller chercher des jeunes ou de féminiser davantage, on va avoir un gros problème. C’est une bombe à retardement. » Dans le cadre de ce plan national, My Job Glasses s’apprête à accueillir sur sa plateforme 2000 ambassadeurs issus de filières stratégiques.

Grâce à ces nouveaux contrats, l’entreprise, qui a longtemps siégé à l’Incubateur HEC de Station F, est actuellement en plein recrutement et compte passer en phase de mise à l’échelle. Huit ans après le lancement du produit, l’application accompagne aujourd’hui tous les profils et tous les âges dans leur démarche de réseautage « que l’on soit à l’école ou à France Travail. » Présente sur sa plateforme en tant qu’ambassadrice, présidente du club Génération Boost d’HEC Alumni et marraine de la prochaine promo We&Men, Émilie Korchia continue, elle, à donner de son temps.

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