En décembre dernier, la COP28 mettait en lumière l’urgence d’une sortie des énergies fossiles. Mais la finance durable a-t-elle les moyens de financer la transition ? Sept alumni vous éclairent.

Carole Crozat (H.04)

« J’ai commencé à me passionner pour l’investissement responsable lors de mes études à HEC, il y a vingt ans. J’avais eu la chance, à l’époque, de suivre un cours d’Élisabeth Laville (H.88), fondatrice du cabinet de conseil Utopies. J’ai ensuite consacré toute ma carrière à la finance durable : à l’agence de notation extra-financière Vigeo Eiris, puis chez Allianz, Société Générale, Exane, BlackRock, et enfin, depuis un an, à mon compte. »

Malgré les accords de Paris, la plupart des produits financiers proposés aujourd’hui n’ont aucun impact sur la réallocation des actifs vers la transition. Quid de leur performance ? Dans les années 2010, les investisseurs se sont rués sur des fonds et titres durables, ce qui a fait monter les valeurs, et attiré d’autres investisseurs. L’essor de la tech, qui est surreprésentée dans les fonds ESG, a accompagné ce mouvement. Mais depuis l’invasion russe de février 2022, l’ESG traverse une forme de « crise d’adolescence ».

Face à la hausse du prix du gaz, les gouvernements ont accru leurs subventions aux énergies fossiles dans le but de préserver le pouvoir d’achat des citoyens et des entreprises. De nombreux fonds ESG sous-performent donc, dans un contexte de crise géopolitique qui profite aux secteurs des énergies fossiles et de l’armement (lesquels sont sous-représentés ou carrément exclus de l’ESG). On peut craindre que cette situation retarde d’une ou deux décennies la mise en place d’une taxe carbone digne de ce nom… Se pose alors une question primordiale : les investisseurs durables sont-ils prêts à conserver des placements moins performants pour respecter leurs convictions ? Par ailleurs, les mesures d’impact à long terme sont insuffisantes.

Si une multinationale déclare compenser ses émissions de carbone grâce à des opérations de reforestation, qui va mener un audit sur le terrain dans cinq ou dix ans pour vérifier que ces déclarations ont eu de réels effets ? Mais la bonne nouvelle, c’est que l’Europe a mis en place un dispositif de “taxonomie” pour diriger les fonds privés vers les investissements compatibles avec la transition écologique. »

 

Lionel Cormier (H.89)

« Demeter gère des fonds d’investissement dédiés à la transition écologique. Ces fonds financent des start-up, des PME, des ETI et des infrastructures qui proposent des solutions durables dans les secteurs de l’énergie, de l’économie circulaire, de la mobilité ou de l’agriculture. »

« Après dix-huit ans d’existence, Demeter gère 1,3 milliard d’euros et compte plus d’une centaine d’entreprises en portefeuille. La contribution d’acteurs comme Demeter est essentielle à la transition écologique, dans la mesure où ils investissent dans des technologies qui ne sont pas encore éprouvées ou des infrastructures nouvelles, portées par des jeunes entreprises, au fort potentiel de croissance. À titre d’exemples, notre société finance le développement de piles compostables à base d’enzymes en France, des bâtiments recyclables en Espagne ou des logiciels de mesure des consommations d’énergie en Allemagne. Nous investissons par ailleurs dans des infrastructures en phase de maturation, telles que les bornes de recharge électrique.

J’ai beaucoup de plaisir, dans mon travail, à accompagner des dirigeants dont les solutions contribuent à préserver la planète, dans des secteurs en perpétuelle innovation. J’y trouve du sens. Plutôt que d’étiqueter comme durables de plus en plus de placements, je pense que les gestionnaires devraient clarifier leurs objectifs et se concentrer sur les investissements dont l’impact est réellement mesurable. »

Gwendoline Creno (H.20)

« Filiale de la Caisse des dépôts et consignations spécialisée dans le conseil stratégique, CDC Biodiversité a créé en 2015 le Global Biodiversity Score (GBS), équivalent du “bilan carbone” pour la biodiversité. Intervenant auprès d’acteurs économiques de référence comme la Banque de France, la foncière Icade ou la RATP, CDC Biodiversité aide les entreprises à définir des objectifs et des plans d’action pour réduire leur empreinte sur la biodiversité.

« Nous nous appuyons sur l’approche proposée par l’initiative TNFD (Taskforce on Nature-related Financial Disclosure). Cette filiale accompagne les investisseurs dans leur démarche de sélection et de dialogue actionnarial. Nous leur donnons des outils pour identifier les entreprises les plus vertueuses d’un secteur (les sociétés de l’industrie agro-alimentaire qui préservent les sols et économisent l’eau, par exemple). Mon métier m’amène à passer beaucoup de temps en réunion avec les clients. Il faut beaucoup de pédagogie, car les sujets de la biodiversité sont peu connus et souvent mal compris. Mais contribuer à la prise de conscience de ces enjeux est une vraie satisfaction. »

Guillaume Claire (H.06)

« Plus grand gestionnaire d’actifs au monde, BlackRock fournit aux fonds de capital-investissement et aux sociétés qu’ils accompagnent des financements non bancaires, alternatifs ou complémentaires des prêts bancaires traditionnels. Ce type de financement est particulièrement prisé, notamment pour sa flexibilité. »

« Les entreprises non cotées n’étant pas soumises aux mêmes obligations réglementaires en termes de transparence que leurs homologues cotées, nous les accompagnons pour mesurer leur impact environnemental. Lorsque l’entreprise est particulièrement vertueuse, cette évaluation peut permettre d’obtenir des conditions de financement plus favorables. Cette démarche a l’avantage de nous aider à mieux comprendre l’incidence des critères de durabilité sur la performance de nos investissements et elle répond à de nouvelles attentes de la part des emprunteurs et investisseurs. Récemment, nous avons lancé une stratégie visant à financer et accompagner des entreprises de taille moyenne dans leur démarche de décarbonation. Les PME représentent en effet plus de 63 % des émissions de gaz à effet de serre en Europe. Elles constituent donc un maillon indispensable pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris. »

Erwan Boumard (E.14)

« J’ai travaillé dix ans à la Société Générale, où je me suis spécialisé dans les crédits carbone. Les défis de la décarbonation m’ont intéressé. Je me suis donc inscrit en EMBA Majeure Énergie à HEC. »

« Au départ, Énergie Partagée est une association, fondée en 2010 par Enercop, le Crédit coopératif et d’autres partenaires, pour promouvoir la production locale d’énergies renouvelables. Dès sa création, l’association s’est dotée d’un label, d’une coopérative, d’un bureau d’études… et d’un fonds d’investissement, certifié FAIR et ESUS. Quand j’ai rejoint Énergie Partagée en 2014, le fonds gérait 3 millions d’euros d’investissements, il en gère aujourd’hui 40 millions, avec une progression assez régulière de 4 millions par an. Plus de 135 projets citoyens ont été financés à ce jour, grâce à nos 7 500 souscripteurs. Nous opérons uniquement sur le territoire français, mais nous sommes membres de REScoop, le réseau des coopératives énergétiques européennes. En Europe du Nord, les communautés énergétiques (energy communities) sont beaucoup plus développées qu’ici, et ont même les moyens de financer des parcs éoliens offshore. Il y a donc une grande marge de progression. »

Cilia Holmes Indahl (M.14)

« J’ai un double diplôme en innovation durable et commerce international à HEC Paris et à la NHH Norwegian School of Economics. Je travaille à la Fondation EQT, la branche philanthropique d’EQT, un investisseur qui gère 230 milliards d’euros d’actifs dans le monde. »

« Nous privilégions les thèmes du climat, de la nature et de la santé. Nous investissons dans des projets à impact en finançant sur le long terme des chercheurs et des entrepreneurs qui mettent sur le marché des innovations issues des laboratoires. La fondation gère un véhicule d’investissement “evergreen” (permanent), qui permet de recycler le capital et de soutenir les entrepreneurs sur le long terme. C’est souvent nécessaire dans ces domaines. Nous nous engageons aussi dans le développement de l’investissement d’impact “systémique”. L’idée est qu’un groupe d’investisseurs se coordonne pour que tous les investissements nécessaires à une transition puissent être menés simultanément. Prenons l’exemple de la transition vers la mobilité verte. Il faut investir dans les nouveaux véhicules, mais aussi dans des infrastructures comme les batteries, les bornes de recharges et l’énergie propre. Dans mon travail au quotidien, j’ai la chance de rencontrer des scientifiques et des entrepreneurs audacieux et ambitieux. C’est passionnant de côtoyer des acteurs qui veulent faire évoluer notre système financier. »

Ignacio Moro (H.12)

« Société espagnole de capital-investissement, Miura Partners finance des projets durables. Par exemple, nous avons investi dans The Reefer Group, un groupe européen de camions frigorifiques. »

« Pendant les cinq années de l’investissement, l’entreprise a créé le premier semi- remorque à hydrogène au monde, dotée de capacités d’isolation et d’une aérodynamique améliorées, avec à la clef une réduction de 25 % de la consommation d’énergie. Nous accompagnons également le fabricant barcelonais de prothèses dentaires Terrats Medical depuis 2020. L’entreprise a lancé une ligne d’implants “zéro déchet” et un système d’économie circulaire qui permet aux clients de renvoyer les capsules transportant leurs implants. Quand j’ai rejoint Miura, il y a huit ans, un salarié s’occupait entre autres de l’ESG. Aujourd’hui, une de nos associées s’y consacre exclusivement et le conseil d’administration y est pleinement engagé. Dans chacune des entreprises de notre portefeuille, nous nommons un responsable ESG qui collabore avec les équipes de direction et les conseillers. Le secteur du private equity est en train de changer d’approche. Les dirigeants d’entreprise ne considèrent plus les exigences ESG comme un fardeau, mais comme un moyen de créer de la valeur. »

 

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